Jorge Lavelli, in situ
L’image marquante de L’ombre de Venceslao, le film de Caroline Rubens, c’est le corps massif de Jorge Lavelli, 85 ans, qui tient dans ses bras le livret de son défunt ami Copi au milieu d’une scène vide sur laquelle il projette sa vision. Il faut le voir jouer successivement chacun des personnages, dans tous leurs états, pour comprendre qu’il incarne sa mise en scène, puissamment, jusqu’à empoigner les acteurs et leur transfuser son énergie, sa foi dans la pièce. Tous sont perdus, lui a déjà trouvé, et il fulmine de cet écart qui résiste entre le souhaité, l’attendu, le désiré, et ce qui est obtenu.
La question de l’espace aussi, qui compte pour lui plus que la musique, la préférence donnée au sentiment et non à l’esthétique, à la vérité et non du subterfuge. Tout cela est saisi par le regard de la réalisatrice, et structuré par un fin travail de montage qui montre l’éclosion de plusieurs scènes, de l’esquisse à la générale, tout en approchant tour à tour chacun des personnages de l’opéra.
L'OMBRE DE VENCESLAO
L'OMBRE DE VENCESLAO
de Caroline Rubens (2017)
De juin à octobre 2016, se crée, sur le plateau et dans les coulisses de l’Opéra de Rennes, L’ombre de Venceslao, écrit, composé et mis en scène par un trio d’origine argentine : Copi auteur de la pièce adaptée, Martin Matalon compositeur de la musique créée en 2016, Jorge Lavelli metteur en scène. L’équipe de techniciens et chanteurs est jeune et cet opéra est un défi pour chacun ! Mise en place des décors et lumières, répétitions au piano, essayages des costumes, collaboration entre musicien et metteur en scène, le film accompagne la création du monde vu par Venceslao, un monde haut en couleurs, comme une résistance à l’infortune.
>>> un film produit par Colette Quesson, À perte de vue.
La chasse aux esprits
La chasse aux esprits
par Caroline Rubens
Le film raconte la genèse d’un opéra et pour moi la genèse du monde. Derrière l’épopée artistique, crue, rapide, loufoque, c’est l’existence-même, la joie, le désir de vivre malgré tout, le désir tout court qui est au creux de l’histoire. Pour moi, il est question de notre appartenance au monde. La pièce comporte des références bibliques : la charrette expiatrice, le déluge, les hommes posés dans un décor dont ils ne semblent pas connaître le fonctionnement, et je pensais adopter la trame de la Genèse de l’Ancien Testament pour l’organisation du récit. Le monde (le décor) - L’eau (dans les textes avec la pluie et la boue) - Le ciel (dans le décor) - Les animaux (l’âne et le perroquet) - L’homme. On dirait que les hommes ont été posés là et qu’ils découvrent toujours le monde autour d’eux. Tiens il pleut encore. J’attends le soleil. Alors qu’il pleut tout le temps et qu’il n’y a pas de soleil.
J’ai voulu un film choral dont le récit est organisé dans le temps de la création. Autre ligne de conduite, le lien de chacun avec cette création. Leur propre obstination et rigueur apparaîtront. Que ce soit technique ou philosophique. L’effort, la volonté et la minutie de chacun sont au cœur du récit.
Le metteur en scène, Jorge Lavelli, a une carrière internationale bien remplie. Il aurait pu prendre sa retraite depuis longtemps, mais il continue. À mettre en scène, à être là. Pour moi, il est une sorte de miroir de la pièce et du désir de Venceslao simplement par sa trajectoire de vie. Par sa force et l’impériosité de son désir de créer.
Envisager la scène comme un monde.
Je vois Lavelli comme un éternel jeune homme, toujours dans l’élan du mouvement. C’est ainsi que j’aimerais le filmer, en mouvement.
Et mettre en résonance l’idéalisme et l’héroïsme de Lavelli avec l’opiniâtreté de Venceslao.
Pour lui, le théâtre a été (et reste) une action politique de résistance. Le théâtre de Vilar, le théâtre anti-fasciste, ... Aujourd’hui, le théâtre est malheureusement retourné à un public de connaisseurs, loin du public populaire et rêveur d’une autre société.
La musique de Matalon, le compositeur, raconte de l’intérieur son élan vers le texte de Copi. Écouter une musique pour la première fois, c’est comme l’apparition de la vie. Celle de l’homme et de ses désirs. C’est toujours passionnant d’essayer de comprendre les rouages de cette chose si proche et mystérieuse qu’est la musique. Pour moi les musiciens sont comme les mathématiciens qui mettent à l’épreuve de leur science un ordre préexistant du monde. Une harmonie qu’il faut chercher à éprouver. Quand je vois un musicien travailler, quand la musique s’élève, quelque chose fait croire à une évidence, une harmonie. Et quand le son étonne, c’est un monde qui s’ouvre. C’est pour moi, dans le film, l’image du souffle.
Concernant la création même, j’aime regarder longtemps les gens, comme pour réussir à capter leur respiration. Pouvoir bouger à leurs côtés sans les déranger, observer la construction habitée par l’homme qui les construit. C’est une chasse photographique aux esprits. Ici celui de Copi.
L'ATELIER DOCUMENTAIRE
L'ATELIER DOCUMENTAIRE
Caroline Rubens, réalisatrice de L'ombre de Venceslao, revient sur la genèse et le processus de fabrication de son film.
Naissance d'un opéra
Naissance d'un opéra
par Alain Surrans
Le texte et la réponse filmée par Caroline Rubens
Quoi de plus émouvant que d'assister à la naissance d'un opéra ? C'est ce que nous offre cette création de L’Ombre de Venceslao, le nouvel ouvrage lyrique de Martin Matalon, un compositeur amoureux de théâtre musical, mais aussi de cinéma puisqu'il a écrit de mémorables partitions pour les films muets de Luis Buñuel et Fritz Lang. Son univers mental et musical, appartient à l'avant-garde mais il reste un Argentin, un de ces Européens des antipodes qui, partageant notre culture, vouent aussi à leur pays un amour passionné.
L'Ombre de Venceslao fut d'abord en 1977 une pièce de théâtre de Copi, le génial dramaturge argentin, qui exilé en France continuait d'écrire en espagnol, sa langue maternelle. Cette pièce fut plus tard traduite et présentée à Paris par Jorge Lavelli, le même qui signe aujourd’hui le livret et la mise en scène de l'opéra de Martin Matalon.
Les personnages de la pièce gravitent autour de Venceslao, chef de famille pauvre mais fier, sorte de Don Quichotte entouré de ses proches et de ses animaux familiers. Tandis que China, la fille, part pour Buenos-Aires, l'errance du patriarche le conduira jusqu'aux mythiques chutes d'Iguazu. Il y a beaucoup d'esprit baroque et picaresque, de grotesque et de nostalgie à la fois dans cette évocation de la très humide Mésopotamie argentine, cadre des scènes rurales, en contraste avec celles qui se déroulent à Buenos-Aires. Et puisqu'il sera question de tango, les bandonéons seront de la partie, bien entendu, mais pour mieux participer aux couleurs de la riche palette de Martin Matalon.
CAROLINE RUBENS
CAROLINE RUBENS
D'abord journaliste pour le magazine d'info de M6 et pour des émissions magazine de TV Rennes, je deviens réalisatrice en 2005 suite à la suite d’une formation aux ateliers Varan.
Filmer de façon plus singulière, raconter des histoires personnelles redonne du sens à ce que je fais. J'ai écrit et réalisés deux films d'auteur : L'ile perdue et Le secret des balançoires, pour lesquels j'ai eu la chance d'être soutenue par la SCAM.
J'ai réalisé aussi quelques documentaires sociétaux autour du thème de l'exil ou de la place qu'on a dans le monde : Quinze jours non renouvelables, Terre d'asile en urgence, L'ombre de Venceslao.
Par ailleurs, j'ai collaboré très régulièrement à l'émission Littoral de France 3, car j'aime le milieu maritime et surtout,
l'on y respecte les gens qu'on filme et qu’on peut y proposer un vrai regard. J'ai aussi réalisé et filmé pendant deux ans des pêcheurs traditionnels pour le projet européen SUCCESS.
Je travaille actuellement sur un projet de film autour de la précision des gestes d'apprentissage pour les enfants de moins de 3 ans, gestes non violents non intrusifs et non coercitifs. Le film sera tourné dans une école Montessori et peut être dans un cours d'art martial et/ou de danse.
Ce film est comme une suite paisible du Secret des balançoires.
Déroutant et envoûtant
Déroutant et envoûtant
Ouest France, Agnès Le Morvan >>> Déroutant, L’ombre de Venceslao l’est assurément. Mais difficile d’être insensible à la générosité des artistes, chanteurs et danseurs, au rythme de la mise en scène, imposé par Jorge Lavelli. Ami du dramaturge argentin, il avait déjà monté deux fois la pièce au théâtre, cette histoire de famille et d’errance qui évoque la mort, le temps qui passe, la frustration.
L’OBS, Raphaël de Gubernatis >>> Là-dessus, la mise en scène habile, enlevée de Lavelli vous embarque dans un tourbillon de séquences qui filent à toute allure, portées par les prouesses des techniciens de la scène, par l’Orchestre symphonique de Bretagne sous la direction d’Ernest Martinez Izquierdo et par des acteurs remarquablement dirigés qui donnent chair à leurs personnages.
FRAGIL, Christophe Gervot >>> Événement : Jorge Lavelli retrouve Copi à l’Opéra de Rennes
Jorge Lavelli : Copi a été un grand ami, jusqu’à sa mort en 1987. Lorsque je l’ai rencontré en 1964 à Paris, il était une star. Il travaillait au Nouvel Observateur et connaissait beaucoup de succès avec ses dessins, qu’il vendait déjà sur le Pont des Arts à son arrivée dans la capitale. Ne s’intéressant pas à l’actualité, son inspiration était plus personnelle. Il était le fils d’un homme politique argentin, directeur d’un journal important...
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