Partir
23/10/2025
Le court métrage Paris Saint-Charles parle de la nuit décisive d’une étudiante en droit qui pourrait bien tout plaquer pour aller rejoindre une ONG environnementale en Antarctique. Déplacement radical de la dalle Beaugrenelle en bord de Seine à la banquise australe. L’observation de ce possible basculement est l’occasion pour Joséphine Ha, la réalisatrice du film, de mettre en regard la vie futile et angoissée des citadins et celle des scientifiques engagés pour le climat.
Mue par une volonté peu à peu chancelante, notre héroïne traverse une nuit qui se termine par une révélation : partir, ce n’est pas forcément se déplacer dans l’espace, mais se départir d’une sorte d’indifférence dans le regard.
PARIS SAINT-CHARLES
PARIS SAINT-CHARLES
de Joséphine Ha (2023 - 22’)
Fin de l'été, rentrée des classes. Juliette, 23 ans, reçoit un appel. À la suite d'un désistement, elle est prise pour partir en mission sur un bateau de sauvegarde des océans. C'est complètement fou, elle accepte. Sauf qu'au cours de la nuit la décision décante et le choix s'avère difficile à assumer.
>>> un film produit par Olivier Bourbeillon pour Paris-Brest Productions, et Joséphine Ha
Récit initiatique
Récit initiatique
par Joséphine Ha
Comment restituer dans un court métrage ce moment si particulier entre la fin de l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte ? Paris Saint-Charles est pour moi le récit de ce moment charnière, où rien ne semble avoir changé, et que pourtant se dessine la certitude que rien ne sera plus jamais comme avant.
Le temps d’une nuit, vécue comme une parenthèse suspendue, notre personnage est confronté à un choix décisif… Mais le jour arrive, et il faut faire vite. Le matin signera-t-il un nouveau départ pour Juliette ? Ou sera-t-il le moment douloureux où la raison reprend le dessus, après l’enthousiasme de l’élan initial ? Comment choisir entre désir instinctif et rationalité ? Comment laisser derrière soi les choses qui nous rendent heureux.se aujourd’hui, pour aller vers l’inconnu ? Toutes ces questions me fascinent, et tourbillonnent dans la tête de notre héroïne fragile qui oscille, doute, et envisage de renoncer.
J’ai voulu dans ce film faire un portrait de l’indécision. De cet état de fébrilité et de sensibilité accrue, quand les peurs inconscientes s’expriment, nous donnant un accès privilégié à l’intime du personnage. J’aime la vulnérabilité des indécis, et je trouve fascinante la manière dont ils sont leur propre antagoniste. À l’inverse des règles de dramaturgie classique où le personnage principal est censé avoir un objectif clair, et surmonter des épreuves pour accomplir son désir, notre Juliette ne sait pas ce qu’elle veut.
Elle est l’étendard de cette génération à laquelle j’appartiens, qui n’a jamais autant eu de choix, et en est prise de vertige. Parfois je me demande si la fameuse crise de la quarantaine n’interviendrait pas dorénavant 15 ans plus tôt, avec des envies de tout plaquer alors qu’on est encore à l’aube de l’âge adulte. Juliette vient de la classe moyenne. Elle a 23 ans, mais vit encore chez ses parents. Fait de hautes études, mais sans savoir pourquoi. Elle a la sensation d'être sur des rails qu'elle n’a jamais choisis. À rebours de ses parents, elle ne voit pas sa réussite dans un métier très qualifié : elle est plutôt en quête de sens.
Paris Saint-Charles est un film que j’ai voulu doux et mélancolique, à la fois tendre et triomphant. Dans un 15e arrondissement vide et sans charme, les trois amis déambulent dans le quartier qui les a vus grandir. Ils sont seuls, sans personne pour les voir et les définir. Ils sont libres.
Saint-Charles, c’est le nom du quartier où j’ai moi-même grandi. Je l’ai longtemps détesté, dans ce qu’il avait de lisse et d’immobile. Je le trouvais sans personnalité, et j’avais peur qu’il ne me contamine. Mon personnage principal aussi haït son quartier, mais va le voir sous un jour nouveau lors d’un dernier tour de piste. J’ai voulu dépeindre ce sentiment mélancolique qui nous fait aimer les lieux que l’on quitte.
Les nuits que j’ai passées avec mes amis à traîner dehors, parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire, ont été je crois les derniers souvenirs de ma jeunesse. Piégé.e.s dans cet espace-temps immuable du 15e arrondissement, nous ne faisions rien, mais ensemble. J’ai voulu retranscrire dans ce film le pouvoir émancipateur de l'amitié, et le réconfort de ces liens solides qui constituent le seul repère à un âge où tout semble mouvant. Si traditionnellement il y a beaucoup de péripéties dans un teen movie (expérimentation de drogues, fêtes, découverte sexuelle), j'ai choisi d'en prendre le contrepied. Pour moi ce n’est pas dans ces moments-là que se niche le passage de l'enfance à l'âge adulte. Mais plutôt dans les questionnements intimes, les moments d'attente, et d'errements en bande. J’ai voulu ce film comme un éloge de la banalité, du rien et du petit.
Joséphine Ha
Joséphine Ha
Après des études à Sciences Po Lille où elle comprend qu’elle ne pourra finalement pas sauver le monde, Joséphine Ha décide de laisser ça à des gens plus compétents et commence à écrire de la fiction. Elle développe des courts métrages sur des passages à l’âge adulte plus ou moins ratés, et surtout pas autobiographiques. Depuis 2020, elle co-écrit aussi pour la télévision et le cinéma, et réalise ses courts métrages.
French mumblecore
French mumblecore
LIBÉRATION >>> Génération mumblecore, fauchée mais fertile. Des contes en chambre au minimalisme capiteux, fragmentés et tournés le plus souvent avec caméra pourrie et budgets dérisoires, où [...] de jeunes gens discourent interminablement de leurs indéterminations et états d'âmes.
URBANIA >>> Pourquoi aime-t-on autant les films coming of age ? C’est le récit, parfois drôle, parfois dramatique, de ces moments charnières où les humains quittent l’innocence qui protégeait leur jeunesse pour entrer dans un monde inconnu et dénué de repères.
LIBÉRATION >>> Frances Ha : Chapitré par les adresses successives où vient un temps à se domicilier Frances, [...] le récit fait son lit dans cette errance et s’affirme ainsi doucement en odyssée initiatique, à mesure que travaille une autre interrogation – vieille comme Ulysse – quand, comment savoir que l’on est arrivé chez soi ?
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