L'art de la fugue
Huguette et Viviane veulent s’évader de Quistinic, leur village où plus rien ni personne ne les intéresse. Nous sommes en 1977 : le chômage bat son plein, l’avortement est libre et la majorité abaissée à 18 ans.
Dans la Bretagne rurale en voie de désertification, beaucoup de jeunes rêvent de partir pour la ville pour échapper au chômage et faire leur vie, loin des parents qui veulent brider leur liberté avec leur mentalité de péquenots. Les années Giscard voient se succéder les lois sur l’avortement et sur la majorité à 18 ans, deux mesures d’émancipation de la jeunesse. Au fil d’une déambulation qui peut paraître brouillonne, le film dévide le quotidien des seventies, entre frénésie post-68 et persistance réactionnaire.
Nous revenons ce faisant sur le travail du sociologue et cinéaste Patrick Prado, sur la mobilité des hommes, les processus de territorialisation et de déterritorialisation : les migrations rurales, la néo-ruralité, tels qu’ils sont visibles dans Basculement 1 & 2.
L'ART DE LA FUGUE
L'ART DE LA FUGUE
un film de Patrick Prado (1977 - 58')
Huguette et Viviane, 18 ans tout juste, prises entre l’ennui et les rêves d’ailleurs, l’évasion par l’auto-stop où l’alcool, les rixes dans les bals du samedi soir, sont mûres pour l’exil. Un long travelling les saisit de la sortie de la mairie de leur bled jusqu’au sommet d’une côte d’où elles semblent pouvoir prendre leur envol.
Le cinéma-vérité
Le cinéma-vérité
Par Patrick Prado
Je cherchais un jeune homme ou une jeune fille quittant la terre et la ferme des parents pour aller en ville chercher du travail. J’aurais fait la chronique des jours précédents le départ, le voyage, et les premiers jours d’installation en ville, me contentant de suivre leur itinéraire, croyais-je, le plus discrètement possible.
Un micro, une mini caméra stylo, pas de lumière, sinon parfois une lampe de poche et treize kilos de matériel sur le dos. On appelle cela video légère ou encore cinéma-vérité. À la vérité, cela ne s’est pas passé tout à fait ainsi. Au début, oui. J’ai trouvé deux jeunes filles par la mairie de la commune où je vivais six mois par an, en Bretagne. Huguette et Viviane, la brune et la blonde, dix-huit ans et quelques mois, fin de l’école, majorité légale, recherche du premier emploi. Au cours d’un mois nous avons filmé, à intervalles irréguliers, cinq journées d’Huguette et Viviane.
Au cours de ce mois, les deux jeunes filles se sont mises en scène comme on le fait toujours devant un objectif. En fait de cinéma vérité, elles ont été plus vraies que nature grâce ou à cause de la caméra. En somme, elles auront détourné le tournage avec beaucoup d’à-propos, nous laissant quelque peu rêveurs avec nos machines à faire des images. Elles s’en sont échappées.
Je suis allé plusieurs fois voir les parents pour leur expliquer le film. Ils ne m’accueillirent pas. Je prenais leur attitude pour de la gêne à se montrer, à se mettre en scène, ce qui n’aurait pas dû m’étonner après de nombreux tournages chez les agriculteurs des communes avoisinantes, chez qui la pudeur l’emportait souvent sur le désir de se montrer, mais qui acceptaient néanmoins souvent le tournage avec flegme. Je ne comprenais pas encore que leur crainte était moins de voir leur image dérobée, que de voir leur fille leur échapper, entraînée dans le cercle infernal du bar, du bal, de la bande et de la bagnole.
Patrick Prado
Patrick Prado
Patrick Prado est un chercheur sur l’anthropologie des idées, en retraite du CNRS. Il réalise ses premières vidéos dans les années 70, muni d’une caméra offerte par Simone Signoret et Yves Montand. Il accompagne les luttes paysannes et ouvrières en Bretagne comme la guerre du lait. Avec d’autres militants tels que Geneviève Delbos et Jean-Louis le Tacon, il fonde un groupe : Torr e Benn (Casse-leur la tête : devise des paysans bretons les Bonnets rouges). En 1983, ce collectif donne naissance à l’Association Populaire d’Images Cinéma (APIC), dans laquelle Patrick Prado pratique la contre-information, l’enquête sociale et l’art vidéo. Il pose un regard curieux sur les aspects du réel (mécanismes et métamorphoses) et retranscrit ses explorations et ses passions.
La désertification des campagnes
La désertification des campagnes
INA >>> En 1967, Claude Desiré explore la Bretagne pour l'ORTF. Il enquête à l'heure où toutes les structures traditionnelles craquent, qu'il s'agisse d'agriculture, d'industrie ou de pêche. Son enquête débute à Roudouallec, dans le Morbihan, à l'heure de la messe.
PERSÉE >>> Dans les années 70, les campagnes se vident au profit des villes, les fermes sont abandonnées au profit des ateliers et des bureaux. Les femmes sont majoritaires dans cette émigration. Dans un article de Économie et statistique (janvier 1979) Guy Desplanques en fait un exposé chiffré
INA >>> En 1987, Fabien Lostec se rend en Mayenne pour France 3, dans un village qui lutte contre le vieillissement et l’abandon.
15 décembre 2021 07:14 - Martial ROLLAND
Super j'avais 16 ans !