Pêche industrielle
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Posté à bord raconte une campagne de pêche au large, comme le fascinant La peau trouée que nous avons déjà programmé. Ce film nous offre la possibilité d’entrer dans le huis clos d’un navire balloté trois mois durant dans les 40e rugissants. Un bateau, et sa communauté humaine bien hiérarchisée : huit Bigoudens aux manettes, veillant à la manœuvre depuis la passerelle qui surplombe le pont, puis, au fur et à mesure que l’on descend dans le ventre du navire, l’on croise des Réunionnais, des Malgaches rigolards, et des Ukrainiens plus concentrés. Un petit monde coupé du grand monde.
Les jours passent, la météo se déchaîne, les orques bouffent les prises, mais les gars s’accrochent sous le regard impitoyable du capitaine, seul maître après Dieu sur cette galère.L'intérêt du film, au-delà de sa matière documentaire, c’est la façon dont le réalisateur, Charles Véron, nous raconte son expérience. Dans un style sobre, quasi nonchalant, il dévide son journal de bord un brin malicieux, faussement naïf, manière de nous donner les clés de compréhension de ce qui se joue dans cette société d’hommes, sous la pression du risque et l’obligation de résultats.
POSTÉ À BORD
un film de Charles Véron (2009)
une page en partenariat avec le Festival Pêcheurs du Monde
qui fête cette année son 10e anniversaire
Un chalutier industriel navigue dans les mers australes et pêche un poisson des grands fonds : la légine. Au départ de Saint Denis de la Réunion, trente cinq marins embarquent pour trois mois pour croiser dans l'Océan Indien, au large des îles Kerguelen. Une pêche à haut risque, dans une mer souvent dure, perdue là-bas tout au sud.
À bord, des hommes de toutes origines, recrutés par le capitaine, qui partagent un quotidien fait de danger, d’angoisse, de fatigue et de promiscuité.
L'activité à bord est optimisée selon les lois de la rentabilité, devenues planétaires. Travail répétitif, vacarme, cadences... l'usine est bien là. Mais sur le navire battant pavillon tricolore, on cherche en vain la réglementation du travail et les lois sociales s'appliquant à toute entreprise française.
>>> un film produit par Jean-François Aumaître et Marie-Claire Thouault, Aligal production
À fond de cale
Le décor a de l'allure : un bateau avec un invraisemblable équipage, errant entre les 40e rugissants et les 50e hurlants ! Un microcosme singulier, représentatif presque métaphorique des problématiques contemporaines : les marins étrangers sont sous-payés mais gagnent là cent fois plus que chez eux, la nature du poisson pêché et sa destination… Tout est prétexte à parler de ce qui se passe dans le monde.
Le bateau en question appartient à Intermarché, mais navigue cependant sous ce qu'il est convenu d'appeler, un pavillon bis. Immatriculé dans les TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises), son lieu d'attache officiel est Port-aux-Français, un port fictif laissant croire que le navire est bien français alors que cette rade n'abrite que des manchots ! Une manière simple et légale d'échapper aux lois sociales qui ne sont pas applicables à bord. Les conditions de travail et de rémunération des marins étrangers sont régies par leur seul contrat interne avec l'entreprise, c’est-à-dire le bateau-usine.
Quelle est la teneur de ce contrat ?
Qui sont ces hommes, d'où viennent-ils, pourquoi sont-ils là, de quelle manière sont-ils recrutés ? Ont-ils tous le même salaire, et si non, en vertu de quoi ? Quelles sont les conditions de travail, d'hygiène et de sécurité à bord ?
Quant à la légine, raison d'être de l'entreprise, elle fut découverte au début des années quatre-vingt, et très vite qualifiée d'or blanc par les pêcheurs du grand sud. La ruée vers l'or durera une vingtaine d'années, entraînant une raréfaction alarmante de l'espèce. Durant quelques années, la pêche en est interdite pour laisser l'espèce se régénérer. Aujourd'hui, elle est officiellement très réglementée.
La légine est principalement consommée aux États-Unis et en Asie. En France, elle peine à se faire une place malgré les petites barquettes vantant sa chair blanche, fondante, et naturellement riche en Oméga 3 (!), que l'on trouve quelques rares fois dans les rayons de nos supermarchés. De quoi s'interroger sur les raisons et le bien-fondé d'une pêche intensive pratiquée hors légalité sociale et environnementale, et pour un rendu économique ne nous concernant guère.
Prendre position
par Charles Véron
Dans ce film, j’ai pris la position du naufragé se réveillant à fond de cale et se mettant à explorer le navire qui l'a recueilli. Car c'est dans ses entrailles que le film se tient, dans une progression minutieuse dans le bruit infernal et le va-et-vient des énormes pistons, ne négligeant aucun détail du fonctionnement mécanique donnant à sentir la puissance des machines ou révélant leur origine inscrite sur une plaque de cuivre. Au sol, une caisse d'hameçons rouillés, ou les restes d'une ligne emmêlée parmi l'outillage. Dans l'entrepont, l'équipage sommeille pendant que le bateau fait route. Route vers quoi, vers qui ?
Sur le pont, une rafale d'air vif, la côte déjà loin et le grand large devant... En haut, sur la passerelle, le capitaine et son lieutenant semblent faire le point. Lorsqu'ils en partent, ils laissent une carte sur la table. Le parcours y est clairement tracé : nous faisons route droit sur les îles Kerguelen...
Il ne faut pas moins d'une semaine pour se rendre sur les lieux de pêche. À moins que la mer ne s'en mêle, c'est un temps béni pour l'équipage. Celui où l'on prépare calmement le matériel, où l'on prolonge les repas en se rappelant les anecdotes de la marée précédente avant d'entamer une partie de cartes.
Puis vient le temps de la pêche, celui des rythmes insensés, des nuits bouleversées et des fatigues accumulées. Ce n'est pas un hasard si ces navires sont surnommés bateaux usines. L’organisation du travail s’inspire du fonctionnement des usines : tandis que des hommes préparent l'appât du prochain jeté de lignes (des tonnes de maquereaux coupés en deux et embrochés sur les hameçons), d'autres s'affairent à nettoyer, vider et débiter la légine pêchée quelques heures plus tôt, quand d'autres encore la conditionnent dans les cales frigorifiques. Il faut dans le même temps courir d'un poste à l'autre, nettoyer le pont, ranger et ordonner le matériel dans une mer où, le plus souvent, garder son équilibre est déjà une performance. Une instabilité qui n'épargne pas les cuisines, où ustensiles et ingrédients malmenés rendent presque héroïques les fonctions du cuisinier et de son aide (deux postes essentiels selon Fanch, car ils conditionnent pour une grande part, l'humeur à bord).
Les repas sont peut-être le seul moment de convivialité des marins. Souvent de courte durée, car la nuit tombante annonce l'heure où il faut regagner le pont pour remonter les lignes (une réglementation impose que cette opération ne s'effectue que de jour). C'est indéniablement le moment le plus dangereux et le plus pénible physiquement. Appuyés au bastingage, les hommes harponnent les poissons pouvant atteindre 80 kg et les ramènent sur le pont. Sous la tension de la ligne, l'hameçon devient un crochet de boucher qui a vite fait d'embrocher la main ou l'avant-bras. Le travail s'effectue par deux, la sécurité du duo tenant à l'attention de chacun.
Le contrôleur est là, chargé de surveiller la taille des prises (et le nombre d'oiseaux abîmés ou morts, piégés par les hameçons). Il est censé tenir des comptes, établir un rapport. La posture est délicate, un bateau perdu au milieu de l'océan Indien est un monde bien à part, le capitaine un homme impulsif, et il est quelques fois préférable de s'entendre...
Les hommes dorment par tranches de quelques heures, les réveils sont laborieux, les journées interminables. Excepté lorsque l'état de la mer ne permet pas de pêcher sans mettre en péril la vie des marins. No fishing ! Pas de mise à l'eau pour l'instant, clame alors le porte-voix dans les coursives. Quelques heures de repos pour l'équipage (si l'on peut dire, vu le confort très relatif du navire dans ces conditions). Mais la tempête peut aussi durer (une journée, deux, trois...) et cela s'apparente alors à un manque à gagner qui peut amener à défier les éléments au-delà du raisonnable. Le capitaine, seul, juge de cela. Maître absolu et incontesté à bord, Paul-Louis Lemoigne tient son équipage d'une main de fer. Cela s'accompagne de décisions parfois abusives ou d'injustices flagrantes. Fanch est là, qui arrondit les angles, second parfait, jouant de la relation privilégiée qu'il a établie avec les membres de l'équipage, et de sa complicité avec Paul-Louis. À les écouter, on jurerait même que ces deux-là ont parfaitement compris le parti qu'ils pouvaient tirer de ce double jeu, évoquant la vieille méthode du gentil et du méchant flic en pratique dans tous les bons commissariats.
Enfin, il y a les imprévus. D'ailleurs mal nommés car il est rare, à vrai dire, que ne survienne pas durant ces trois mois, un incident qui nécessite de détourner le navire et de faire relâche une journée ou deux. Une avarie, un accident (le plus fréquent) ou une maladie - à l'instar de cette dernière pêche où la crise cardiaque de l'un des matelots a imposé une escale aux îles Kerguelen, afin qu'il soit acheminé par hélicoptère vers un centre de soins.
Crozet et Kerguelen sont les deux seuls bouts de terre émergées au milieu de ce nulle part, et il n'y a pas de port pour y accéder. Il faut alors mettre le canot à la mer et affronter les déferlantes pour rejoindre la côte.
Ces périlleux contretemps sont différemment vécus. Perte de temps pour les uns, joyeux intermède pour les autres, le débarquement sur ces plages recouvertes de manchots, parfois de nuit, est en tout cas à chaque fois un moment surprenant, par le fait de se retrouver là, dans cet endroit incroyable, mais aussi par ce qui se passe entre les hommes dans ces moments difficiles dit Fanch.
La navigation, la pêche, la vie à bord constituent un huis clos propice à la réflexion comme aux récriminations, aux échanges existentiels comme aux histoires de pirates (ils sont nombreux à fréquenter la zone de pêche !). Je suis dans la place et pratique à hauteur d'homme, une auscultation et un état des lieux. J’ai été embarqué par Fanch et Paul-Louis avec le statut officiel du filmeur. Ils m’ont pratiquement lancé le défi de les accompagner dans une campagne de pêche ; je ne me suis pas fait prier.
CHARLES VÉRON
En parallèle de ses études en sociologie, Charles Véron a appris à faire des films au Conservatoire Libre du Cinéma Français (Paris). Je fais des films comme je vis ma vie de tous les jours. Je peux m’inventer un tournage sur la banquise arctique rien que pour me faire plaisir, et partir ensuite à Mayotte, révulsé par ce qui se passe sur cette île sous prétexte de départementalisation. C’est parfois difficile et parfois léger, parfois austère et parfois tendre, parfois réussi et parfois… bof, souvent ça se mélange. La vie, quoi ! Charles Véron est un artisan qui fait ses films avec application et implication ; avec passion aussi.
Filmographie et entretien à retrouver sur Bretagne et diversité
La légine, poisson convoité par les pirates
LE MONDE >>> Kerguelen au petit matin, il suffit de voir, arrivant à Port-aux-Français, la physionomie de certains marins débarquer des palangriers pour se faire une immédiate conviction. La pêche dans les mers du Sud est tout sauf une sinécure. Les 40es rugissants et les 50es hurlants éprouvent, de manière permanente, ces hommes venus travailler dans l'océan Austral. Certains sont blessés, d'autres ont surtout besoin de l'écoute attentive et privée du médecin de la base. Ce sont des héritiers, dans les très basses latitudes, de l'épopée des terre-neuvas. Leur immense domaine des territoires de pêche est soumis aux conditions climatiques extrêmes, aux mers parmi les plus violentes et aux rigueurs de l'éloignement.
Leur base, l'île de la Réunion, est à 3 000 km. Le domaine de pêche s'étend 200 miles autour des îles Kerguelen, Crozet, Amsterdam et Saint-Paul, sur une superficie de 1,8 million de kilomètres carrés, soit trois fois celle du territoire métropolitain. Aujourd'hui, seuls six armements sont autorisés à pêcher dans les eaux australes, soit huit bâtiments. Tous sont basés à la Réunion.
Plusieurs espèces de poissons sont pêchées dans cette zone : le grenadier, le cabot, le gros yeux, la fausse morue, le bleu ou encore le poulpe. On y pêche aussi la langouste dans la zone d'Amsterdam et Saint- Paul, mais l'espèce la plus convoitée est la légine australe, très appréciée sur les marchés asiatiques et nord-américain.
Mais ce poisson au prix très élevé, est aussi extrêmement convoité par les pirates, mafia maritime fort bien organisée. La légine est ainsi l'objet d'une intense pêche illégale. Un bateau de pêche du Honduras, baptisé "Apache”, avait été repéré le 16 juin par les autorités australiennes à proximité des Kerguelen. L'Apache refusant de répondre aux injonctions qui lui étaient faites, l'Albatros, une frégate de la marine nationale, a tiré des coups de semonce pour stopper ce navire, l'une à 500 mètres, puis l'autre à 300 mètres à l'avant de sa proue. L'Apache acceptant alors de stopper, 60 tonnes de légine ont été découvertes dans ses cales.
Ce bateau a été ensuite dérouté vers la Réunion avec, à bord, 40 membres d'équipage de nationalités chilienne, espagnole, indonésienne et uruguayenne. Le commandant uruguayen et le capitaine de pêche espagnol ont été placés en garde à vue. Il est toujours très difficile d'identifier les commanditaires ou armateurs de ces bateaux. Indépendamment de la perte économique et de la mise à mal des stocks halieutiques de la légine, poisson très rare, ces pirates ne respectent pas la moindre règle de prudence à l'égard de la protection de l'environnement. On a ainsi estimé à 50 000 la mortalité annuelle d'oiseaux marins. Les pêcheurs illicites seraient, selon Greenpeace, responsables de la mort de 15 % de certaines populations d'albatros.
LE MONDE, Jean-Claude Ribaut >>> En France, la légine est une quasi-inconnue, bien que les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) constituent l'une des principales zones de pêche potentielle. À vrai dire, les pêcheurs pirates ne se sont pas privés de décimer l'espèce, dans ces territoires et ailleurs, au point de la mettre en péril.
NHU BRETAGNE >>> De plus en plus loin…
Un nouveau cap fut franchi pour la pêche thonière bretonne au début des années 1980.
Trois premiers thoniers océaniques congélateurs d’environ une soixantaine de mètres de long partent pour un très long voyage : l’Océan Indien, et plus particulièrement la République des Seychelles. En effet les eaux chaudes de cet océan recèlent d’importants bancs de thon. Et l’archipel des Seychelles deviendra la base logistique des grands navires.
Cette aventure bretonne continue depuis. En Bretagne le port thonier est Konk Kerne / Concarneau dans le sud de la Cornouaille. Les états majors des équipages sont pour la très grande majorité issus du pays Bigouden et de notre côte sud. Les marins au chalut, type de pêche qui a disparu sur nos côtes, ont trouvé au thon la suite de leur passion...
14 novembre 2019 19:34 - caparroy
Super images et belle approche de ce monde.
J'ai été controleur des pêches sur le premier palangrier soviétique (1991) autorisé à pêcher la Légine à Ker (Nicolai Primorets). Des supers souvenirs...
23 mars 2018 22:40 - Didier M
Posté à bord: j'ai beaucoup apprécié. Différents aspects du sujet sont intelligemment abordés.