Sentier de la gloire

Adrian joue dans un orchestre - le prélude d adrian

Le prélude d’Adrian raconte une période cruciale d’un apprenti pianiste, celle où il se révèle comme un potentiel concertiste. Cette assomption, la réalisatrice Laëtitia Gaudin-Le Puil l’a filmée au plus près. Son héros, Adrian Herpe, Ukrainien de mère, Breton de père, vit ce prélude à une carrière prometteuse à l’école de musique d’Oujhorod non loin de Lviv. Mu par une ambition sans bornes, assailli de recommandations, Adrian se laisse guider sans broncher. Il bosse, mais au-delà d’une technique irréprochable, il s’agit de révéler les œuvres et d’en transmettre l’émotion au public. Tu ne dois pas jouer comme un étudiant mais comme un grand artiste ! lui dit sa prof.

Voir des êtres s’accomplir au fil d’un récit est une expérience émouvante. C’est vraiment le cas ici, avec en sus l’occasion donnée de porter un regard sur l’Ukraine d’avant-guerre, avec des scènes du quotidien saisies au vol dans les espaces et les lieux traversés par Adrian. Que sont devenues ces personnes, notamment ces femmes qui l’ont encouragé, choyé, et qui le voyant partir à l’ouest ont fondu en larmes ?

BANDE-ANNONCE

LE PRÉLUDE D’ADRIAN

de Laëtitia Gaudin-Le Puil (2021 - 48')

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

Né d’un père breton et d’une mère née dans l’Union soviétique, Adrian Herpe est un jeune pianiste formé à l'école ukrainienne. Pour espérer un jour se produire dans de prestigieuses salles de concert, il lui faut faire un pas à l’ouest et rejoindre les bancs d’un conservatoire européen. Sa famille, étrangère à la musique classique, l’accompagne vaille que vaille, d’est en ouest, sur le chemin du succès.

>>> un film produit par Anna Lincoln de Kalanna production

INTENTION

Le temps était venu de raconter cette famille

Adrian et sa famille dans le train - Le prelude d Adrian ©Kalanna
©Kalanna

par Laëtitia Gaudin-Le Puil

J’avais 19 ans et pour la première fois, je quittais la Bretagne pour un pays étranger : l’Ukraine.

Michel, mon oncle, y vivait depuis dix ans. En 1994, il avait profité des perspectives offertes par la chute du mur de Berlin pour aller voir à l’Est si l’herbe était plus verte. Ce fils d’agriculteurs bretons, diplômé d’un IUT industries agroalimentaires, avait la bougeotte. Un ami ukrainien lui avait vendu les charmes de son pays : il y avait des choses à entreprendre sur les anciens kolkhozes. Il est parti sans prévenir, n’espérait rien de ce pays qu’il ne connaissait pas et pourtant, il n’est jamais revenu. Là-bas, il a rencontré Marianna, une belle brune longiligne aux yeux couleur iroise. Ils ont débarqué en Bretagne pour célébrer y célébrer leur mariage. Mes grands-parents ont un peu grincé des dents, mais ils ont tué le cochon, épluché des kilos de patates et organisé un banquet. De son côté, la Stasi du bourg a fait circuler la rumeur : Michel s’est fait passer la bague aux doigts par une fille de l’Est… forcément opportuniste. Leur union était suspecte. C’était suffisant pour qu’à mes yeux, ces deux-là aient ma sympathie et mon soutien. Ils étaient différents et leur présence dans notre famille me rapprochait des pays de l’ex-Union soviétique pour lesquels j’avais une attirance.


En 2000, Marianna a accouché d’Adrian. Il avait neuf mois quand je me suis assise à côté de lui, à l’arrière de la petite Citroën blanche, pour rejoindre Oujhorod, à la frontière hongroise. 2300 kilomètres. Trois jours de voyage. C’était l’été, il faisait chaud et le couple était désargenté. On pique-niquait sur les aires d’autoroute. Au passage des péages, à la caisse des stations-service, Marianna faisait les comptes. Adrian semblait programmé pour ces longs trajets, sur les routes d’Europe. Je l’observais et je m’interrogeais : de quel bois ce garçon est-il fait ?

De mon premier voyage en Ukraine, j’ai retenu l’hospitalité des gens dans les villages et leurs discussions animées dans de petites cuisines chauffées au bois, autour de tranches de gras de cochon et de varenikis (raviolis garnis de chou) arrosés de crème fraîche. Si j’occultais la rencontre avec un ami du journaliste Gueorgui Gongadze, décapité quelques mois plus tôt, j’en étais convaincue : un pays où l’on mange bien, une population qui accueille bien ses hôtes étrangers, ne pouvait pas être complètement vicié ! La langue en bouche, mon oncle, converti au(x) charme(s) et aux perspectives agricoles de ce pays, était devenu l’un des leurs. J’étais moi aussi séduite. Je suis rentrée sereine en Bretagne : le petit garçon aux yeux rieurs serait bientôt un homme riche d’une double culture. Et, je ne pouvais pas le deviner à l’arrière de la petite auto blanche, un pianiste talentueux aux ambitions XXL.
Avec les années, mes parents et mes grands-parents ont continué à se désintéresser de ce pays. Ils n’y ont jamais mis les pieds. L’idée ne les a pas effleurés. Ma grand-mère n’est jamais allée plus loin que Dinard ! Dans les villages ukrainiens, mes grands-parents auraient pourtant trouvé de nombreux points communs avec les valeurs paysannes qui sont les leurs. J’ai gardé pour l’Ukraine de la sympathie et de l’appétit. L’été, quand la famille venait passer quelques jours en Bretagne, Michel débriefait pour moi la situation. Ses récits étaient bercés par le romantisme mélancolique et pimentés par les affaires, les désillusions, les élans populaires (la Révolution orange de 2004) et la corruption. Mon oncle tournait la chose en dérision, sans jamais se départir de sa bienveillance. Il était devenu un observateur chevronné et avait gardé la distance nécessaire pour commenter avec objectivité. Mais ce n’était pas sans lyrisme ! Ses chroniques étaient picaresques. Marianna écoutait et les éclairait de son expérience de jeune fille élevée sous le joug de l’Union soviétique. Plus tard, Adrian a ajouté de l’eau au moulin. Lui aussi était préoccupé par l’irresponsabilité politique des dirigeants ukrainiens. Ses interventions, référencées et argumentées surprenaient et confirmaient l’impression de départ de notre grand-mère : Il est différent…

En février 2014, je suis retournée en Ukraine. Je n’étais plus la jeune fille attirée par les écrits d’Anna Politkovskaïa, de Gogol ou d’Andrei Kourkov mais une journaliste curieuse d’observer l’occupation de la place Maïdan, à Kiev. Michel et Marianna observaient la révolution à distance. Ils veillaient la nuit devant leurs écrans. Ils supportaient les manifestants, leur envoyaient des messages de soutien mais ils étaient inquiets. Cet épisode nous a étrangement rapprochés. J’étais devenue l’une des leurs, témoin directe d’une page de leur Histoire.
Ces derniers mois, j’ai souvent séjourné à Oujhorod. J’en avais l’intuition : le temps était venu de raconter cette famille à une charnière de leur histoire commune. Je les ai découverts réglés sur l’horloge Chopin et mobilisés autour du rêve d’Adrian : intégrer en septembre le Conservatoire national de musique et de danse de Paris pour espérer, un jour, devenir pianiste-concertiste. L’ambition est grande. Son talent aussi. Les enjeux, à l’échelle de la famille, et peut-être même du pays, tout autant. Français, Européen, Ukrainien, interprète de Chopin, de Debussy ou de Rachmaninov, le jeune homme incarne l’avenir.

Depuis sa naissance, Adrian me trouble. L’été, en Bretagne, quand il était plus jeune, j’observais sa singularité, celle d’un garçon bilingue, doué d’une mémoire remarquable, qui avait le goût des conversations d’adulte. Mon intérêt a encore monté d’un cran quand, un été, en vacances chez nos grands-parents, le garçon de sept ans s’est assis devant un clavier électronique pour réviser ses gammes. Comme lui, l’instrument avait fait le voyage d’Ukraine. Même s’il était doué, les répétitions étaient laborieuses. Il pleurait, négociait avec ses parents, argumentait. Lui aurait préféré accompagner papy dans les champs. Pas de coup de foudre pour l’instrument mais un compagnonnage amoureux pavé de difficultés. À partir de treize ans, il a commencé à emprunter les circuits des concours de piano. En Ukraine d’abord. Puis en Europe de l’Est. Enfin, en France. Il raflait à chaque fois la mise. La compétition l’anime. La scène le galvanise. Il connait tout de la vie des compositeurs classiques. Je suis fascinée par ce qu’il est en train de devenir. Et je ne suis pas la seule. Sa personnalité fédère les énergies : celles de sa famille, de ses professeurs, de ses amis, des musiciens et des mélomanes qui croisent son chemin. Tourné entre juillet 2018 et mars 2021, le film raconte la fin des années au lycée, le grand écart Est-Ouest, la séparation, l’ambition. Aux côtés d’Adrian, pour le soutenir, une famille en ordre de marche, et moi, avec la caméra, à leurs côtés pour questionner un rêve adolescent promis à des réalités d’adultes.
L'Ukraine est le théâtre de mon huis-clos familial. C’est le pays qui a permis à Adrian de devenir musicien et aux trois autres d’être un peu plus qu’un paysan, une mère de famille ou une adolescente éprise de liberté. À situation professionnelle égale en France, Michel le sait, il n’aurait pas pu offrir de cours de musique à ses enfants. De l’Ukraine, les Européens ne voient que le verre à moitié vide : les élans révolutionnaires qui font pschitt, les cuites de trois jours à la vodka après les travaux des champs, la corruption, etc. Les quatre membres de la famille ne regardent que le verre à moitié plein. Chacun à leur manière, ils se sont investis dans ce projet documentaire comme ils se sont investis autour d’Adrian. Mais, s’ils m’ont dit oui, ils ont aussi posé leurs conditions : ne pas massacrer la musique classique et montrer l’Ukraine autrement. J’espère avoir réussi.

BIOGRAPHIE

Laëtitia Gaudin-Le Puil

Portrait laetitia gaudin le puil © Eric Legret
© Eric Legret

Laëtitia Gaudin-Le Puil est une journaliste indépendante, autrice et réalisatrice bretonne. En France, au Rwanda, en Ukraine, elle aime les sujets incarnés qui racontent l’époque et donnent la parole aux taiseux, aux modestes. Ils lui confient leurs vies, elle les restitue en leur donnant une dimension universelle. En 2018, elle coréalise Bienvenue Mister Chang, l’histoire d'exil de son amie d'enfance Maryse Chang. Cette première expérience lui donne le goût du récit documentaire. En 2021, elle réalise Le prélude d’Adrian, sorti juste quelques semaines avant la guerre des Russes en Ukraine.

BIOGRAPHIE

Adrian Herpe

portrait Adrian Herpe ©Dmitry Roman
©Dmitry Roman

Adrian Herpe est né en 2000 à Quimperlé d’un père breton et d’une mère ukrainienne. Le cœur à l’ouest, la tête à l’est. À sept ans, quand une professeure de piano de l’école des arts d’Oujhorod se présente en classe pour recruter de nouveaux élèves, Adrian lève spontanément la main. La rencontre avec l’instrument est laborieuse mais le garçon est doué et curieux. Et de son père agriculteur, il a hérité du goût de l’effort. Ludmila Pitrovna, sa professeure, est modérément drôle, exagérément pointilleuse, totalement dévouée à ses élèves. Rapidement, elle décèle le potentiel du garçon. À douze ans, Adrian sait lire la musique. À treize ans, il gagne son premier concours régional en Ukraine. À quatorze ans, il intègre le lycée musical d’Oujhorod. Il a des envies de scène, de compétition et se nourrit des biographies de compositeurs classiques.


À seize ans, au concours international de piano de Brest, il remporte deux prix sur trois et coiffe au poteau des étudiants du conservatoire national de Paris. Lui était en seconde année au lycée musical. Un talent donc, doué en plus d’un solide bagage intellectuel, d’une conscience politique, d’une apparence flatteuse et d’un humour grinçant. En attendant Adrian reste un adolescent bien dans ses baskets, chahuté par l’envie d’y arriver, les doutes et le sentiment amoureux. Les documentaires qui racontent les destins des pianistes Trifanov, Matzuev et Sultanov l’accompagnent dans son parcours. Le weekend, en famille, devant l’écran de télévision, il commente, détaille et s’enthousiasme devant le jeu de ces maîtres. Il n’est pas envieux. Il ne se compare pas. Il admire et parfois, secrètement, se projette dans son idéal : être concertiste.
Il poursuit aujourd'hui sa préparation aux grands rendez-vous internationaux de la musique classique, tout en terminant son cycle d'enseignement au Conservatoire royal de Bruxelles qu'il a intégré en 2019.

REVUE DU WEB

Les pianistes Ukrainien en exil

RADIO FRANCE >>> Avant la guerre, elle s’entraînait au moins quatre heures par jour. Elle avait également remporté de grands concours internationaux de musique, et elle était promise à un grand avenir. Puis, deux jours avant ses quatorze ans, Moscou envahit son pays.

LE FIGARO >>> Dans sa maison éventrée par les bombardements, la pianiste professionnelle Irina Maniukina joue une dernière fois sur son piano.
LA DÉPÊCHE >>> Le Conservatoire de Toulouse ouvre ses portes à des réfugiés ukrainiens pour qu’ils puissent continuer à pratiquer leur instrument de musique.

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    réalisation Laëtitia Gaudin-Le Puil

    image Nicolas Leborgne

    son Pablo Salaün, Samuel Mittelman

    montage image et étalonnage Nico Peltier

    montage son et mixage Pablo Salaün

    coproduction Kalanna, Tébéo, TébéSud et TVR

    avec le soutien de la Région Bretagne et du CNC

    Artistes cités sur cette page

    Portrait laetitia gaudin le puil © Eric Legret

    Laëtitia Gaudin-Le Puil

    portrait Adrian Herpe ©Dmitry Roman

    Adrian Herpe

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