Testons la population
Dans Rase campagne, Pierre-Emmanuel Urcun raconte avec trois ans d’avance les vaines tentatives d’endiguer une épidémie. Ce faisant il nous offre une tranche de vie rurale pas piquée des hannetons. Les deux ambulanciers supposés appliquer le protocole errent sur les routes des monts d’Arrée, et s’enfoncent dans une épaisse végétation en quête de Maurice potentiellement positif à Ébola, mais rétif à passer le test. De cette campagne où les humains se font rares et où leurs conversations tournent court, sourd un désarroi qui confine à l’absurde.
Et si tout cela finit bien, l’on ressort de cette étrange histoire avec un sentiment d’étrangeté douce-amère.
RASE CAMPAGNE
RASE CAMPAGNE
de Pierre-Emmanuel Urcun (2017 - 31’)
Un village perdu dans la campagne finistérienne. Un homme est suspecté d’être porteur du virus Ebola. Il est noir. C’est Maurice. Son meilleur ami, Michel, ambulancier, sillonne le territoire avec son stagiaire Rémi pour le retrouver et le contrôler.
>>> un film produit par Stank
Des personnages doués d’humanité
Des personnages doués d’humanité
par Pierre-Emmanuel Urcun
L'idée de Rase campagne est née d'un rêve, celui de deux hommes en combinaisons jaunes qui déambulent dans la lande brulée des monts d'Arrée. Je ne saurais expliquer pleinement le processus de la genèse de ce rêve mais en creusant j'ai compris qu'il venait probablement de la collision entre mon envie profonde de tourner là et un fait divers où un jeune migrant guinéen avait été traqué puis isolé en pleine ville sous les yeux médusés des passants car suspecté d'être infecté par le virus Ébola. L'image du jeune homme hagard entouré d'hommes en combinaisons jaunes m'avait marqué. Le scénario du film s'est composé à partir de cette scène fondatrice. Sous la forme d'une enquête ubuesque, guidés par Michel et Rémy, ambulanciers débonnaires à la recherche de Maurice, on s'immisce dans le quotidien d'une campagne morne et fatiguée. On croise des paysages, des visages, des âmes burinées par la vie, des personnages aux traits forcés mais toujours doués d'humanité.
Michel, le fatalisme campagnard
Michel incarne la campagne d'avant qui se débat dans le monde contemporain. Pour survivre, il a cultivé une forme d'insensibilité. Meurtri par un amour déçu, écrasé par la langueur monotone de sa campagne, sa peau s'est tannée, la vie et le travail l'ont usé. Michel c'est aussi l'ami, le frère, le double. Avec Maurice, ils ont fait les quatre cents coups. Ils se connaissent par cœur et se ressemblent en de nombreux points. Mais pourquoi agir ainsi, avec tant de distance et d'insensibilité ? Parce que rien n'est facile, parce qu'en amitié on est parfois faible, on fait des erreurs. Michel a choisi de laisser parler sa conscience professionnelle et s'est rangé du côté de l'humeur méfiante et inquisitrice du village.
Ce personnage, je l'ai écrit sur mesure pour un compagnon de cinéma, Ludovic Bastide avec qui je collabore depuis une dizaine d'année (dont Profession supporter, Le dernier des céfrans). Nous avons cheminé ensemble. Depuis nos premiers balbutiements de cinéma, nous avons appris à nous connaître et à développer un langage commun. Ce rôle, je l'ai composé en me laissant guider par sa personnalité nonchalante et son amour du jeu et du cinéma.
Rémi, la candeur et l’innocence.
Timide, jeune et naïf, Rémi est un témoin qui n'a pas encore tout à fait forgé sa propre conscience du monde. Il voit bien que quelque chose ne tourne pas rond mais ne peut l'identifier. Faute de comprendre, il suit et observe. L'histoire, on la suit de son point de vue, bienveillant. On suit avec lui le fil de l'enquête, on arpente le chemin de son apprentissage et sa confrontation à l'autre.
Le comédien qui joue le personnage de Rémi s'appelle Angel, je l'ai rencontré un soir autour d'une bière. Il venait de participer à un documentaire réalisé par Adrien Lecouturier (Angel et Jeanne). Ce fut comme un flash. Difficile de savoir pourquoi. Sa façon d'être, son regard beau et candide, son petit cheveu sur la langue ? Je ne sais pas. Je ne savais pas non plus quand nos chemins allaient se croiser de nouveau mais c’était écrit. Quand l'idée de Rase campagne s'est matérialisée, j'ai tout de suite voulu organiser la rencontre entre Ludovic et Angel et faire vivre ce duo : la rencontre entre un bloc minéral et une jeune brise fraiche et insouciante.
Pierre-Emmanuel Urcun
Pierre-Emmanuel Urcun
Pierre-Emmanuel Urcun est né à Brest en 1979. Il est diplômé de la Fémis. Il a co-fondé la société de production Stank, collectif d'auteurs-producteurs, en 2012. En 2015, il est lauréat du prix Jean Vigo pour son court métrage Le dernier des céfrans.
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