Du sadomasochisme
Avec Reconstitution d’une scène de chasse, l’autrice Patricia Allio nous invite à sortir de la sexualité conventionnelle pour nous entraîner sur le terrain du sadomasochisme avec, en maîtresse de cérémonie, Catherine Robbe-Grillet, autrice et actrice, et veuve du grand écrivain.
Une partie de chasse où les chiens parcourent le bois sans trêve, où le gibier est une femme. À l’instar de Catherine Deneuve dans Belle de jour de Buñuel, des femmes s’engagent dans ce simulacre où la peur et la souffrance conduisent au plaisir. Il s’agit pour elles de se réapproprier un fantasme représenté par des hommes : Botticelli, le Titien, Ucello...
Le regard de Patricia Allio s’attarde sur les instruments de la soumission : sifflet, chaîne, tire-crin, cutter, couteau, menottes, cravache… tout cela pour être ligotée, incarcérée, subordonnée, égratignée, lacérée, suppliciée… Se pose en conséquence la question des liens du désir et de la violence.
RECONSTITUTION D’UNE SCÈNE DE CHASSE
RECONSTITUTION D’UNE SCÈNE DE CHASSE
de Patricia Allio (2019 - 35’)
Reconstitution d’une scène de chasse explore le fantasme d’une chasse dont le gibier serait une femme, depuis ses origines littéraires et picturales, jusqu’au passage à l’acte.
Attention ! Le contenu de ce film n’est pas adapté à un jeune public et, par ailleurs, l'écran noir fait bien partie de son écriture.
>>> un film produit par Le GREC
La violence d’un fantasme
La violence d’un fantasme
par Patricia Allio
Une chasse, j’en ai toujours rêvé : c’est avec cette déclaration que la dominatrice Jeanne De Berg ouvre le film. Rêve de chasse de poursuite de chien : c’est avec des poèmes que la soumise Belkis exprime son désir d’être une proie. Reconstitution d'une scène de chasse est la traversée onirique et poétique d'un fantasme, celui d’une chasse dont le gibier serait une femme. S’écartant des stéréotypes du sadomasochisme, le film restitue la complexité dialectique d’un désir hors norme. Le récit à trois voix de cette expérience limite placée sous le régime du consentement explore la violence d’un fantasme originairement masculin, ici réapproprié par des femmes.
De ces cérémonies, il n’y aura pas d’image : cette phrase de Jeanne de Berg a constitué un leitmotiv pour la reconstitution filmique de la cérémonie de la chasse qu’elle a conçue. Ce film se place sous le signe du secret et de l’énigme. J’ai souhaité échapper au trash tout en stimulant l’imagination et les fantasmes des spectateur.ice.s.
Par ailleurs, j’ai voulu mettre en scène un théâtre de la cruauté où le trouble du désir hors-norme s’exprime sans jugement moral. Ainsi, c’est le traitement pictural de la scène de chasse qui est montré et représenté, non la scène de chasse SM qui fait l’objet d’un récit par Jeanne De Berg, alias Catherine Robbe-Grillet, racontant en détail, dans un plan séquence fixe. J’ai privilégié un temps long de prise de parole et une atmosphère calme, afin qu’on ait l’espace de s’interroger sur cette pratique violente proche d’un rituel cathartique, mais aussi sur notre propre relation au fantasme et à la violence.
Dans ce désir de mettre en scène un petit théâtre de la cruauté, j’ai voulu aussi restituer la minutie du protocole. J’avais envie de me rapprocher de l’esthétique de reconstitution d’une scène de crime en créant et en filmant une installation qu’on regarderait finalement comme une nature morte. J’ai voulu un décor neutre, des murs blancs, une table recouverte d’une nappe blanche où les accessoires ayant servi pour la cérémonie sont posés, nettement identifiables et détachés les uns des autres, où le regard est happé par les objets. De plus, la particularité de ce film, c’est qu’à chaque fois qu’un élément de réel intervient, c’est pour mieux creuser et flouter la séparation entre fiction et réalité. Le réel est fictionnel, même lorsque l’on touche la reconstitution très précise des événements. Ce qui lie dramaturgiquement l’ensemble du film, c’est la présence de fantômes qui hantent l’espace mental de la protagoniste mais aussi l’écran, devenant fantasmes.
Mon intention était aussi de restituer l’intimité de la relation entre Belkis et Catherine Robbe-Grillet, et de travailler une forme de contraste entre la douceur distanciée de celle-ci et la violence de la scène de chasse. J’avais envie que les spectateur.ice.s aient l’impression que ce récit leur soit adressé en particulier, mais qu’ils et elles puissent aussi reconsidérer le rapport à la violence exercé et désiré dans le SM, paradoxalement lié au soin et aux sentiments.
Par ailleurs, dès le début du montage, je savais que la base de celui-ci serait musical tant j’étais obsédée par les rythmes saccadés du morceau électro-techno que Gaëlle Vidal a intitulé Accords perdus ; un morceau de transe d’une durée de vingt minutes qui traduit une course poursuite. Je voulais m’appuyer sur ce morceau qui galope pour faire éprouver la violence obsessionnelle du désir d’être une proie de Belkis, le vertige du temps dans lequel s’inscrit ce désir, et d’amener le spectateur à éprouver cette même transe énigmatique.
Ce film n’explique rien, il propose une expérience du temps. La transe musicale semble n’avoir pas de fin, comme le scénario de la chasse qui, repris et mis en abîme dans des poèmes et des tableaux, semble lui aussi pris dans un temps cyclique : le temps du fantasme, hors du temps.
Patricia Allio
Patricia Allio
À la fois autrice, metteuse en scène, performeuse et réalisatrice, Patricia Allio est une artiste pluridisciplinaire. Depuis les années 2000, elle écrit ou co-écrit pour la scène et le cinéma. Elle aime mettre la marge au centre de son travail, et interroger les constructions identitaires. Elle a ainsi travaillé en binôme pendant huit années avec la réalisatrice et metteuse en scène Éléonore Weber, avec qui elle a notamment écrit et mis en scène Natural Beauty Museum au centre Pompidou. Elle est également l’autrice d’Autoportrait à ma grand-mère, une quête familiale qui questionne les limites de la transmission générationnelle, et de Brûler pour briller, son premier long métrage, sorti en 2022. Elle est par ailleurs une artiste associée au TNB de Rennes et directrice de l’association ICE, qui promeut les écritures contemporaines dans le monde du spectacle et dans le milieu artistique de manière générale. Elle prépare actuellement la tournée européenne de sa pièce Dispak Dispac’h, présentée pour la première fois lors du festival TNB 2021.
Catherine Robbe-Grillet
Catherine Robbe-Grillet
Catherine Robbe-Grillet est une écrivaine, actrice et dominatrice française née à Paris en 1930 dans une famille d’origine arménienne. Elle est également connue sous les noms de Jeanne De Berg et Catherine Carayon, qu’elle utilise pour l’écriture de ses romans. En 1951, elle fait la rencontre de l’écrivain et réalisateur Alain Robbe-Grillet, qui devient son mari six ans plus tard et l’initie aux pratiques sadomasochistes. D’abord soumise, elle devient au fil du temps une dominatrice et maîtresse de cérémonie reconnue dans le milieu. En s’inspirant de ses propres expériences, elle produit des œuvres littéraires telles que L’Image, Cérémonies de femmes et Entretien avec Jeanne de Berg, qui traitent majoritairement de BDSM. Elle publie également un roman autobiographique, Jeune mariée : journal 1957 – 1962 où elle y raconte ses premières années de mariage.
En 2010, elle renoue avec sa première passion, le cinéma, et joue son propre rôle dans le court métrage Le Contrat. Il y est question de sa relation avec l’actrice et metteuse en scène Beverly Charpentier, avec qui elle se marie en 2018. Elle interprète également Madeleine dans la pièce Savannah Bay de Marguerite Duras et mise en scène par Beverly Charpentier. Fervente défenseuse de la liberté sexuelle, elle publie en 2003 une lettre ouverte contre la loi interdisant la prostitution passive et prend part en 2018 au collectif défendant une liberté d’importuner, en réaction aux féministes post MeToo qui auraient une vision trop haineuse des hommes.
Maîtresse femme
Maîtresse femme
FRANCE INTER >>> Catherine Robbe-Grillet est l’invitée d’À voix nue, pour parler de littérature, d’amour, de sadomasochisme et de son rapport au féminisme.
FRANCE CULTURE >>> Mariée à la tête de file du Nouveau Roman, Catherine Robbe-Grillet fut une figure littéraire majeure de la scène érotique des années 1970-80, et est, encore aujourd’hui une des maîtresses de cérémonies BDSM les plus connues et respectées dans le monde.
SOUNDCLOUD >>> Dans le podcast Vieille Branche, Catherine Robbe-Grillet parle de cérémonies sadomasochistes, de son corps, de religion et de libération sexuelle.
LIBÉRATION >>> En 2012, Catherine Robbe-Grillet publie Alain, un ouvrage en l’honneur de son mari disparu quelques années plus tôt. Elle revient sur leur histoire, leur intimité et leur complicité.
VIMÉO >>> Interview de Patricia Allio, sur son parcours et sa rencontre avec Catherine Robbe-Grillet, à l’occasion de la diffusion de son film Reconstitution d’une scène de chasse au festival Côté Court.
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