Mémoire ouvrière

René Magré CGT - La relève

Hubert Budor a consacré une part de sa filmographie à la mémoire ouvrière, que ce soit dans l’industrie automobile à Rennes ou ici, dans la construction navale à Saint-Nazaire. Le héros de son film, René Magré, était délégué syndical aux Chantiers de l’Atlantique. Aujourd’hui disparu, ce sont ses fils qui reconstituent le puzzle des souvenirs laissés au fil de son parcours. La relève révèle l’exigence du père dans son exercice du rapport de force face aux patrons, combien cet engagement suppose de sacrifices tout en étant une forme d’accomplissement personnel. Sa lutte se situe dans la période où la compétition économique se mondialise et où la survie des chantiers passe par de douloureuses réorganisations.

Tourné dans l'impressionnant site de construction des paquebots géants, ce film a plus d’un mérite dont celui de nous rappeler aux réalités du monde ouvrier dans une époque où son invisibilité sociale est notable jusque sur les bancs de l’Assemblée nationale.

BANDE-ANNONCE

LA RELÈVE

d'Hubert Budor (2019 - 52')

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

Olivier et Vincent Magré sont professeurs en lycée dans la région de Saint-Nazaire. À la mort de leur père, ancien ouvrier et délégué syndical des Chantiers de l’Atlantique, ils découvrent l’ampleur de ses combats dont il ne leur parlait jamais. Ils cherchent à se réapproprier son histoire et questionnent leurs propres engagements.

>>> un film produit par Gilles Padovani, .Mille et Une. Films

INTENTION

Le militantisme en héritage

Foule de manifestation - La relève

Fin 2017 à Nantes, je rencontre Olivier et Vincent Magré, âgés de 50 et 45 ans. Chacun est prof de lycée, l'un de techniques du cinéma et l'autre de philosophie. Leur origine sociale revient souvent dans leur conversation. Ils ont vécu leur enfance à Saint-Nazaire, à proximité des Chantiers navals où leur père était ajusteur et surtout délégué syndical durant 30 ans. René Magré est décédé en 2011. D'emblée, leurs questionnements résonnent en moi. Mon propre héritage, mon parcours et la question obsédante de la transmission me rapprochent d'eux. J’aime leur connivence et leur facilité à échanger malgré des divergences. Je suis surpris d’ailleurs qu’elles soient si marquées. Très vite, j’ai eu envie de comprendre leur histoire personnelle et celle de leur famille, de les accompagner dans leur redécouverte du père. J’avais l’intuition qu’un film qui parlerait d’engagement et de transmission au temps présent était possible. Depuis 20 ans, la mémoire ouvrière et l’engagement syndical sont des thèmes récurrents de mes films. Ici ce ne sont plus les ouvriers ou leurs représentants qui sont au centre de ma démarche, mais leurs descendants.


UN ATTACHEMENT AUX VALEURS DU MONDE OUVRIER

Olivier et Vincent ne sont pas ouvriers, mais ils gardent un attachement à ce monde et à ses valeurs. Ils en sont les héritiers et se demandent comment en être dignes, dans un contexte autre et depuis une position sociale différente. J’ai passé du temps avec eux. Je les ai écoutés, ensemble et séparément, et observés dans leurs vies familiales et professionnelles respectives. Les deux frères ont des personnalités contrastées. De prime abord, Olivier semble un peu froid et distant. Il a besoin de prévoir, d'anticiper, de jauger ses interlocuteurs. Mais une fois en confiance, il se montre généreux et enthousiaste. Vincent est beaucoup plus direct, plus loquace, plus physique. Il lâche ce qu’il a à dire, exprimant aisément ce qu’il ressent. Les deux hommes exercent avec conviction leur métier d’enseignant qui relève pour eux d’une forme d’engagement et les inscrit dans une démarche de transmission à laquelle ils sont attachés. Le contraste le plus intéressant à mes yeux entre Olivier et Vincent réside dans le rapport qu’ils entretiennent avec leur milieu social d’origine et à la classe ouvrière. Olivier s’est toujours senti fier de ses origines et des combats de son père et a investi ses études comme un moyen d’ascension sociale, s’inscrivant dans l'attente de ses parents. Mon origine ouvrière, je l’ai prise en compte en me projetant dans les études pour ne pas être pris pour un con, pour être respecté. L’engagement de son père, il le conforme à ses propres désirs, en épousant les combats de son temps. Vincent, moins porté sur les études, a cherché ailleurs ses repères : dans le quartier, les immeubles d’à côté, auprès de ses copains fils d’immigrés. Il a assuré le coup dans ses études a minima mais a appris, plus tôt qu’Olivier, à aller vers les gens, les découvrir, être à leur écoute. Il dit se sentir plus à l’aise au contact de personnes de milieu modeste et fuit les loisirs chers, propres à son milieu social. C’est dans la prise de responsabilités politiques, à laquelle il prend un plaisir certain, qu’il a trouvé une façon de s’inscrire dans l’héritage paternel.

Leur père, René, était un homme à la stature impressionnante qui a marqué les esprits. Lui-même fils d’ouvrier, il connait la grande épopée de la construction navale dans l’estuaire de la Loire, du célèbre paquebot France inauguré en 1960 jusqu’au gigantesque transatlantique Queen Mary 2 en 2000. Il adhère à la CGT en 1967 alors que la France profite encore de la reconstruction des années d’après-guerre, d’un certain confort, voire d’une belle insouciance. À partir des années 70, les crises à répétition vont peu à peu chambouler l’économie mondiale et les rapports sociaux. René sera alors de tous les combats en se mobilisant pour l’arrivée de nouvelles commandes aux Chantiers navals. Il exercera également quatre mandats d’élu municipal consécutifs de 1977 à 2001.

Aujourd’hui, Olivier et Vincent ne sont pas pris dans un mouvement collectif porteur, comme celui dans lequel s’épanouissait leur père. Les temps ont changé. Cependant la distance prise vis-à-vis de leur milieu d’origine est assumée par eux comme un moteur de réflexion et d’action. Dans leurs engagements, ils proposent des solutions plus locales et individuelles, inventent des liens nouveaux et des manières de faire, reprenant, à leur échelle, les valeurs et les actes qui constituent bel et bien leur héritage : la justice sociale, l’égalité, les solidarités et la nécessité de l’action, par la parole, l’écrit, le collectif. Sur deux générations, ce sont les mêmes urgences, dans des contextes économiques, sociétaux et politiques différents.

Faire ce film m’a permis de questionner deux notions essentielles et intimement liées. La transmission tout d’abord. Accompagner Olivier et Vincent, les voir redessiner les contours d’une figure paternelle questionnée avec leur regard d’adultes, c’est interroger au plus près la notion de transmission, les voies multiples qu’elle emprunte, sa dimension dynamique, ouverte.

L’engagement, ensuite. Tout au long du film, les deux frères mettent en lumière les valeurs de l’engagement et du militantisme. En nous donnant accès à l’histoire de René. En côtoyant les militants politiques et associatifs avec qui ils réfléchissent aujourd’hui. En accompagnant les premiers engagements de leurs enfants respectifs.

J’ai choisi de mettre en scène une multitude de gens agissants, refusant la résignation. Entendre et voir en action cette succession de personnes investies donne à ce film une dimension politique, à mes yeux salutaire.

BIOGRAPHIE

Hubert Budor

Hubert Budor réalisateur

Hubert Budor émet l’hypothèse qu’il s’est lui-même construit à travers le cinéma. Au départ, il va voir pratiquement tous les films à l’affiche, histoire de découvrir le monde. Ensuite, il revient vers les siens, dans la campagne rennaise, avec l’idée qu’on peut raconter les paysages humains armé d’une simple caméra. J’étais un adolescent timide, et plutôt que de traîner en bande ou d’apprivoiser les jeunes filles, je préférais m’enfermer dans les salles de cinéma. Tout ce que je gagnais en bossant sur les marchés les samedis, y passait. Je suis allé de découverte en découverte, jusqu'à La flûte enchantée de Bergman, dont je suis ressorti éberlué !


Passé par une école de cinéma à Paris, les rencontres en Bretagne font le reste. Notamment une assez longue expérience au sein de Master Production avec Jakez Bernard et les films de commande, comme celui sur les écoles Diwan, Skol Diwan et un Mathurin Méheut en 1996, pour la télévision. Tous ces films renforcent la conviction d’Hubert qu’il fera le métier de documentariste.

Ce sont les années de L’héritage des Celtes, une superproduction musicale sous la houlette de Dan ar Braz. Moi, je tends plutôt l’oreille vers Titi Robin, un musicien singulier qui aime aller à la rencontre des autres : Erik Marchand en Bretagne, les Gitans et la musique arabo-andalouse, les Indiens du Rajasthan. Ces ailleurs, je décide de les explorer avec Titi, qui demeure pour moi une extraordinaire rencontre. Nous nous voyons encore aujourd’hui et je reste attaché à ce film réalisé en 1999 : Famille nombreuse, Thierry Titi Robin.
J’ai pris confiance et je sais qu’il m’est désormais possible d’explorer mon propre univers familial, de remonter à la source des conversations partagées à la table de la cuisine, à la campagne, où, enfant, je revenais toutes les fins de semaine. On y parlait de Citroën, l’usine ouverte en 1961 et qui fit appel à plus de 12 000 paysans des environs pour travailler sur ses chaînes. Rengaine sur les conditions de travail, sur le syndicalisme maison, sur l’obligation d’acheter une Citroën justement… Tout était enfoui en moi et à l’occasion de Paysans de Citroën, en 2001, je vais rendre la parole à ces paysans-ouvriers si longtemps silencieux.
La suite logique de cette réalisation qui croise ruralité et syndicalisme sera, bien des années plus tard, en 2012, le film Discriminations, qui revient sur les droits des travailleurs et des syndicats. En gestation, un autre film pour continuer l’exploration familiale.
Un autre film d'Hubert : Les Confidences. C’est Jean-Louis Le Vallégant, talentueux et créatif musicien breton, dans ses multiples façons d’aller à la rencontre des autres. La musique, il s’en sert pour amplifier, valoriser les récits de vie qu’il recueille, auprès de collégiens, de personnes âgées, d’habitants de Scaër ou de Saint-Nazaire, de personnes hospitalisées, ou de ceux qu’on appelle pudiquement parfois les invisibles. Une réflexion artistique sur l’altérité, un spectacle intitulé Confidences sonores, qui donnera son nom au film.
Parenthèse exotique au milieu de cette filmographie, L’expédition Jivaro, en 2008, rencontre avec Jean de Guébriant, qui participa en 1936 à la première expédition française partie à la rencontre des Jivaro d’Amazonie. On pourrait presque parler de fiction, tant est étrange ce vieux monsieur sanglé dans son costume, trônant dans son manoir léonard mal chauffé, évoquant ces sauvages, nous incitant même à nous questionner sur qui étaient vraiment les sauvages à cette époque-là... tout en lançant des regards attendris sur cette tête réduite de Jivaro, posée sur une console, tête dont il ne se sépare pas, rien de moins qu’un chef Jivaro devenu alors son ami…
Des désirs de rencontres et de récits de cet acabit, j’en ai toujours qui tournent en moi, avoue Hubert. Les ailleurs ne sont pas toujours si loin, pour moi c’est important aussi de filmer les adolescents du quartier du Blosne, au sud de Rennes. Ils m’ont aussi touché dans L’Histoire en cours, par exemple, un film de 2007. Encore un autre monde…
Source : Portrait du réalisateur sur Bretagne & Diversité

REVUE DU WEB

René Magré, figure de la CGT

OUEST EN MÉMOIRE >>> Les chantiers de la Loire à Saint-Nazaire et la construction navale en crise

OUEST FRANCE >>> C’était mon mentor… Ces mots de Christian Duval synthétisent le souvenir fort qu’il garde de René Magré qui fut à partir de 1980 le leader de la CGT du site de Penhoët. En mai 1994, il lui a succédé à la tête du syndicat de la navale nazairienne. C’était un maître à tous les niveaux. Un autodidacte qui travaillait beaucoup, qui était toujours en réflexion et qui avait une grande exigence envers lui et les autres. Il avait un caractère pas facile.

FRANCE 3 BRETAGNE >>> Avec un chiffre d'affaires annuel de plus de 1,5 milliard d'euros, Saint Nazaire est le plus grand chantier naval d’Europe. Depuis 2016, huit paquebots gigantesques ont été mis à la mer. Les chantiers de l'Atlantique font partie aujourd'hui du patrimoine maritime français. Retour sur 15 ans d’une histoire contrastée.

CENTRE D’HISTOIRE DU TRAVAIL >>> Mai 68 à Saint-Nazaire, photos de l'UL CGT de Saint-Nazaire.

COMMENTAIRES

  • 25 janvier 2023 12:32 - Constant

    Quel réconfort, cet engagement, cette sincérité, cette honnêteté pour défendre le prolétariat, au sens noble du terme comme le dit un de ses fils.
    Merci, merci.

  • 12 octobre 2022 21:12 - Le Tacon

    Film merveilleux, d'une extraordinaire justesses de ton.
    Ce père, solide, combattif et ses deux garçons illuminés. Justement, ces deux garçons ont trouvé leur voie à leur manière en chantant en militant .
    Bravo
    A cette époque je filmais les ouvriers de Saint Nazaire qui donnaient leur obole pour les ouvriers en grève du Joint Français de Saint-Brieuc.

CRÉDITS

réalisation Hubert Budor

image Julien Bosse, Hubert Budor, Nicolas Lamour

son Jérémie Halbert

montage Gaëlle Villeneuve

musique Vincent Burlot, Matteo Di Capua

production .Mille et Une. Films

avec la participation de du Centre National du Cinéma et de l’image animée, France Télévisions, France 3 Pays de la Loire. Avec la participation du CNC et la Procirep-Angoa

avec le soutien de la Région Bretagne

Artistes cités sur cette page

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Hubert Budor

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