Do it together
Dans ce récit sans véritable chute, aux enjeux ambigus, se loge l’incertitude de notre futur.
Au mitan des années 1990, quelques labels aventureux (Ninja Tune, Warp, Morr Music…) imposent progressivement une conception élégante et exigeante des musiques électroniques, moins tournée vers le dancefloor et plutôt portée sur l’abstraction et l’expérimentation sonore. L’une des caractéristiques de ce qu’on appelait alors « electronica » était souvent son caractère purement instrumental, mais l’absence de paroles, et donc de chanteur ou chanteuse, posait un problème épineux aux réalisateurs de clips : comment incarner, dans ces conditions, une musique déjà assez froide en elle-même par sa structure et ses sonorités ? À l’époque, beaucoup avaient pris le parti d’opter pour des clips eux-mêmes abstraits, reposant sur des évolutions de formes géométriques ou de motifs visuels minimaux, qui affirmaient prioritairement le caractère rythmique de ces musiques et assumaient leur dimension désincarnée sans chercher à les rapprocher du format traditionnel de la chanson.
Héritant de ce moment important de l’histoire de la musique à la fin du xxe siècle, Robert le Magnifique hérite aussi de ses problématiques audiovisuelles, ce que démontre parfaitement le clip de Do it Together. Un homme – peut-être le musicien lui-même, mais ça n’a, au fond, aucune importance – marche en forêt et se voit peu à peu entouré de murs qui s’élèvent entre les arbres et l’enferment dans un vaste labyrinthe, et qui prend progressivement l’apparence d’une ville aseptisée. Le personnage court pour échapper à l’enfermement, mais se retrouve ensuite traqué par des créatures sans visage, qui l’engloutissent dans une obscurité totale, qui gagne finalement l’image elle-même. Ainsi raconté, le récit du clip pourrait renvoyer à première vue à un imaginaire un peu naïf, opposant frontalement Nature – les arbres, la forêt, l’herbe, le Dehors – et Culture – les murs, les bâtiments, l’architecture, le Dedans. Mais les choses sont un peu plus complexes en réalité : la forêt est constituée d’arbres parfaitement alignés, quadrillage végétal trop rigoureux pour être honnête. Les murs du labyrinthe, symptôme de notre époque, sont immatériels, semi-invisibles, et ce n’est pas du béton ou de la brique qui les composent, mais plutôt une série d’influx ou d’ondes lumineuses. La ville elle-même, qui s’élève le long du parcours où évolue le personnage, est moins une ville réelle, où l’on pourrait vivre, qu’une ville telle qu’en crée les architectes sur les logiciels avec lesquels ils planifient nos existences à venir.
Dans ce bref récit sans véritable chute, aux enjeux ambigus, se loge ainsi l’incertitude de notre futur. Car ce ne sont pas les murs du labyrinthe qui précipitent la fin du héros-malgré-lui, mais ces créatures noires aux yeux luisants qui sont, explicitement, des doubles de nous-mêmes. C’est de la nature elle-même, de sa domestication, que naît l’ordre géométrique, et l’asphyxie finale qui engloutit l’image est finalement de notre responsabilité. Choisirons-nous l’odeur de la pelouse après la tonte, ou le chaos des herbes folles ?
Eric Thouvenel
DO IT TOGETHER de Robert Le Magnifique
DO IT TOGETHER de Robert Le Magnifique
réalisé par Stéphane Pougnand (2016 – 4’00)
Extrait du synopsis :
–9–de 02:53 à 03:20 : Il reprend son chemin, la « rue » s’anime autour de lui, on alterne des plans larges et des gros plans sur des détails et des éléments architecturaux incrustés sur les arbres.
–10–de 03:20 à 03:33 : Robert est de dos et la caméra s’élève derrière lui comme si c’était une fin, au tout dernier moment, gros plans sur le visage de Robert, on voit son double qui surgit derrière lui.
–11–de 03:33 à 04:00 : Son double (traité en animation) fait un solo de scratch, les éléments urbains disparaissent peu à peur et libèrent le passage pour Robert, on finit sur un plan où on le voit à l’orée de la forêt, il se dirige vers un champ.
STÉPHANE POUGNAND ET CLAIRE RONSIN
STÉPHANE POUGNAND ET CLAIRE RONSIN
Après cinq ans d’études, dont trois dans une école de réalisation audiovisuelle (ESRA Rennes), un apprentissage de l’image par la photographie et la vidéographie, Claire, passionnée par l’image, s’est tout naturellement dirigée vers une carrière de photographe-vidéaste. Après avoir dirigé le service vidéo de A.R. Rahman à Chennaï en Inde pendant deux ans (compositeur de musique de film dont Slumdog Millionnaire et 127 hours), elle a décidé de revenir en France pour monter sa propre compagnie. Indépendante depuis bientôt six ans, elle est au service de l’image et travaille avec bon nombre d’entreprises et d’artistes indépendants.
Après une formation de graphiste à LISAA Rennes – où il enseigne la vidéo et le motion-design depuis 12 ans – Stéphane Pougnand a été bassiste du groupe rennais X Makeena pendant 10 ans. Vidéaste/graphiste, il travaille également en création et régie vidéo pour le spectacle… sans oublier son activité de vidéos et photos aériennes par multicoptère avec Claire.
Ce clip est leur 2e projet du genre (après le clip « Struck You » du groupe City Kay sorti en novembre 2015 qui a reçu un très bon accueil en dépassant les 10 000 vues sur YouTube le premier mois de diffusion).
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