Campagne à la ville
20/07/2026
La série de photographies réalisée par Aglaé Bory dans le cadre de sa résidence à la Gacilly et présentée en plein air lors du Festival Photo, trouve un second mode d'exposition à la bibliothèque des Champs Libres à Rennes.
Avec l'équipe des Champs Libres, dont Céline Chanas, conservatrice du Musée de Bretagne et Yves-Marie Guivarch, chargé de programmation, suivez la genèse de cette représentation du concept de Ruralité(s) au cœur de la métropole bretonne. Quelle utilité publique pour ce regard porté sur le quotidien ordinaire d'une population en marge du cœur palpitant de la société ?
Une coédition KuB, Les Champs Libres et le Festival Photo La Gacilly
RURALITÉ(S) AUX CHAMPS LIBRES
RURALITÉ(S) AUX CHAMPS LIBRES
(2021 - 18’)
Suite à l’installation de l’exposition d’Aglaé à La Gacilly, c’est aux Champs Libres que l’artiste et l’équipe qui l’accompagne s’activent désormais. La tenue de l’exposition dans l’escalier de la bibliothèque implique de nouvelles contraintes. Le cheminement linéaire se transforme en déambulation artistique et l’encadrement des photographies redessine un nouveau paysage. Ces deux expositions, présentées en miroir l’une de l’autre, délivrent une vision artistique, la plus juste possible du territoire rural et des habitants qui l’occupent. Un monde de choix et de possibles, toutefois marqué par l’abandon et la pauvreté. Les photographies, accompagnées de sons recueillis par Aglaé, sont une invitation au voyage et à la découverte de la Bretagne.
Regarder les autres et leurs horizons
Regarder les autres et leurs horizons
d'Arnaud Wassmer (2021 - 14')
Aglaé Bory présente son projet Horizons, cartographie des possibles, nourri du texte de Michel Collot La pensée-paysage. Davantage qu’un travail purement documentaire, c’est une évocation poétique qu’elle donne à voir dans les deux lieux d’exposition qui lui sont consacrés : en plein air à la Gacilly et dans les escaliers de la bibliothèque des Champs Libres.
Si les photographies exposées sont les mêmes, la présentation diffère. En fonction du lieu, on ne raconte pas la même chose, explique Aglaé.
La ruralité dans le fonds photographique du musée
La ruralité dans le fonds photographique du musée
Céline Chanas (2021 - 6')
L'histoire de la campagne française a largement été étudiée par les historiens. Pour un musée de société comme le Musée de Bretagne, les travaux récents des sciences humaines et sociales permettent aussi de relire ses propres collections liées au monde rural, en particulier ses représentations au travers de l'histoire de la photographie.
Campagne(s), monde rural, ruralité, au singulier ou au pluriel…
Les mots disent aussi le sujet, la sémantique se transforme au fil du temps et des évolutions sociales. La Bretagne est demeurée largement rurale jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, avant de faire des produits de l'agriculture sa deuxième source d'exportation. On a longtemps défini la campagne par opposition à la ville, mais aussi en tant qu'étendue de pays plat, en opposition à la montagne ou au littoral. Le déploiement d'un nouveau modèle agricole au 20e siècle - avec le remembrement, la mécanisation, l'exode rural et la désertification des campagnes - a fait naître une nouvelle société rurale, qui se questionne et se recompose déjà.
Des photographes, observateurs de leur époque
Observateurs de leur époque, les photographes ont prêté un intérêt très tôt pour la campagne bretonne : au milieu du 19e siècle, des photographes extérieurs au territoire voient ce monde comme exotique, une nouvelle contrée à explorer de laquelle on rapporte des paysages inconnus ou des galeries de personnages, dont l'archaïsme des traditions est montré avec la nostalgie d'un monde révolu.
Pictorialistes, paysagistes, photographes de studio, reporters et photojournalistes : les mutations du regard du photographe
L'angle de l'exploration du paysage perdure depuis le milieu du 19e siècle mais ne cesse de se réinventer, témoignant de l'intérêt des photographes pour saisir l'évolution du paysage agricole. De son voyage en Bretagne avec Charles Lhermitte en 1912, Robert Demachy, chef de file du mouvement pictorialiste, rapporte un album comprenant 196 vues de Bretagne, avec une place forte pour le paysage, la nature et les animaux. Amédée Fleury, quant à lui, photographie la région de Luitré au début du 20e siècle : des scènes posées, en groupe, documentent les activités humaines aux champs, d'autres scènes montrent l'artisanat et toute la vie d'une communauté. Des thèmes aujourd'hui très éloignés de notre quotidien. On rapporte aussi des campagnes bretonnes sa dimension bocagère, ses haies à ragosses, tandis que les vues aériennes, à partir des années 1950, disent l'évolution du maillage du parcellaire. Plus proches de nous, le musée donne aussi à voir dans ses collections comment campagne et ruralité se lisent aussi dans les interstices de la ville : les images de Marc Loyon et Delphine Dauphy réalisées en 2018 autour de la rocade de Rennes parlent d'aménagement urbain et de la relation entre la ville et sa campagne nourricière.
Poser ou sur le vif : quelle place pour les femmes et hommes du monde rural ?
Chez les photographes de studio comme chez les paysagistes, l'immense majorité des photographies s'inscrit dans un cadre imposé, soumis à des contraintes techniques, comme le long temps de pose jusqu'au début du 20e siècle ou la lourdeur des appareils. La démocratisation de la photographie l'amène à pénétrer largement dans les foyers, tout en la réservant aux moments marquants des familles. On devine ainsi la sociologie du monde rural dans les photographie de famille, aux poses raides et convenues. Le monde du travail se donne à voir aussi via les travaux de commande confiés aux photographes. Plus récemment, des photographes, comme Madeleine de Sinéty, Georges Dussaud et tant d'autres s'attachent à rendre compte de la vie en milieu rural, entre tradition et modernité.
Quand la campagne entre au musée
Si les photographes s'emparent du monde rural dès le milieu du 19e siècle, les collections du musée ne reflètent pas alors cette tendance. Quelques paysages ruraux, immortalisés car reliés à un évènement, entrent alors dans les collections du musée, tout comme les vues des grands travaux qui bouleversent alors les campagnes, comme la construction du chemin de fer. C'est la collecte entreprise par Jean-Yves Veillard de fonds complets d'ateliers à partir des années 1970 qui donne un nouvel élan au musée. Ces ateliers, tous reliés à l'histoire locale ouvrent des thématiques nouvelles, permettant de brosser un panorama large des campagnes et de leurs habitants. L'accroissement significatif des fonds – plus de 500 000 négatifs aujourd’hui – amène une inflexion dans cette collecte : on établit des critères plus sélectifs, on trie. Ainsi les fonds de vues aériennes offrent une vision très documentée des changements intervenus en termes d'aménagement du territoire. Les acquisitions plus récentes s'orientent aussi vers des choix d'écritures contemporaines, toujours dans cette veine documentaire et humaniste.
Aglaé Bory
Aglaé Bory
Après avoir étudié l’histoire de l’art à l’université d’Aix-en-Provence et la photographie à l’école nationale de photographie d’Arles, Aglaé Bory vit et travaille depuis vingt ans à Paris. Son travail a été présenté dans le cadre de festivals en France et à l’étranger (Circulation(s), Photaumnales, Photofolies, Bourse du talent, Voies off, Quinzaine photographique nantaise…) a fait l’objet de différentes expositions individuelles et collectives (La Conserverie, Galerie du château d'eau, Bibliothèque nationale de France...).
Sa série Corrélations a reçu plusieurs distinctions (KL Photo Awards, Bourse du talent…) et est entrée dans le fonds photographique de la BNF. Un livre de ce travail est paru aux éditions Trans Photographic Press en 2011. Aglaé Bory a participé à France(s) territoire liquide dont un livre a été publié aux éditions du Seuil en 2014. En octobre 2019 elle est la marraine du festival les Rencontres photographiques du 10e dans le cadre duquel elle honore une commande Les garçons d’en bas. En 2019, elle fait partie des photographes sélectionnés pour la commande du CNAP, Flux, une société en mouvement avec son projet documentaire Figures mobiles exposé en 2020 au festival les Photaumnales. Ce travail est entré dans les collections du Fonds national d’art contemporain. En juin 2020, elle est la lauréate du Prix Caritas de la photo sociale avec Odyssées.
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