Hélène et les grenouilles
Avec ses allures d’esquisse, ce film signe la venue au monde d’une cinéaste, Sarah Balounaïck, qui comme d’autres a fait Mellionnec (comme on faisait autrefois l’Idhec), tant dans la réalisation que dans la prise de vue, au service d’autres projets que les siens.
HÉLÈNE ET LES GRENOUILLES
HÉLÈNE ET LES GRENOUILLES
un film de Sarah Balounaïck (2013)
Voici donc un film personnel au plein sens du terme, où la réalisatrice se révèle tout en ne se montrant jamais, où elle s’abîme dans l’écoute et l’exploration d’Hélène, tout juste 20 ans, son double, ou sa moitié selon.
Hélène et ses soliloques sur la vanité et l’inconsistance de la vie ; une vie obstinée cependant, enragée même. Sarah la dévore des yeux, fragments d’existence assemblés dans une succession d’instantanés, tandis qu’Hélène fait rejaillir la prose d’Eustache, inhale du Gainsbourg et s’exalte sur Arvo Part. C’est beau, terriblement émouvant, et désespéré… comme l’amour.
SARAH BALOUNAÏCK
SARAH BALOUNAÏCK
Sarah Balounaïck est réalisatrice et chef opératrice dans le cinéma documentaire. Après un parcours de sportive de haut niveau en danse sur glace, elle s’est formée au journalisme puis au documentaire de création. Elle apprend au côté de professionnels aguerris : Christian Rouaud est son professeur d’écriture documentaire et Catherine Rascon de montage.
Depuis son adolescence, la caméra est un outil de jeu et de plaisir. Le cinéma devient un prétexte pour pouvoir créer un échange sincère et privilégié avec l’autre et ainsi ouvrir son esprit à d’autres réalités. À la sortie des études, elle fait la rencontre de la réalisatrice Frédérique Pressmann. Elle signe alors l’image de son film. Bretonne d’origine, elle fait ses armes auprès de Jean-Jacques Rault via l'association Ty Films en centre Bretagne.
Filmographie
Son premier court métrage Hélène et les grenouilles, réalisé en auto-production, est sélectionné et diffusé aux Rencontres du cinéma documentaire de Mellionnec. Elle y sera ensuite invitée en résidence d’auteurs durant laquelle elle réalisera son second court, George, diffusé au festival de Douarnenez et au festival internationnal du documentaire étudiant de Saint-Ouen. Depuis ces six dernières années, Sarah a travaillé en tant que chef opératrice sur plus d’une dizaine de films : Frédérique Pressmann – Le monde en un jardin (prix découverte de la Scam), Christian Rouaud – Avec Dédé, Agathe Oléron – La dame de St Lunaire, Mireille Hannon – Le village métamorphosé ou encore Galès Moncomble – Notre amour a la couleur de la nuit sélectionné aux États généraux du film documentaire de Lussas.
Elle continue l’expérimentation quotidienne de nouvelles formes. Elle réalise ainsi Wake, en collaboration avec le saxophoniste Jean Tinnirello, sur la poésie d’Ulrich Zieger, scénariste du film Si loin, si proche de Wim Wenders. Elle travaille aussi à l’écriture de son prochain film documentaire qui racontera l’histoire vécue d’une construction identitaire particulière, celle de Lorenza, une jeune sportive de haut niveau en danse sur glace.
PROCESSUS INTROSPECTIF
PROCESSUS INTROSPECTIF
par Loreena Paulet
Etudiante en khâgne au lycée Chateaubriand de Rennes, Loreena Paulet rend compte du film lors des Rencontres du film documentaire de Mellionnec en 2014 et sur le blog Ces films à part qu’on nomme « documentaires ».
Hélène et les grenouilles, c’est l’immersion dans l’intimité d’une personne que nous ne connaissons ni d’Eve, ni d’Adam. D’emblée nous sommes son amie, sa copilote. Hélène nous est présentée à l’état brut, elle est d’une pureté déstabilisante. Dans sa voiture, elle nous propose une cigarette… mais qui est donc cette inconnue qu’on introduit avec une telle familiarité ? Elle est là, face à nous, et elle ôte peu à peu ce masque qui lui couvre le visage pour nous laisser entrer sans mot de passe dans son intériorité.
C’est ici qu’a lieu la découverte de l’être humain. D’abord confrontés à cette étrangère, nous découvrons à chaque plan une facette plus obscure, plus mystérieuse de la jeune femme et pourtant si proche de nous.
Authenticité
Elle bâtit chaque seconde l’authenticité de sa personne et nous, bercés par des fragments de vie, semblables aux vers d’un poème, nous nous immisçons dans ses pensées. C’est de plein fouet que nous recevons la personnalité d’Hélène, aucune présentation n’est faite, nous sommes très vite plongés dans sa conscience. C’est un film sous le signe de l’introspection, elle-même accentuée par la dissociation entre le corps et la voix. Nous voyons le personnage plein d’énergie, courir, rire, chanter et cet apparent bien-être contraste avec la voix-off qui expose les doutes et les angoisses de la jeune femme. Le personnage est en difficulté, comme elle le dit, elle est incomplète, elle se cherche. Et cette différence entre l’image et le son reflète le mal-être d’Hélène.
Par son authenticité, notamment lorsqu’elle improvise une chanson au sujet des grenouilles, elle se présente et extériorise librement ses ressentis. Le cadrage souvent tremblant, parfois hésitant, donne à ce portrait une intense sensibilité. Ce processus introspectif se déploie et devient par l’intermédiaire de l’individualité, un portrait de l’être humain et de ses inévitables interrogations. Qui je suis en fait ? Et puis à quoi je sers ? Cette tendance à partir en quête du bonheur ou du moins de son identité s’amplifie à travers l’émotion des plans, cette succession de couleurs, de mouvements, d’expressions faciales filmées avec une telle proximité qu’elles semblent transpercer l’écran et se transposer sur le visage du spectateur.
Cette littérature imagée que nous propose Sarah Balounaïck s’exerce grâce à l’association de plans diversifiés, aussi bien par leurs couleurs, leurs cadrages et les mouvements qui les composent. Les plans sont une matière brute, aussi purs que les mots d’un poème. Les séquences se répondent, les couleurs riment et l’émotion grandit. Le spectateur se confond avec le personnage, les regards s’entrechoquent et se croisent, Hélène se regarde à travers le prisme de la caméra. Souvent ses yeux sont mis en valeur, placés au centre de l’écran, parfois s’observant dans le rétroviseur de sa voiture, parfois fixés sur la route qu’elle suit, une route métaphore du chemin qu’elle veut suivre, de cette quête incessante du bien-être qu’elle évoque à travers son portrait. Nous nous demandons qui est qui. Le spectateur se retrouve dans une position tangente, est-il actif ou passif ? Est-ce lui qu’il observe à travers cette jeune femme ou est-ce elle qui l’observe de l’autre côté de l’écran ?
Cette introspection si personnelle se fait peu à peu universelle de par la promiscuité qui s’installe entre le corps filmé et celui du spectateur. L’image se dédouble, s’allonge et se divise. Elle est le reflet de la subjectivité d’Hélène et des alternatives qui émergent en son for intérieur. Le regard bienveillant de la réalisatrice aide à façonner l’identité du personnage malgré ses faiblesses, une ébauche fragmentaire d’une identité en construction.
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