La danse du marsupilami
Le post-punk dans l’enfer de la palette graphique
Faisons un peu d’Histoire du vidéoclip. En 1982, resté seul rescapé de Sax Pustuls après le départ des autres membres fondateurs (dont Pierre Fablet, future légende de la scène rock rennaise), Philippe Herpin est rejoint au sein du groupe par Daniel Pabœuf aux saxophones – c’était avant qu’il joue avec Yann Tiersen, Dominique A ou Laetitia Sheriff – et au chant Nicole Callo’ch, l’une des actrices du mouvement Novö, immortalisée avec Étienne Daho sur l’affiche du film de Jean-François Sanz, Des jeunes gens mödernes.
C’est donc à l’orée des années 80 que Sax Pustuls compose La danse du Marsupilami, dont le clip s’ouvre sur un bandeau énigmatique (et pas très rock n’ roll), indiquant le concours de « la Cellule d’Animation Culturelle du Ministère des Relations Extérieures ». Tourné par Philippe Truffault, futur réalisateur (entre autres) du documentaire Cliposaurus Rex, cet étrange objet audiovisuel débute par l’entrée sur fond noir d’un personnage qui semble droit sorti d’un polar, sorte de Sinatra ou de Bogart du pauvre, muni d’une cigarette, d’une clarinette basse, d’une veste, d’une cravate et d’un chapeau. Alors qu’il lance quelques notes dans la pénombre du studio, le fond derrière lui laisse apparaître un visage en très gros plan, tandis que progressivement l’instrumentation se met en place : boîte à rythmes, synthés. Le visage en gros plan vire au gris puis se délite, se transforme, découpé en bandes verticales.
On est à l’époque où les colères musicales étaient froides, et les images aussi : le post-punk dans l’enfer de la palette graphique.
Il faut bien le dire, si l’on regarde La danse du Marsupilami avec des attentes esthétiques, il y a de fortes chances pour qu’on se dise qu’il n’a quand même pas très bien vieilli. L’image est approximative, trèèèèès datée, et le morceau lui-même tente un grand écart entre un rock plutôt cérébral et une invitation à la danse. Cet écart, complexe sinon improbable (voir Devo, Talking Heads, ou en France, Daho, Elli&Jacno) est exécuté par un groupe qui à l’époque se réclame de l’underground tout en cherchant, visiblement, à atteindre le grand public. Vu de notre époque, pourtant très indulgente vis à vis des années 80, difficile donc de ne pas l’aimer autrement qu’au second degré. Pourtant, si on résiste à la tentation de trop comparer les clips de cette presque préhistoire – rappelons que ce genre n’émerge massivement dans les foyers américains qu’en 1981, avec MTV, et seulement sept ans plus tard en France – avec ceux que produit notre temps, on peut choisir de le prendre pour ce qu’il est : un pur produit de son époque. Et sur ce registre, cette danse exotico-coldwave devient diablement intéressante… Car le clip de Sax Pustuls mélange allègrement les registres et les genres :
1) Genres musicaux : Danse du Marsupilami = variété vs coldwave vs dancefloor vs post-punk vs chanson française (version foutraque, un peu dans l’esprit Dada ou Devo, justement). Les approches sonores se télescopent, et l’instrumentarium est aussi varié qu’inattendu pour l’époque.
2) Genres biologiques, ou sociologiques, selon votre orientation en termes de morale : homme et femme, femme et homme, sans que l’on sache toujours bien qui chante, et qui l’on regarde exactement. Dans plusieurs plans par exemple, on voit deux visages, symétriquement coupés en deux, qui chantent ensemble ou chacun leur tour. Mais ces visages sont androgynes, et à d’autres moments, on ne sait pas franchement si c’est une femme ou un homme que l’on regarde. Un peu plus loin, Nicole Callo’ch porte moustache et costume masculin, chante en playback sur la voix de son partenaire, qui le lui rend bien en poussant les aigus au-delà du raisonnable. S’ils sont bien deux à apparaître et à chanter, dans ce clip très libre de ce point de vue, le spectateur est invité à considérer les interprètes non pas comme un couple qui se donnerait la réplique, mais comme le résultat d’un mélange, un personnage hybride qui se travestit, joue avec son (ses) identité(s), et brouille joyeusement les frontières.
3) Stylistiquement enfin, le clip démontre par lui-même ce qu’est qu’un imaginaire vidéo, et que la palette graphique ne s’appelle pas palette pour rien. Dès le premier couplet, le visage en gros plan de Nicole Callo’ch est troué, par un montage sec, de fulgurances rouges et vertes. Puis, ce seront incrustations, caches et contre-caches, surimpressions, fondus : toute la panoplie des bidouillages techniques qui font la caractéristique visuelle de cette époque, un terrain d’expérimentation aujourd’hui désuet mais suffisamment marquant pour qu’on l’identifie au premier coup d’œil.
Il est bon, parfois, de regarder comment le passé se percevait et se représentait lui-même, quand il n’était pas encore passé. La danse du Marsupilami ne fera peut-être plus danser grand monde aujourd’hui, encore que, mais elle possède cette indéniable qualité qui la rend précieuse : elle témoigne, à sa façon débordante, d’attitudes, de couleurs et de textures qui nous paraissent sans doute too much, mais sans lesquelles il nous serait bien difficile de comprendre ce que nous attendons aujourd’hui de la musique, ou des images. Dans un temps, le nôtre, qui n’a jamais paru si fade, elle nous rappelle enfin comme c’est important d’oser.
Eric Thouvenel
LA DANSE DU MARSUPILAMI de Sax Pustulus
LA DANSE DU MARSUPILAMI de Sax Pustulus
réalisé par Philippe Truffault (1981 – 5’58)
Contacté par KuB, Philippe Herpin, le pilier des Sax Pustuls, nous apprend qu’il existait trois clips différents de La danse du Marsupilami, dont deux semblent s’être volatilisés : celui qu’on a fait pour l’émission Studio 3 (le programme musique et jeunesse de TF1 alors chaîne de service public NDLR) et un spécial Rock à Rennes en 82. Je n’ai gardé aucune trace de cette expérience et si vous en trouvez, je suis preneur !
Les Sax Pustuls sont nés à Rennes en 1978 par l’association de Pierre Fablet, Sergeï Papaïl, Philippe Herpin, Didier Convenant et Richard Dumas. Au départ, c’était plutôt un gag de potaches : Pierre Fablet était l’animateur d’un fanzine, Didier Convenant organisait des Concerts Rock à Rennes, Richard Dumas était plutôt « branché photo ». En 1980, il ne reste de ce groupe d’origine que Philippe Herpin, rejoint par Daniel Pabœuf (saxophone)
et Nicole Callo’ch (chant). Un premier album sort : Nous d’Eux. En 1981, ils autoproduisent La danse du Marsupilami et signent l’album L’avis des animaux chez CBS, puis le 45t Amour difficile. Ils enregistrent le titre Sidérant, qui sort en 1982 sur la compilation Rock ‘N’ Rennes. Puis le groupe se disloque définitivement, Daniel Pabœuf et Philippe Herpin jouent chacun avec d’autres groupes ou chanteurs (Marquis de Sade, Daho)…
PHILIPPE TRUFFAULT
PHILIPPE TRUFFAULT
A 30 ans, quand il réalise le clip des Sax Pustuls, Philippe Truffault n’a fait aucune école particulière pour se préparer au jeu des images, des sons et des signes. Mais il a beaucoup pratiqué. Malgré quelques films industriels de parfois trois heures, il s’est construit une réputation de spécialiste du court : des clips pour des groupes anglais, des spots… Très versé dans l’habillage de chaînes, il a aussi été, de 1988 à 1992, le directeur artistique de la Sept. Aucun rêve secret de grand cinéaste chez l’alerte Truffault. Il aime bien la commande, et le revendique : Quand on me demande un film, je le fais.
3 novembre 2020 19:55 - Philippe de Lacroix-Herpin
Bonjour, est-ce que l'auteur de cet article sur le clip de "La Danse du Marsupilami" souhaiterait que je lui raconte tout ce que je sais sur cette chanson et sur cette vidéo ?
3 novembre 2017 21:22 - Philippe de Lacroix-Herpin
Bonsoir. C'est Philippe de Lacroix-Herpin pour une petite précision !
"Nous d'eux" est le premier des 4 albums d'Anches Doo Too Cool, avec en effet Nicole invitée sur une chanson (Marche Nuptiale).
Il n'y a eu qu'un seul album de "Sax Pustuls", c'est "L'avis des animaux" en 1982.
Voilà voilà !
Merci pour votre article en tout cas ;)
PLH aka PJP