Le scandale Amoco

couper en deux amoco

En 2018, quarante ans après la catastrophe de l’Amoco Cadiz, deux femmes, l’une scénariste et l’autre illustratrice, s’associent pour raconter l’histoire en bande dessinée. En 2020, les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine bâtissent une expo commémorative sur une affaire qui s’est étendue sur 15 ans. Retrouvez ici le double récit : une œuvre de fiction inspirée par l’événement vécu de l’intérieur, et une mise en regard de documents historiques qui retracent la lutte contre la pollution et le combat politique issus de ce naufrage.

Une coédition avec les Archives Départementales d'Ille-et-Vilaine

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GALERIE D’IMAGES

BLEU PÉTROLE

16 mars 1978 : le supertanker Amoco Cadiz s’échoue sur des récifs en face de la commune de Portsall, dans le Finistère. En quelques jours, 220 000 tonnes de pétrole brut s’échappent de ses cuves, polluant 360 km de côtes. Il faut réagir très vite afin de limiter les dégâts que la marée noire a d’ores et déjà commencé à causer. Léon, le maire, coordonne l’arrivée des premiers bénévoles venus nettoyer les plages. Il cherche désespérément de l’aide à tous les échelons de l’État. Par la suite, il concentre ses efforts sur l’aspect juridique du drame. Il engage un bras de fer avec la compagnie pétrolière américaine qui a affrété le navire. Un combat de David contre Goliath, qui le mène, quatorze ans plus tard, à un procès retentissant à Chicago, aux États-Unis.

PRÉAMBULE

Je n’y étais pas

par Gwénola Morizur

N’importe quel Breton peut vous dire où il se trouvait et ce qu’il faisait le jour du naufrage de l’Amoco Cadiz. Je n’y étais pas, cette nuit-là. Ni les suivantes. Je n’ai pas vu le pétrolier échoué face à Portsall. Je n’ai pas senti le mazout à des kilomètres de là. Je n’ai pas assisté à l’agonie des oiseaux.
Je n’étais pas née en 1978.

Ce n’est pas mon histoire, mais je la connais par cœur. C’est celle de mes dimanches d’enfant à écouter les étapes du combat contre le pétrolier pollueur. À remplir mon imaginaire avec les mots justice, Chicago, Standard oil, jurisprudence, Juge Mac Garr.

Au cœur de cette histoire : mon grand-père, Alphonse. Une légende à lui tout seul. L’éternel optimiste, le révolté, le paysan-frondeur à la casquette de marin. Celui qui marquera l’histoire en gagnant le procès Amoco. Tout à coté, l’autre histoire. La petite. L’histoire d’une famille secouée par un évènement historique.

L’histoire de nos vies, de nos sentiments, de nos liens. La mienne, la vôtre : celle qui mène la fiction que ces pages racontent.

GENÈSE DE LA BD

À table avec l’Amoco

avec Gwénola Morizur, scénariste, et Fanny Montgermont, dessinatrice de Bleu Pétrole

Comment est née cette histoire ?

G. M. : La catastrophe de l’Amoco Cadiz fait partie de mon histoire familiale. C’était notre sujet de conversation numéro un. Je me rappelle des déjeuners dominicaux durant lesquels tout le monde ne discutait que de ça. Je savais que j’aurais un jour besoin de parler de ce que j’ai vu, de l’investissement d’Alphonse Arzel, mon grand-père. Mais aussi de celui de sa famille. Quand il était maire de Ploudalmézeau et qu’il a mené son combat jusqu’aux États-Unis, elle a toujours été à ses côtés. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas tant le naufrage en lui-même, mais la place de l’humain dans de tels drames.

Quelle est la part de vérité dans votre récit ?

G. M. : Je crois qu’il faut aborder cet album comme une fiction basée sur une solide documentation. Tout ce qui est directement lié à l’Amoco Cadiz est authentique. Quand j’ai parlé de mon projet à mon grand-père, nous avons convenu de faire des entretiens. Ça l’a un peu désarçonné, car il avait l’habitude de parler du procès, pas des à-cotés. Pour le reste, fiction et réalité sont entremêlées.

Pour vous, Fanny Montgermont, cet album représente une somme de travail colossal...

F. R. : Deux ans et demi de travail, c’est très long, et je dois dire que je suis soulagée d’en avoir vu le bout ! Mais, c’est mon style. Je dessine à la couleur directe, sur papier, à l’ancienne. Je fais un crayonné de base assez léger, puis j’accentue un trait pour qu’il ressorte. Puis je passe à l’aquarelle. Pour mes premiers albums, j’utilisais de la gouache. C’était encore plus long !

LIVRET D'EXPO

Le scandale Amoco

par Charlotte Sarrazin, commissaire de l’exposition aux Archives d'Ille-et-Vilaine

La marée noire du siècle

En s’échouant sur les roches de Portsall, le jeudi 16 mars 1978, l’Amoco Cadiz provoque l’une des pires catastrophes écologiques du 20e siècle. Depuis la marée noire du Torrey Canyon en 67, c’est la troisième fois que les côtes bretonnes sont souillées par les hydrocarbures.

Si l’Amoco Cadiz tient aujourd’hui encore une place à part dans la mémoire collective, c’est par la quantité incroyable de pétrole brut qu’il a déversé à la mer : 227 000 tonnes. Bien d’autres pollutions aux hydrocarbures ont suivi, parfois tout aussi dramatiques, mais jamais depuis une telle quantité de pétrole ne s’est échappée en une seule fois d’un bateau.

En France, le choc est à la mesure de l’importance du sinistre, amplifié encore par la médiatisation massive dont celui-ci fait l’objet. Pour une partie de la population, cette tragédie doit sonner le glas de l’économie capitaliste et du mode de vie des Trente glorieuses. La nappe visqueuse et mortelle qui endeuille la Bretagne c’est le pétrole de nos voitures, la rançon d’un certain progrès qu’il est temps de remettre en question.

Cependant, plus de 40 ans après les faits, le transport maritime n’a cessé de croître, les débats et problématiques soulevés par l’Amoco demeurent tragiquement actuels.

CHRONOLOGIE

Chronique d’un naufrage

animation : Jean-Marc Le Rouzic

Mis en service en 1974, l’Amoco Cadiz est un super pétrolier de 334 mètres de long sur 51 de large construit par les chantiers Astilleros de Cadix. Il bat pavillon libérien et appartient à une compagnie de Chicago implantée aux Bermudes, en réalité à l’Amoco International Oil Company, elle-même filiale de l’American Oil Company. L’Amoco Cadiz transporte du pétrole brut pour le compte de Shell. Au moment du naufrage, c’est l’un des bateaux les plus gros et les plus modernes de son temps.

Une suite de dysfonctionnements dans sa construction et son entretien sont pourtant à déplorer. Dès son lancement, des fuites d’huile au niveau du gouvernail sont décelées. Un contrôle exhaustif des bateaux est obligatoire tous les 4 ans afin de les réévaluer. Des mises à sec intermédiaires doivent permettre l’entretien courant. Lors de la mise à sec de 1976, les réparations nécessaires ne sont pas faites car la compagnie les estime trop onéreuses. La mise à sec de 1978 est retardée.

Le 7 février 1978, l’Amoco Cadiz part du terminal pétrolier iranien de l’île de Kargh, dans le golfe Persique, avec pour destination la côte sud de l’Angleterre puis Rotterdam. L’équipage, entièrement italien, est dirigé par le capitaine Pasquale Bardari.


Le jeudi 16 mars à 9h45, le gouvernail se bloque alors que l’Amoco se trouve au large d’Ouessant. Le capitaine fait stopper les moteurs pour tenter une réparation. La mer est mauvaise et le pétrolier violemment chahuté par les vagues qui battent ses flancs. Hors de contrôle, il est poussé vers la côte. Malgré la gravité de la situation, le capitaine n’envoie d’abord qu’un simple message de sûreté signalant une avarie et demandant aux autres bateaux de ne pas l’approcher. Ce message est partiellement capté vers 10h20 par Conquet Radio, le service des PTT qui assure la correspondance téléphonique et télégraphique entre les navires et la terre et effectue une veille des fréquences de détresse. Les messages de sureté sont fréquents dans cette zone dangereuse et très fréquentée, surtout lorsque les conditions météo sont mauvaises. Les opérateurs ne s’alarment donc pas.

Vers 11h, le capitaine Bardari contacte Conquet Radio pour connaître la station de remorquage la plus proche mais toujours sans demander assistance. En raison du décalage horaire, il ne peut joindre son armateur à Chicago, pas plus que la succursale de Gênes dont il dépend.

À 12h25, il se résout à demander l’intervention d’un remorqueur. Le plus proche est le Pacific de la compagnie allemande Bugsier commandé par le capitaine Hartmut Weinert. Celui-ci fait immédiatement route vers l’Amoco et les opérations de secours commencent dès son arrivée bien que Bardari attende encore l’aval de son armateur. Cet accord ne sera donné qu’à 16h (9h à Chicago).

Surnommés les requins, les remorqueurs sont accusés de se tenir dans les zones dangereuses, à l’affût des navires en difficulté. Leur intervention se fonde sur le système du no cure no pay : ils ne touchent rien s’ils échouent à sauver le navire, mais peuvent gagner gros s’ils réussissent.

Construit en 1962, le Pacific demeure l’un des plus puissants remorqueurs de son temps (75 tonnes de traction, moteur de 10 000 chevaux). Pourtant, malgré tous ses efforts il ne parvient pas à freiner la dérive de l’Amoco. Weinert fait alors appel au Simson, un autre remorqueur de la compagnie Bugsier, qui se trouve à dix heures de navigation de là. Il arrivera trop tard.

Ce n’est que vers 20h qu’à terre on commence à s’inquiéter. Alerté par le sous-patron du canot de sauvetage de la station SNSM de Portsall, Conquet Radio signale le convoi au CROSS en Manche qui jusque-là ignorait la situation.

À peu près au même moment, le sémaphoriste de Saint-Mathieu et le guetteur de Molène avertissent le Centre Opérationnel de la Marine. Les plus hautes autorités sont dès lors au courant du danger.

Peu après 21h une première collision, très forte, a lieu. L’Amoco touche le fond et s’échoue de l’arrière ; les roches percent la coque sur presque toute sa largeur au niveau de la salle des machines où l’eau s’engouffre immédiatement.

À 21h30, l’Amoco talonne une seconde fois, plus fortement encore. La coque est déchirée dans la longueur, plusieurs cuves sont percées et le pétrole commence à s’écouler à la mer.

À 21h50, Bardari fait tirer des fusées de détresse pour signifier que l’équipage est en danger. Le Pacific demande l’intervention d’un hélicoptère de la Marine nationale pour secourir les marins.

À 22h, l’Amoco Cadiz s’échoue définitivement à environ 1,5 km de Portsall après avoir dérivé pendant plus de 11 heures sur environ 42 km. Secoué toute la nuit par la tempête, il se brise en deux au matin du 17 mars, vomissant sa noire cargaison.

La lutte contre la pollution

Une course contre la montre

Dès le soir du 16 mars, le Chevreuil, bâtiment logistique équipé de moyens anti-pollution, appareille. Le plan POLMAR est déclenché à 23h20 à l’initiative du Préfet du Finistère. Ce plan établit les procédures et répertorie les moyens pour faire face à ce type de sinistres. Une course contre la montre s’engage pour essayer de récupérer le pétrole en mer et éviter l’arrivée des nappes au rivage. Dans un premier temps, les autorités envisagent d’incendier le navire mais l’opération serait trop dangereuse à cause du risque élevé d’explosion et n’éviterait pas la pollution. Seule la partie la plus volatile du pétrole contenu dans le bateau brûlerait, entraînant fumées nocives et projection de gouttelettes de goudron. La nuit même du naufrage, les autorités font acheminer l’ensemble des barrages flottants disponibles dans le pays pour tenter d’endiguer la nappe de pétrole qui s’écoule de l’épave. Mais leur nombre est insuffisant et leur action s'avère inutile étant donné l’état de la mer et la force des vents.


Le 17 mars, des tentatives sont conduites pour tenter d’alléger le navire. Plusieurs petits pétroliers ainsi que des navires de la Marine nationale arrivent sur zone, mais le gros temps rend impossible toute opération de transbordement de la cargaison.

Des pompes adaptées affrétées depuis les États-Unis arrivent à Roissy le 21 mars mais, comble d’ironie, le camion qui les transporte verse dans un fossé à proximité de Ploudalmézeau ! Rien n’empêche donc l’Amoco de vomir inexorablement sa cargaison. L’épave est finalement grenadée les 29 et 30 mars pour s’assurer que l’intégralité des hydrocarbures contenus dans ses différentes cuves soit libérée et éviter une pollution lente et diffuse.

Dès lors, il ne reste plus qu’à pomper le pétrole qui n'a pas pu être contenu. Les premiers à opérer sont les agriculteurs. Ils seront cinq cents à œuvrer avec leurs tonnes à lisier, seules capables de circuler sur les plages pour y pomper l’émulsion de pétrole et d’eau.

Contre la pollution, mobilisation générale !

Rapidement mobilisés, des militaires arrivent de la France entière. Ils seront 35 000 à combattre la pollution tout au long des trois mois que dureront les opérations. Largement relayée par les médias, la catastrophe touche profondément les Bretons et les Français dans leur ensemble. L’émotion est générale et les appels à la solidarité et à l’action (diffusés notamment à la radio et à la télévision) rencontrent un franc succès. De nombreux jeunes bénévoles affluent sur les côtes souillées pour prêter main-forte. Cet afflux de bonnes volontés qu’il faut loger, nourrir, équiper, former, encadrer pose également beaucoup de problèmes aux autorités locales.


L’effort déployé est sans précédent. La tâche est rude et ingrate. Il faut nettoyer les plages et rochers manuellement à l’aide de pelles, râteaux, seaux, poubelles, fourches…

Pour prévenir l’arrivée du pétrole à la côte, les nettoyeurs recourent également à des produits dispersants répandus directement sur les nappes. Sous leur action, les hydrocarbures se transforment en fines gouttelettes qui se dissolvent plus facilement dans l’eau de mer et sont assimilables par le milieu. Mais ces produits sont notoirement nuisibles pour la faune et la flore et sont interdits sur les fonds de moins de 50 mètres. Dans les faits, ils ont été utilisés bien plus largement, y compris sur le rivage, pour nettoyer les rochers ou les jetées par exemple. Après le 10 avril, des produits précipitants (craie, poudre de caoutchouc…) sont également utilisés pour agglomérer le pétrole déjà émulsionné à l’eau de mer et l’entraîner par le fond. Ils sont employés dans les zones où les fonds ont une profondeur supérieure à 100 mètres et où il n’y a pas de crustacés. Les scientifiques sont cependant assez méfiants et réticents à leur usage car ils n’ont pas de certitudes sur le devenir du pétrole ainsi coulé et son impact à long terme sur les fonds marins.

L’évolution de la pollution

animation : Jean-Marc Le Rouzic

Entre le 16 et le 31 mars, l’extension de la nappe est constante et rapide. Sous l’effet de forts vents d’ouest / sud-ouest, la pollution pénètre à l’intérieur des Abers. Le 25 mars, l’Amoco Cadiz a déjà perdu 90 % de sa cargaison. La nappe dérive vers le nord-est au gré des vents et elle commence à se fragmenter. Dans le courant de la deuxième semaine d’avril, le vent tourne à l’est et inverse le sens de progression des nappes.


De nouvelles zones sont polluées. Les vents tournent ensuite à nouveau au sud-ouest, ramenant les nappes vers le large. Fin avril, l’extension de la pollution est maximale : de la pointe Saint-Mathieu à l’île de Bréhat près de 400 km de côtes sont atteintes !

Le 26 juin l’état des plages est jugé satisfaisant et les opérations prennent officiellement fin. Le défi a été relevé, les plages sont propres pour les grandes vacances ! Du moins en surface.

Qu’est devenu le pétrole de l’Amoco ?

En s’échouant sur les rochers de Portsall, à environ 1,5 km du rivage, l’Amoco Cadiz a déversé près de 230 000 tonnes d’hydrocarbures sur les côtes du Finistère et des Côtes-du-Nord. Sa cargaison était majoritairement composée d’Arabian Light, un pétrole particulièrement fluide. Selon le professeur Claude Chassé du CNRS, sa partie la plus volatile, qui représente 40 % environ de la matière globale s’est évaporée.


Les 140 000 tonnes restantes se sont émulsionnées à l’eau de mer, formant une nappe de 500 km2. 60 000 tonnes de cette substance nauséabonde sont venues engluer les côtes mais seules 15 000 à 20 000 tonnes de celle-ci ont été ramassées. 50 000 à 100 000 autres tonnes d’hydrocarbures se sont diluées sur toute la hauteur de la colonne d’eau. Le reste a été biodégradé ou s’est retrouvé piégé dans les sédiments.

De la sidération à l’indignation

Le pétrole, en s’échappant des cuves de l’Amoco, forme une sorte d’émulsion d’eau de mer et d’hydrocarbures, épaisse, collante et nauséabonde. La mer se trouve comme étouffée par une couche de surface visqueuse qui alourdit le mouvement des vagues. Le bruit du ressac est remplacé par un bruit sourd, les oiseaux se sont tus. Un silence de mort règne aux alentours de l’épave. C’est l'odeur qui frappe immédiatement les habitants de Portsall qui, avant de prendre connaissance du naufrage, pensent d’abord à une fuite d’une cuve à mazout. Il s’agit en réalité des composés les plus volatils et les plus toxiques du pétrole de l’Amoco.


Au matin du 17 mars, les populations découvrent le monstre qui crache sa bile. Rien ne sera jamais plus comme avant. Dès le 18 mars, c’est une marée humaine qui envahit Portsall, fascinée par l’image du supertanker échoué. L’affluence est telle qu’il faut barrer les routes pour permettre aux secours d’intervenir et délimiter des couloirs de circulation dans les dunes pour éviter qu’elles ne soient complètement piétinées.

Très vite, la colère et l’indignation s’emparent des Bretons. Après le Torrey Canyon (1967), l’Olympic Bravery (1976) et le Boehlen (1976) c’est la quatrième marée noire en dix ans. Pour eux, plus question de l’imputer à une simple fortune de mer, cette catastrophe était prévisible et évitable. Cette fois-ci, ceux qui en sont directement responsables ne doivent pas rester impunis. Les pollueurs doivent payer.

La colère des Bretons

La mer souillée, c’est non seulement l’économie bretonne qui est atteinte mais aussi l’identité et la fierté de la région. En cette fin des années 1970, les préoccupations écologistes et régionalistes rencontrent un certain écho, notamment au sein de la jeunesse. Les Bretons connaissent la beauté de leur littoral menacé par le gâchis capitaliste. Ils entendent lutter contre les marées noires ou centrales nucléaires pour continuer à vivre et travailler au pays.


Pour les pêcheurs, goémoniers, ostréiculteurs bretons, c’est la survie de leur activité qui se joue. Leur colère est d’autant plus vive qu’en mars 1978 certains attendent toujours les indemnisations promises suite aux marées noires de 1976. Pour dénoncer l’insuffisance des moyens de lutte contre la pollution mis en œuvre par les pouvoirs publics, ils déposent leurs rôles d’équipage aux Affaires Maritimes de Brest et exigent des indemnisations réelles et immédiates pour pallier leur manque à gagner.

L’exaspération va croissant à mesure que l’ampleur des dégâts se manifeste et les manifestations prennent un tour de plus en plus violent. Des cormorans morts sont brandis par la foule en signe de colère. À Brest, 2 à 3 000 manifestants assiègent la Préfecture Maritime à coup de cocktails molotovs. La police réplique à l’aide de lacrymogènes et de grenades offensives.

Les comités anti marée noire

Face à l’ampleur et à la récurrence du phénomène, des comités anti marée noire se constituent, dans les lycées, les MJC, Maisons de quartier… Rejoints par les syndicats, ils exigent que l’État impose de vraies mesures de prévention et de contrôle, se dote de moyens de lutte adaptés, et surtout que les pollueurs paient. Pour ces militants, combat écologiste et lutte anti-nucléaire convergent dans une dénonciation globale d’une société qui mènera de la mort des oiseaux à celle de la mer, puis de l’homme.


Ils récusent les opérations de nettoyage entreprises par les autorités qui ne concernent que les zones touristiques et les aspects les plus voyants de la pollution. Ils contestent la répartition des secours et des opérations ainsi que le recours aux appelés du contingent, main d’œuvre gratuite et corvéable à merci, dont ils dénoncent les conditions de travail. Pour les mêmes raisons, ils s’inscrivent contre le recours à des bénévoles venus des quatre coins de la France et même de l’étranger alors que les nombreux chômeurs de la région auraient pu trouver là un emploi utile et rémunéré. Enfin, ils accusent les médias de tirer profit de la catastrophe en escamotant la colère des Bretons et en concentrant l’attention du public sur la pollution des plages, parlant peu de la mort massive de la faune et la flore marine.

Par ailleurs, ces militants pointent l’insuffisance de la réglementation en matière de sécurité maritime et du contrôle en mer. Guidés par leurs intérêts commerciaux, les États n'appliquent pas les conventions internationales, même quand ils les ont ratifiées. Les mesures doivent être imposées par une autorité internationale soucieuse des intérêts planétaires et de la mer dans sa globalité. Mais c’est surtout à la racine du mal qu’il faut agir en luttant contre le gaspillage d’énergie et la surconsommation généralisée. Les cuves de l’Amoco ne contenaient qu’à peine l’équivalent d’une journée de la consommation française de 1978.

Dans le même esprit, Les Amis de la Terre et l’UFC organisent un boycott contre Shell : si elle ne peut juridiquement être désignée coupable, ils la tiennent pour socialement responsable. Plus radical, le 26 mars le Front de Libération de la Bretagne provoque une explosion au centre de commandes de la Shell à Vern-sur-Seiche, sans faire de victime.

Un attentat contre l’environnement

L’Amoco a engendré une pollution particulièrement néfaste pour la biodiversité, s’étant échoué près des côtes en période de reproduction de nombreuses espèces. Le pétrole déversé est toxique, composé d’un tiers de substances aromatiques qui s’évaporent dans l’atmosphère et se dissolvent dans l’eau. La météo agitée, les forts courants, ont accéléré sa fragmentation en une multitude de gouttelettes, favorisant ainsi la dispersion du pétrole dans la profondeur de la masse d’eau. Enfin, les nappes en surface ont empêché les échanges gazeux entre la mer et l’atmosphère asphyxiant les organismes marins qui se trouvent au-dessous. Les scientifiques estiment que 30 % de la faune et 5 % de la flore ont été détruits sur 1 300 km2 et que plusieurs hectares autour de l’épave ont été stérilisés.


Pourtant, de manière générale, il semble que le milieu marin ait manifesté une assez bonne aptitude à la biodégradation. La mer s’est en partie auto-régénérée et c’est elle en grande partie qui a nettoyé les plages et les rochers. En revanche, l’enfouissement des hydrocarbures dans les couches sédimentaires profondes, particulièrement dans les Abers, a entraîné une contamination dans la durée des espèces qui y vivent. Il n’a pas été possible du tout d’intervenir pour nettoyer ces zones particulièrement sensibles et l’élimination naturelle de la pollution y prendra encore des années.

Ailleurs, les remèdes employés pour traiter la nappe ont pu être pires que le mal. Sous-produits de l’industrie pétrolière, les produits dispersants et précipitants sont toxiques et il semble que la faune et la flore aient eu plus de mal à reconquérir les zones où ils ont été utilisés.

Une terrible atteinte au vivant

Selon Claude Chassé, océanographe biologiste au CNRS, environ 70 000 oiseaux ont été touchés, dont 85 % d’alcidés : macareux, petits pingouins, guillemots… qui vivent en permanence à la surface de l’eau et plongent pour se nourrir. L’impact de cette marée noire a été d’autant plus destructeur que de nombreux oiseaux avaient gagné le rivage pour nicher à terre et qu’il s’agit, pour la plupart ,de populations déjà très touchées par les marées noires précédentes et les dégazages sauvages permanents.


Immédiatement après les faits, la Société pour l’Étude et la Protection de la Nature en Bretagne et la Ligue pour la Protection des Oiseaux invitent la population à leur apporter les oiseaux mazoutés trouvés sur la grève et ouvrent des cliniques pour soigner ceux qui sont encore vivants. Les traitements sont peu efficaces. Dès lors qu’ils sont entrés en contact avec le mazout, les oiseaux perdent leur protection hydrofuge et leur flottabilité, ce qui entraîne rapidement une hypothermie. Ils sont par ailleurs intoxiqués par le mazout qu’ils ingèrent en essayant de s’en débarrasser. Pour tenter de les sauver il faut les réchauffer au plus vite, les gaver, les frotter à la lessive et, après un temps de réadaptation, les relâcher loin de la zone polluée. Malgré tous ces soins les survivants sont rares : sur 100 oiseaux traités 1 à 3 sont momentanément sauvés et on ignore leur devenir après relâchement.

La mortalité des poissons est forte dans les parages immédiats de l’épave à l’instant même du naufrage, surtout en ce qui concerne les poissons de roche surpris dans leur habitat. Alertés par l’odeur, ceux qui n’ont pas été foudroyés ont pu fuir, mais les poissons souffrent aussi de la forte mortalité des micro-organismes dont ils se nourrissent. Les spécimens pêchés au cours de l’été et de l’automne 1978 sont rares, maigres, et présentent des lésions et des altérations sur la peau, une érosion des nageoires. Les espèces de grande taille, vivant longtemps, sont particulièrement touchées. Les jeunes semblent plus affectés que les adultes et les scientifiques craignent que leurs capacités reproductives ne soient altérées. La reproduction ne pourra reprendre qu’en fonction de l’amélioration du milieu dans les zones de reproduction littorales.

Les crustacés sont moins atteints, environ 5 % des individus sont touchés sur l’ensemble de la zone. Pour ce qui est des coquillages, la mortalité est particulièrement forte à proximité immédiate de l’épave. Les espèces vivantes enfouies dans le sable sont les plus impactées : coques, palourdes, couteaux… dont on retrouve des milliers de cadavres sur les plages. Quant aux huitres, 20 à 50 % de leur population est affectée, essentiellement dans les Abers et en Baie de Morlaix.

L’impact écologique du nettoyage : un défi supplémentaire

Très rapidement, les opérations de nettoyage allant bon train, le stockage et l’élimination des résidus ramassés posent problème, faute de camions citernes suffisamment nombreux.


Il n’est pas possible de les évacuer à une cadence suffisante, même en faisant appel à toutes les usines de l’Ouest. Les déchets pâteux et solides sont donc stockés provisoirement dans des fosses et des décharges. Ils sont aspergés de chaux pour les rendre inertes en attendant de pouvoir les évacuer ou de trouver à les réemployer comme remblai dans la reconstruction des digues ou sur les chantiers de la RN 12 et de la zone industrialo-portuaire de Brest. Cependant, l’étanchéité de ces fosses est douteuse. On craint la pollution terrestre des nappes phréatiques comme ce fut le cas à Quimper après l’Olympic Bravery. De plus, les lourds engins de chantier accélèrent l’érosion des plages et des dunes, tout comme la sur-fréquentation humaine de ce milieu fragile par les dépollueurs et les milliers de curieux.

Enfin, les peuplements animaux et végétaux des plages meurent en masse, non seulement englués sous le pétrole, mais aussi balayés par les jets d’eau haute pression et les pelles des nettoyeurs.

Agir face à la catastrophe

Le drame de l’Amoco Cadiz intervient dans l’entre-deux tours des élections législatives de mars 1978. Le pouvoir en place doit calmer le jeu et montrer qu’il agit. Il semble qu’il y soit parvenu puisque ce scrutin reconduit la majorité, de droite, au Parlement. Au départ, le gouvernement tente de tenir les élus locaux à distance et leur demande de se limiter à rassurer les populations. Mais, en première ligne face à la catastrophe, ceux-ci entendent avoir voix au chapitre. Emmenés par Alphonse Arzel, maire de Ploudalmézeau-Portsall, ils créent dès le mois d’avril un Comité de Coordination et de Vigilance qui fédère les élus de tous les cantons touchés quelle que soit leur couleur politique.


Rapidement, devant l’inefficacité des mesures mises en œuvre, le gouvernement prend conscience de la nécessité de mettre en place un système cohérent et efficient de surveillance, d’information et d’alerte pour prévenir de telles catastrophes. La première mesure en ce sens est prise par décret le 24 mars 1978. Tout capitaine transportant des hydrocarbures est tenu de se signaler au Préfet Maritime dès son entrée dans les eaux territoriales (20 km au large des côtes) et de l’avertir de toute avarie survenue à son bord à moins de 80 km des côtes.

Dès le 1er avril 1978, un centre de contrôle provisoire est ouvert à Ouessant. Un nouveau plan antipollution est adopté en Conseil des Ministres en juillet. Il consiste à éloigner les pétroliers de la côte, effectuer une surveillance continue, se doter de moyens d’assistance et créer un groupe scientifique et technique disposant d’équipes d’intervention spécialisées dans la lutte antipollution. La Manche devient une zone spéciale où tout rejet en pleine mer est interdit. Les Préfets Maritimes sont désormais les seuls chargés du déclenchement et de la conduite de la lutte en mer en cas de pollution déclarée ou de menace grave et imminente. Les préfets de département ont la même responsabilité en ce qui concerne la lutte à terre. Un plan d’intervention local doit être dressé dans tous les départements littoraux en étroite concertation avec les élus locaux et les usagers du milieu marin.

Les mesures post-Amoco

Les premières actions entreprises après la catastrophe sont empreintes d’une confusion et d’une impréparation qui accentuent leur inefficacité. Afin de faire cesser l’éparpillement des compétences et des arbitrages, le Préfet Maritime reçoit une mission de police et de sécurité en mer. Désormais unique responsable et seul décisionnaire, il concentre tous les pouvoirs et moyens d’intervention en mer. Il peut mettre en demeure le commandant d’un bateau en difficulté de se faire remorquer. En cas de pollution marine, c’est lui qui a la responsabilité de déclencher un plan POLMAR révisé pour devenir une véritable structure opérationnelle de lutte contre la pollution.


L’une des mesures les plus emblématiques est l’éloignement du rail de séparation du trafic en vigueur au large d’Ouessant depuis la convention de Londres en 1977 visant à prévenir les abordages en mer. Ce dispositif consiste en une zone de navigation interdite de 8 km au large des côtes suivie de deux couloirs de navigation, l’un montant vers la mer du Nord, l’autre descendant, séparés par une bande de 3 km. Le nouveau tracé repousse les navires à 40 km d’Ouessant. Immédiatement adoptées par l’Organisation Maritime Internationale, ces nouvelles dispositions entrent en vigueur dès janvier 1979.

Le réseau de sémaphores est renforcé afin de mieux prévenir le danger. Ils doivent assurer une surveillance complète et permanente des côtes de jour comme de nuit par couverture radar mais également sur zone par des moyens aériens et navals. Le phare du Stiff à Ouessant est doté d’une nouvelle tour de 72 m de haut et d’une antenne de 12 m de diamètre, ce qui accroît considérablement ses capacités de veille. Les travaux débutent dès octobre 1978. Le Centre Opérationnel de Surveillance maritime et de Sauvetage en mer de la pointe de Corsen entre quant à lui en fonction en octobre 1982 pour surveiller le rail d’Ouessant.

Pour répondre au choc qu’a provoqué la marée noire dans l’opinion, les opérations de contrôle, de détection et de répression se renforcent, comme en témoigne l’arraisonnement de nombreux contrevenants dans les premiers temps de la mise en place du nouveau dispositif. Certains n’hésitent pas à dégazer, pensant que leur méfait sera caché par le pétrole de l’Amoco : le 31 mars 1978, par exemple, le pétrolier soviétique Atko est pris en flagrant délit entre Dunkerque et Dieppe.

L’État défaillant ?

Pour l’opinion publique, c’est avant tout l’État qui est en cause. Que onze heures se soient écoulées entre l’avarie et l’échouement de l’Amoco fait scandale. Comment un tel bateau a-t-il pu dériver tout ce temps-là sans que personne ne s’en alarme ? Pourquoi ni le sémaphore du Stiff, ni le Centre Opérationnel de la Marine ne sont-ils intervenus plus tôt ?


Le COM a effectivement pour mission première de suivre et coordonner les opérations des bâtiments de la Marine nationale, pas de ceux qui naviguent au commerce. Cependant, la convention de Bruxelles du 29 novembre 1969, ratifiée par la France en 1972, autorise les États signataires à prendre toute mesure à l’égard de tout navire en cas de danger grave et imminent de pollution. Dès lors qu’elle était informée du danger, et même en l’absence d’une demande expresse du capitaine, la Marine nationale était donc fondée en droit à intervenir. Or le seul remorqueur dont elle aurait pu disposer, le Malabar, était alors en mission de surveillance dans le Golfe de Gascogne. De plus, si la Marine nationale est bien supposée surveiller les côtes, elle ne le fait à l’époque que ponctuellement, faute de moyens, et surtout par l’intermédiaire de sémaphores qui ne fonctionnent que de jour (à l’exception de ceux de Saint-Mathieu et du Raz de Sein) et de radars de faible portée. En outre, si elle est responsable de la police de la navigation, c’est à la Marine marchande qu’incombe la responsabilité du secours maritime. Or, l’Amoco étant hors de portée des radars du CROSS et la Marine marchande ne veillant que le canal 16 (la fréquence internationale de détresse). C’est donc Conquet Radio qui donne l’alerte, vers 20 h seulement.

La tragédie de l’Amoco fait éclater au grand jour le manque général de moyens de prévention et d’intervention et le cloisonnement excessif entre les différentes administrations. L’enquête sénatoriale diligentée pour faire la lumière sur les causes et responsabilités conclut que l’absence de réaction adéquate des administrations responsables en mer n’a finalement pas eu d’influence sur l’échouement de l’Amoco puisqu’aucune ne disposait des moyens matériels suffisants pour en stopper la dérive ! Le gouvernement lui-même ne l’ignorait d’ailleurs pas puisque début 78 une commission lui avait remis un rapport soulignant qu’en cas de marée noire la France ne disposait d’aucun moyen de lutte sérieux et l’avertissait que toutes les conditions d’une catastrophe étaient réunies ! (Politique Hebdo 1-9 avril 1978)

Un procès hors-normes

Face à l’ampleur de la catastrophe, l’émotion et la colère se transforment rapidement en exigence de justice. Les pollueurs doivent payer, de tels crimes contre la nature ne peuvent plus rester impunis ! Pour les Bretons, il s’agit d’obtenir réparation des dommages mais surtout de faire jurisprudence afin que les préjudices subis, et notamment le préjudice écologique, soient reconnus.


Dès le 21 avril, le Comité de Coordination et de Vigilance rassemblant les élus des cantons touchés est créé pour faire entendre la voix des populations locales et conduire la bataille judiciaire de manière indépendante. Mené par Jean-Baptiste Henry, adjoint au maire de Plouguiel, ce Comité Amoco se constitue partie civile et porte plainte contre l’armateur, Amoco International, mais aussi contre sa société-mère la Standard Oil of Indiana, le groupe Shell, Bugsier, l’armateur du Pacific, et le chantier Astilleros, constructeur du bateau. Dès le mois d’avril aussi, la Société pour l’Étude et la Protection de la Nature en Bretagne et les marins-pêcheurs entament une action en responsabilité civile.

De son côté, le 13 septembre, l’État français dépose plainte contre Amoco International et la Standard Oil of Indiana et invite les communes à se joindre à lui. 14 suivront, 46 autres ont rejoint le Comité Amoco. Le cabinet Huglo-Lepage, spécialisé dans les questions environnementales, est chargé de représenter les Français en collaboration avec le cabinet américain Curtis.

En juillet 1979, l’ensemble des plaintes est porté devant la cour de justice du district de Chicago où le juge Mac Garr est désigné seul compétent. Pour unifier la lutte et mutualiser les coûts, un Syndicat Mixte pour la Protection et la Conservation du Littoral du Nord Ouest de la Bretagne est créé en juin 1980.

Ce syndicat rassemble le Conseil général et 44 communes des Côtes-du-Nord, et 33 communes du Finistère. Il sera rejoint dans un second temps par les parties privées : marins, commerçants, hôteliers. Ses statuts stipulent ses objectifs : effectuer ou faire effectuer les études et recherches pour apprécier les atteintes et déterminer les travaux utiles à la restauration du milieu, mettre en œuvre tous les moyens légaux pour poursuivre les actions judiciaires entamées, et mobiliser les financements nécessaires aux réparations.

Le procès en responsabilité

Ce procès du siècle commence selon la procédure américaine par une phase de découverte qui vise à établir les responsabilités de la catastrophe. Au cours de cette période, de fin 79 à fin 81, chaque partie instruit l’affaire de son côté et est tenue de fournir l’ensemble des éléments en sa possession à la partie adverse. Ce qui représente environ 1,5 million de pages pour Amoco et 500 000 pour les Français. La matérialité des dommages subis est très difficile à établir et très contestée par les quelques 150 avocats engagés par la Standard Oil.


La partie est largement inégale pour les petits Bretons qui ont osé se confronter à ce géant ! La Standard Oil n’est en effet rien de moins que le 9e groupe industriel américain. Présent dans 40 pays dans les domaines pétrolier, chimique, minier, son chiffre d’affaire s’élève en 1979 à 20 milliards de dollars. Il possède 19 tankers dont 4 de plus de 220 000 tonnes. Le groupe va mettre toute sa puissance financière dans la balance pour obtenir le jugement qui lui soit le plus favorable possible. 200 témoins et experts sont entendus entre janvier et avril 82 puis les parties elles-mêmes entre mai et novembre. Après un délibéré de 18 mois, le verdict du juge Mac Garr tombe le 19 avril 1984 : c’est une immense victoire pour les Français ! Le groupe Amoco dans son ensemble est déclaré responsable conjointement et de façon illimitée. Le juge retient que la cause principale de la catastrophe est bien la panne causée par la mauvaise maintenance du navire et l’incapacité de l’équipage à faire face. La négligence du groupe est avérée : les spécifications du constructeur en ce qui concerne la quantité et la qualité de l’huile, le rythme des vidanges et des passages en cale sèche pour révision n’ont pas été respectées. En tant que propriétaire du navire, Amoco Transport devait veiller à le maintenir en bon état. Amoco International est responsable en tant qu’exploitant direct du navire, ainsi que la Standard Oil qui, en tant que société-mère, est responsable des agissements de ses filiales.

Le juge rejette la contre-accusation formée par le groupe Amoco contre l’État français et les collectivités bretonnes pour insuffisance de l’assistance en mer et de la lutte contre la pollution.

Un jalon pour l’histoire, un défi pour aujourd’hui

L’échouement de l’Amoco Cadiz et la marée noire qui en a résulté n’ont pas été une simple catastrophe de plus. Un seuil a été franchi dans la gravité de la pollution et de l’atteinte à l’environnement. Toutefois, cette tragédie a eu pour vertu de faire progresser la prise de conscience collective de la fragilité du milieu et de la nécessité de le protéger. Les multiples études engendrées par cette pollution ont permis de faire avancer la recherche fondamentale et la veille écologique.


Les chercheurs se sont aperçus qu’en l’absence d’enregistrement de l’état antérieur de la biodiversité ils manquaient de points de comparaison pour mesurer l’impact exact de la destruction et le temps nécessaire à la renaissance des milieux naturels. Afin d’améliorer le suivi écologique, des directives nationales et européennes ont donc imposé l’étude régulière du littoral. Le jugement issu combat judiciaire engagé par les Bretons a fait jurisprudence. La reconnaissance de la responsabilité pleine et entière du groupe pétrolier à l’origine de la pollution et les pénalités financières ont amené les armateurs à plus de prudence. En 2007, le procès consécutif à la marée noire provoquée par l’Erika consacre la notion de dommages écologiques et condamne Total à verser 200 M€ de réparations (dont 13M€ au titre du préjudice écologique) et à 375 000 € d’amende. Aujourd’hui, plus de 8 000 navires citernes transportent deux milliards de tonnes d’hydrocarbures chaque année et des milliards de conteneurs permettent à la plupart des produits manufacturés que nous achetons de traverser les mers. L’action internationale pour la maîtrise des risques engendrés par le transport maritime reste nécessaire. Et, bien qu’on puisse déplorer qu’elles ne soient pas toujours appliquées avec autant de rigueur qu’elles le devraient, de nombreuses mesures sont régulièrement prises en ce sens par l’Organisation Maritime Internationale.

Cependant, le défi actuel auquel est confronté le milieu marin aujourd’hui dépasse la seule question du trafic maritime. Une part de plus en plus importante des pollutions qui le touchent provient des eaux usées des villes, de l‘industrie, de l’agriculture… qui lui parviennent par les fleuves et les pollutions atmosphériques.

C’est tout le cycle de l’eau qui est concerné. Mort des oiseaux, mort de la mer, mort de l’homme scandaient les manifestants anti-Amoco.

BIOGRAPHIE

Gwénola Morizur

Gwenola Morizur

Née dans le Finistère en 1981, Gwénola Morizur vit et travaille à Rennes. Elle écrit beaucoup, dans des domaines différents : bande dessinée, poésie, albums jeunesse et romans. Elle pense, comme Yves Lavadier, que si on peut vivre sans faire de sport, sans voir du pays, sans faire d’enfant... on ne peut pas vivre sans histoires. Le récit, qu’on l’adresse à soi-même ou aux autres, est aussi vital à notre psychisme que l’oxygène à notre organisme.

Bleu Pétrole est sa première bande dessinée publiée.

BIOGRAPHIE

Fanny Montgermont

Les dessins animés qui ont bercé son enfance ont donné le goût du dessin et de la création à Fanny Montgermont. Après un bac arts appliqués et un diplôme de graphisme, l’illustration devient son métier. Mais sa passion pour la création la dirige rapidement vers la bande dessinée. Après deux albums en solo, elle collabore avec le scénariste Alcante pour deux albums chez Aire Libre, puis avec Gwénola Morizur pour Bleu Pétrole chez Grand Angle.

COMMENTAIRES

  • 29 novembre 2020 15:04 - Hélène ARZEL-CONTAT

    Je tenais aussi à remercier Fanny Montgermont qui, par son talent, a réussi à redonner les ambiances et les paysages. Félicitations !

  • 15 novembre 2020 17:31 - ARZEL-CONTAT Hélène

    J’ai encore en mémoire l’odeur forte du pétrole en ce soir de tempête du 16 mars, veille de mon anniversaire. Je revois aussi avec précision les images des fusées rouges de détresse dans ce ciel lourd de nuages et de pluie. Mon père avait été prévenu par téléphone et avait quitté la maison en catastrophe. J’étais à la fenêtre de la chambre de mon frère Jean-Luc, parti en Afrique, avec maman et mon frère Pierre. Nous étions les témoins d’une catastrophe historique et nous nous ne le savions pas encore. Je ne réalisais pas que cet événement allait avoir une telle incidence sur la vie de papa et sur notre vie familiale.
    J’ai travaillé 7 ans comme assistante parlementaire aux côtés de mon père au Sénat à Paris. J’ai ainsi été le témoin de certaines étapes de cette longue procédure. Je garde en tête des souvenirs émus et des anecdotes de cette période.
    Je réalise aujourd’hui que notre père, avec son énergie hors du commun, son engagement et sa capacité à rassembler a apporté une pierre dans le combat pour la préservation de la planète, combat environnemental si prégnant aujourd’hui. Je remercie aussi notre maman pour son soutien inconditionnel. Sa vie en a été bouleversée.
    Merci à ma chère nièce Gwenola qui, par son talent et par la relation particulière tissée avec notre papa, son grand-père, a su retracer de manière originale ce combat.
    Je remercie aussi les archives de Rennes d’avoir organisé une exposition tellement fidèle à ce que nous avons vécu.

    Hélène ARZEL-CONTAT, fille d’Alphonse ARZEL

  • 15 novembre 2020 11:10 - Yan pouliquen

    Félicitation pour ce travail d’archive remarquable

CRÉDITS

Exposition
Bleu Pétrole – Le scandale Amoco

à voir jusqu'au 8 janvier 2021 aux Archives Départementales d'Ille-et-Vilaine

commissariat d'exposition et textes Charlotte Sarrazin
entretien filmé et animations graphiques Jean-Marc Le Rouzic

BD Bleu Pétrole
scénario Gwénola Morizur
dessin Fanny Montgermont
éditeur Grand Angle

La Cinémathèque de Bretagne

L'inévitable de Gilles Goarant et Gilbert Tari

Du pétrole mais pas d'idées de Jo Potier

Artistes cités sur cette page

Gwenola Morizur

Gwénola Morizur

Fanny Montgermont

Fanny Montgermont

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