Point de vue
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SOMMAIREDiffusion terminée
Selfie est un documentaire qui expérimente une modification du point de vue. Le réalisateur Agostino Ferrente y délègue le tournage des images à ses deux héros et à des caméras de surveillance. Avec une aisance confondante, Alessandro et Pietro mettent en forme les situations qu’ils rencontrent au fil de leurs journées. Au lieu de braquer la caméra en direction de leur objet, c’est sur eux-mêmes qu’ils pointent leur smartphone, ouvrant latéralement le champ à des personnages secondaires.
Légèrement perturbant dans un premier temps, le dispositif devient peu à peu naturel. Quelque chose change dans notre rapport au point de vue de l’auteur, généralement incarné par les images mêmes du film. Ici il construit un dispositif, envisage des scènes, puis laisse faire, les personnages se filmant tantôt chacun de leur côté, tantôt dans le même cadre. Ce n’est qu’au montage qu’il reprend la main, pour un film qui articule les bulles spatiales où tout le potentiel du cinéma est exploité : scènes dialoguées, travellings… et des moments de pure magie.
Le sujet se prête particulièrement bien à cette écriture, puisqu’il y est question de la vie à 16 ans dans un quartier violent de Naples, dont le film fait finalement aussi un selfie, stupéfiant.
une page en partenariat avec la Scam
SELFIE
SELFIE
d’Agostino Ferrente (2019 - 77')
Alessandro et Pietro ont 16 ans et vivent à Traiano, quartier chaud de Naples où, à l’été 2014, Davide Bifilco, 16 ans lui-aussi, a été tué par un policier l’ayant pris pour un fugitif.
Alessandro et Pietro sont inséparables : l’un est serveur dans un bar, l’autre rêve de devenir coiffeur.
Ils ont accepté la proposition du réalisateur : se filmer à l’iPhone, commentant en direct leur quotidien, leur amitié profonde, leur quartier que l’été a vidé de ses habitants, et la fin tragique de Davide.
>>> un documentaire produit par Marc Berdugo et Barbara Conforti, Magneto Presse
La vie à Traiano
La vie à Traiano
par Agostino Ferrente
Gianni Bifolco, le père de Davide, a accepté de me rencontrer au Cocco Bar dans le quartier de Traiano, l'un des nombreux quartiers sensibles de Naples. Je lui avais demandé de me parler de la mort tragique de Davide, son fils innocent tué par la police. En parlant avec cet homme affligé, j’ai expliqué que je ne cherchais pas à enquêter sur ce qui s'est passé, mais à raconter le contexte dans lequel cette absurde tragédie s'est produite. Je voulais rencontrer des enfants du même âge que Davide, en utilisant son histoire comme point de départ, leur demander de parler d'eux-mêmes et de leur monde.
Pendant que je parlais ainsi, le serveur du bar, Alessandro, est venu nous voir en apportant quelques cafés. Il était pressé, car il devait se préparer pour les célébrations de la Madonna dell'Arco.
Je lui ai demandé s'il allait filmer la cérémonie avec le smartphone que je lui avais donné, en lui demandant de toujours rester dans le cadre. Il a accepté, et le résultat m'a impressionné, car pendant la procession, il a été ému aux larmes mais n'a pas cessé de se filmer, avec la statue de la Vierge derrière lui.
Le lendemain, de retour au Cocco Bar, un gamin joufflu et moustachu s'est approché de moi et s'est présenté comme le meilleur ami d'Alessandro. C'était Pietro. Il avait l'air plus âgé, mais il a juré qu'il avait lui aussi 16 ans. Je leur ai demandé à tous les deux de se filmer avec mon iPhone dans le cadre d'une audition, dans une école qui venait d'être rénovée mais qui était déjà en ruine. J'ai demandé à d'autres enfants de la région de venir également, principalement des proches de Davide, ainsi que quelques filles et quelques enfants. Mais tout était déjà clair pour moi : Alessandro et Pietro allaient être les protagonistes du film.
Mon idée était donc de leur déléguer le tournage, et de considérer le téléphone comme caméra qui saisit le réel en eux et autour d’eux. Ce qui m'intéressait, c'était aussi de me concentrer sur leur façon de regarder. Ce qui ressort aux yeux d'Alessandro et de Pietro, c'est leur désir d'une vie normale, et par conséquent leur conflit avec le monde dans lequel ils vivent, où la normalité consiste souvent à être enrôlé dans des groupes criminels et à être considéré comme un déserteur si l'on essaie de trouver une issue.
Le quartier, vu par les deux jeunes qui nous en parlent, devient à la fois un refuge où ils peuvent se sentir chez eux et le lieu où ils jouent leurs émotions, entre peur et naïveté, résignation et désir. Ce quartier, comme beaucoup d'autres, n'a ni théâtre, ni cinéma, ni bibliothèque, et les quelques parents qui trouvent un emploi n'ont pas les moyens d'aider les adolescents qui abandonnent l'école. Ici, tous les enfants ont des scooters et des salles de billard, comme celle devant laquelle Davide a été tué, et les quelques associations de bénévoles qui tentent de changer les choses ne sont jamais suffisamment financées.
Je ne peux pas oublier que l'histoire qui a donné naissance à mon projet, la tragédie de la mort de Davide, parle de l'injustice, de la douleur et de la marginalisation ressenties par un garçon, sa famille, ses amis et leur quartier.
Agostino Ferrente
Agostino Ferrente
Né en 1971, Agostino Ferrente est réalisateur, producteur et directeur artistique. Avant de s’intéresser au cinéma, il était directeur éditorial pour des magazines et des programmes destinés aux Italiens expatriés. Après des études à l’Université des arts dramatiques de Bologne, il intègre l’Ipotesi Cinema, école fondée par le réalisateur Ermanno Olmi. En 1993-94, il produit et réalise les courts métrages Poco più della metà di zero et Opinioni di un pirla.
Ensuite, avec Giovanni Piperno, il réalise Intervista a mia madre (1999) et Il film di Mario (1999-2001), sélectionné dans de nombreux festivals.
En 2001, il fonde à Rome le collectif Apollo 11 pour sauver le cinéma du même nom, alors voué à être transformé en salle de bingo. Aujourd’hui, Apollo 11 est un lieu culturel phare de la capitale.
Il est également membre du groupe de l’ensemble orchestral Avion Travel.
En quête de la bonne séquence
En quête de la bonne séquence
LIBÉRATION >>> Selfie est bien ce film, dédié à tous les Davide Bifolco du monde et consacré à la question politique la plus urgente et la plus persistante de notre interminable époque.
L’HEURE DE LA SORTIE >>> Passionnés par leur mission, les deux garçons sont en quête du bon cadre, de la bonne séquence, des bons intervenants.
18 janvier 2021 09:46 - Loïs Ramos
Magnifique documentaire plein de tendresse, de poésie et d’émotion . C’est juste , touchant et prenant . Bravo!