Le déshonneur
Avec son film, Marie-Christine Courtès offre une sépulture à des oubliées de l’histoire, ici les femmes asiatiques qui, du temps de l’Indochine, accouchèrent d’un enfant issu d’une liaison avec un Français.
Sous tes doigts raconte comment une jeune femme se laisse séduire par un fonctionnaire de la métropole, qui l’ignorera dès lors qu’elle sera tombée enceinte, manière de restituer le peu de considération qu’avait alors la France pour les autochtones d’une part et les femmes d’autre part.
Le récit déroule en parallèle le temps des colonies et celui du rapatriement, quand celles et ceux qui s’étaient compromis avec l’occupant furent parqués dans des camps de réfugiés sur le territoire national. Il montre aussi comment l’enfant né de cette union parvient peu à peu à se délester de son ressentiment pour parvenir à vivre sa vie au-delà de son drame originel.
SOUS TES DOIGTS
SOUS TES DOIGTS
de Marie-Christine Courtès (2014 - 13’)
Après le décès de sa grand-mère, Émilie, une jeune métisse asiatique, revit l'histoire des femmes de sa famille, de l'Indochine coloniale à l'isolement d'un camp de transit.
>>> un film produit par Jean-François Le Corre et Mathieu Courtois de Vivement lundi !
Mettre les silences en image
Mettre les silences en image
par Marie-Christine Courtès
C’était en l’an 2000. Une amie vietnamienne m’avait raconté une histoire extraordinaire : à l’écart d’un petit village du sud-ouest de la France subsistait depuis un demi-siècle un camp de personnes rapatriées d’Indochine. Un camp oublié de tous, où vivait encore dans la plus grande discrétion une centaine de personnes qui avaient dû fuir le Vietnam au moment de l’indépendance. En quittant l’ex-Indochine en 1956, à la fin de la guerre, les compagnes vietnamiennes de soldats français, leurs enfants métis et certains Vietnamiens ou Eurasiens engagés dans l’armée française espéraient refaire leur vie dans cette France qu’ils ne connaissaient pas, mais qui, en leur fournissant un passeport s’était, croyaient-ils, engagée à les accueillir comme ses fils. Pour les plus vulnérables d’entre eux, les femmes seules avec des enfants, pour ceux qui n’avaient aucune famille en France, pour tous ceux qui avaient quitté l’Indochine les mains vides, pour eux l’accueil de la France fut glacial. Ils furent parqués dans des camps de transit. Quelques-uns, quelques-unes surtout, vivent toujours au CAFI (centre d’accueil des Français d’Indochine) à Sainte-Livrade, dans le Lot-et-Garonne. J’ai passé de longues semaines à recueillir leurs témoignages, et de ces rencontres est né un documentaire, diffusé en 2004.
Mais l’histoire ne s’arrête pas avec la diffusion du film. Les destins de ces derniers habitants du CAFI n’ont cessé de m’obséder. J’ai continué de rencontrer leurs enfants, leurs petits-enfants. J’ai compris avec le temps que dans ce documentaire nous avions recueilli les paroles de ces femmes et de ces hommes, mais que le plus important, ce que le film ne faisait qu’effleurer, c’étaient leurs silences. Ce sont certains de ces silences que Sous tes doigts tente de mettre en images.
J’ai donc créé trois personnages de femmes, issues de trois générations successives, de l’Indochine des années 1950 à la France urbaine du XXIe siècle, en passant bien sûr par un camp de transit. Ces personnages ne sont pas forcément emblématiques ni représentatifs des rapatriés d’Indochine, je les ai plutôt pensés comme des précipités au sens chimique du terme, comme le produit de la rencontre fortuite entre une situation historique donnée – la fin de la période coloniale – et des personnalités particulières. Au-delà de l’hommage évident que je souhaitais rendre au courage et à la dignité de ces femmes, je voulais aussi poser la question de la transmission de la mémoire familiale, de la difficulté à accepter l’héritage symbolique laissé par ses parents, par ses grands-parents, lorsque cet héritage est teinté d’humiliation, de frustration, et enfoui depuis des décennies dans les replis de la mémoire collective. Pour moi, la société française est encore une société postcoloniale, une société en proie à une crise identitaire, travaillée par des forces contradictoires qui ne cessent de rejouer une partition d’un autre âge. Pendant des décennies, la République française n’a pas voulu regarder en face son passé colonial. Aujourd’hui, il ressurgit, anachronique, violent, comme une cicatrice exposée. Face à ce passé qui ne passe pas, Émilie réagit à sa manière, d’abord par une forme de violence, contre elle et contre le monde, par une tentative d’exutoire, puis de sublimation d’une histoire enfin connue et acceptée, véhiculée par la danse. Par la médiation de l’expression artistique, elle parvient à se réconcilier avec sa famille, avec son passé, avec elle-même. Le monde dans lequel elle vit n’est plus un simple décor sans âme dans lequel elle évolue étrangère mais un univers vivant, en mouvement, enrichi des expériences et des couleurs du passé.
Marie-Christine Courtès
Marie-Christine Courtès
Après des études de lettres et d’histoire, Marie-Christine Courtès obtient en 1993 le diplôme du Centre de formation des journalistes de Paris. De 1994 à 1997, elle coordonne les journaux en français pour les chaînes TVK (Télévision nationale cambodgienne) et VTV (Télévision nationale vietnamienne), avant de travailler comme correspondante au Cambodge pour l’agence américaine Worldwide Television News.
En 2004, elle réalise son premier film documentaire, Le Camp des oubliés, suivi de Mille jours à Saïgon en 2012. Sous tes doigts, son premier film animé, a été sélectionné aux César et primé dans une vingtaine de festivals internationaux. En 2012, elle suit également une formation d’écriture de long métrage à la FEMIS. Elle développe actuellement plusieurs documentaires et un projet de fiction en tant que scénariste.
Les oubliés d’Indochine
Les oubliés d’Indochine
PARIS MATCH >>> Rencontre avec quelques anciens habitants du camp de transit des rapatriés de l’Indochine à la suite de la bataille de Dien Bien Phu.
FRANCE CULTURE >>> L’histoire des réfugiés de la guerre d’Indochine est encore mal connue en France. Retour sur leur accueil déplorable, et la mémoire que l’on en garde aujourd’hui.
RADIO FRANCE >>> La douloureuse histoire des enfants eurasiens, arrachés à leurs familles à la fin de la guerre et rapatriés en France pour en faire de parfaits citoyens.
LIBÉRATION >>> À la fin des années 1970, l’élan de solidarité inédit envers les boat people, fuyant la violence des Khmers rouges, la guerre civile et le communisme au péril de leur vie.
1 octobre 2024 09:17 - Madouas
Merci de m'avoir fait découvrir cette histoire. Le film est magnifique, les dessins superbes
Je viens de passer un bon moment. Ana
3 mars 2024 18:59 - Dominique
Merci infiniment pour ce travail magnifique et émouvant, merci à Marie-Christine Courtès, aux splendides et sensibles dessins de Ludivine Berthouloux et de Marcelino Truong et merci à la newsletter de L'Intimiste de me l'avoir fait découvrir.
6 novembre 2023 03:40 - Le drezen
Une merveille de sensibilité,une etoffe aux couleurs des vieilles photos qui nous fait découvrir ces personnes oubliées des manuels d'histoire...merci
5 novembre 2023 06:50 - Christine Henriet
Très touchant ce dessin animé. Je ne connaissais pas cette histoire. Le dessin est magnifique, émouvant. J'ai beaucoup aimé. Merci
31 octobre 2023 01:34 - Laot
Ce film est magnifique par sa finesse et compassion. Merci beaucoup !
30 octobre 2023 14:06 - Pascale Gonda
Film touchant expliquant avec beaucoup de délicatesse le sort injuste de ces exilés des rescapés de la décolonisation.
30 octobre 2023 09:44 - Fouquet Monique
Superbe ! Je reste sans voix....nous avons tant à nous faire pardonner.
30 octobre 2023 09:09 - Nadine Cadro
Un film beau et terrible ! Merci pour cette évocation toute en finesse
29 octobre 2023 22:06 - Christine Moissinac
Suis tres impressionnée par le theme et par la realisation
28 octobre 2023 14:27 - Agnès Blachère
C'est une page d'histoire que je ne connaissais pas.
Le film est magnifique...
Merci
13 octobre 2023 21:34 - Elise
L’animation est superbe avec ses personnages tranchés dans l’aquarelle. L’histoire est glaciale. Merci
4 octobre 2023 08:21 - Verneau
Sublimement triste. Magnifique