Le Grand Soir
28/11/2024
Le film d’Aurélien Blondeau trame des images de luttes actuelles – Gilets jaunes, Nuit debout, Notre-Dame-des-Landes – avec celles de son père qui, au siècle dernier, filmait lui aussi les grèves aux chantiers navals de Saint-Nazaire, les manifs et les réflexions des ouvriers sur l’emploi du cinéma pour porter leur discours. Un certain René Vautier les avait rejoints avec sa caméra.
Les archives Super 8 sont ardentes, celles de notre temps rendent compte de l’exaspération des manifestants et de leur mobilisation. Tisseurs de colère raconte en somme comment s'expriment les dominés et comment ils s'affrontent aux forces de l’ordre, démontrant ainsi que la lutte est une création permanente à laquelle tout le monde participe.
Une page KuB en partenariat avec le Mois du film documentaire 2023.
TISSEURS DE COLÈRES
TISSEURS DE COLÈRES
d'Aurélien Blondeau (2020 - 80’)
Les luttes passées et celles d’aujourd’hui font des récits qui se transmettent entre générations. Ici l’histoire commence à Saint-Nazaire, à une époque où les ouvriers filmaient leurs grèves. Quarante ans plus tard, les luttes se poursuivent et se réinventent. Une immersion dans les Nuits debout parisiennes, sur la ZAD de Notre-Dame-Des Landes et dans la France des Gilets jaunes parmi celles et ceux qui tissent leurs colères face aux crises économiques, écologiques, démocratiques qui menacent. Entre témoignages, assemblées populaires, manifestations et affrontements, le film croise les lieux et les époques à travers un parcours qui mêle le récit personnel à l'histoire collective. À chaque étape, un espoir renaît. Les luttes sociales feront-elles encore chanter nos lendemains ?
>>> un film produit par le collectif René Vautier
L'émancipation par la lutte
L'émancipation par la lutte
par Aurélien Blondeau
En 2011, à la suite du décès de mon père, je découvre des bobines de pellicule qui lui appartenaient. Ce sont des films produits par le centre de Culture populaire de Saint-Nazaire où il travaillait étant jeune. Parmi eux, Quand tu disais Valery, un film de René Vautier sur la lutte des travailleurs de l'usine de Trignac, proche de Saint-Nazaire. Ce film de 1975 est la première production de l'atelier Super 8 du CCP, une émergence du cinéma ouvrier. Sur une autre archive, les ouvriers cinéastes énoncent leurs objectifs : filmer la culture ouvrière. À travers ces images, je redécouvre le contexte dans lequel je suis né, en 1977. Quand j'ai choisi d'étudier le cinéma ouvrier à la Sorbonne, je n'avais jamais abordé le sujet avec mon père. Ces films ont été ma porte d'entrée vers une culture populaire qui s'apparentait alors à une culture de résistance.
Le centre de Culture populaire (CCP) était hébergé par la maison du Peuple à Saint-Nazaire, aux côtés des syndicats. On y mêlait pratiques artistiques et syndicalisme dans un projet d'émancipation sociale, comme me l'expliquent les anciens membres de l'atelier Super 8 que je retrouve quarante ans plus tard. La vieille bicoque qui abrite le CCP ne reçoit plus grand monde et l'ancienne maison du Peuple est cernée par un centre commercial.
Mais je ne pouvais me contenter de raconter cette histoire à partir de vestiges. Tisseurs de colères résonne avec le contexte actuel, il fallait me l'approprier pour lui redonner vie. J'ai arpenté les Nuits debout à Paris, la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes et les rassemblements de Gilets jaunes. J’ai tenté de personnifier ces différentes luttes. Chacune d’elles a sa forme, son vocabulaire et son style propre. Chacune de ces luttes est un personnage. Elles ont leur particularité et pourtant elles ont des traits communs comme les espaces occupés, les cabanes, les assemblées populaires.
Et puis il y a les modes d’expression et de captation assimilés par cette culture qui continue de fabriquer ses propres traces. Enfin, je retrouve partout la spontanéité des engagements dont les colères et les espoirs sont faits du même canevas que dans mes extraits d'archives.
Je tire ainsi de l'absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion, disait Camus au sujet du mythe de Sisyphe. J'imagine les Tisseurs de colères heureux de mener une lutte, sans cesse recommencée mais qui les entraîne chaque fois vers une forme d'émancipation.
Aurélien Blondeau
Aurélien Blondeau
Aurélien Blondeau est né en 1977 à Saint-Nazaire d’une mère éducatrice spécialisée et d’un père ouvrier syndicaliste. Il étudie le cinéma à la Sorbonne nouvelle. Par la suite, il se familiarise avec divers outils de captation et de montage à l’INSASS à Bruxelles (photographie, prise de vue, montage pellicule et support numérique).
Devenu monteur pour diverses chaînes de télévision françaises, il passe à la réalisation en 2005 avec un premier documentaire intitulé Histoires à cornettes debout, une histoire des Sœurs de la perpétuelle indulgence, groupe militant LGBT fondé à San Francisco en 1979, désormais diffusé dans le monde entier. En parallèle, il filme les occurrences de la rue, danses de masques africains, spectacles de rue, publicités, divers symboles et motifs accumulés qui lui servent au montage de séquences de VJing*.
En 2010, il réalise notamment un clip du remix de Niagara J'ai vu la guerre interprété par Tonia Lauren et projeté au Bataclan.
À la suite du décès de son père en 2011, il hérite d’une série de pellicules d’archives, découvrant alors que son propre père avait fait du cinéma ouvrier. C'est à partir de cette découverte qu’Aurélien commence à développer un regard sur la culture populaire, qui se développe au sein des mouvements sociaux.
Il s’intéresse d’abord au concept d’empowerment via des outils de mobilisation et d’intervention dans l’espace public. C’est le sujet d’une série de films pédagogiques réalisés entre 2014 et 2017 qui traitent des débats de rue, des ateliers de réflexion sur le langage par l’écriture collective et des conférences gesticulées.
En 2019, il réalise Il suffira d’un gilet, un parcours au cœur du mouvement des Gilets jaunes. Le film est produit par le collectif René Vautier, créé pour l’occasion et il est d’abord diffusé sur des ronds-points et des lieux de lutte comme la maison du Peuple de Saint-Nazaire. Ces projections militantes rendent alors hommage à celui qui, en son temps, diffusait son film Un homme est mort, sur des piquets de grève devant les ouvriers.
En 2021, Aurélien Blondeau achève son dernier film Tisseurs de colères. Le film traverse plusieurs luttes sociales en compilant des archives du passé et des images du présent.
Entre témoignages, assemblées populaires, manifestations et affrontements, le film croise les lieux et les époques à travers un parcours où se mêlent histoire collective et récit personnel.
*équivalent du DJing avec des vidéos
Cinéma ouvrier
Cinéma ouvrier
DÉCADRAGES >>> René Vautier et le cinéma ouvrier : l'Union de production cinéma Bretagne (UPCB), une structure de production au service des colonisés de l’intérieur.
FRANCE CULTURE >>> Quand le cinéma montrait le travail qui te bouffe les mains : ouvrier, ce n'était pas mieux avant. Ni misérabiliste ni démago, tout un cinéma militant s'est écrit depuis l'usine Peugeot à Sochaux, avant de féconder une sociologie du travail ouvrier innovante. C'est à deux hommes qu'on le doit : Christian Corouge, OS durant 22 ans, et Bruno Muel, cinéaste.
LE MONDE >>> Résistant sous l'Occupation, emprisonné pour son premier film, passé du côté du FLN pendant la guerre d'Algérie, membre du groupe Medvedkine après Mai 1968, défenseur de l'autonomie bretonne, le cinéaste René Vautier est mort le 4 janvier 2015 en Bretagne. Il avait 86 ans.
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