Nairobi - Pont l'Abbé
13/01/2025
Mani Mungaï est un danseur félin, né dans un bidonville de Nairobi (Kenya). Les chorégraphes se l’arrachent depuis qu’il est arrivé en France en 2002, mais un auteur prolixe, débordant d’idées, se cache derrière l’interprète. Nous le retrouvons pour la création mondiale de To be or not to be, lors de DañsFabrik 2018.
TO BE OR NOT TO BE
TO BE OR NOT TO BE
par Hervé Portanguen (2018 - 8’)
Deux danseurs, l’un issu du hip-hop, l’autre de la scène contemporaine, se lancent dans une chorégraphie répétitive et récréative pour parler de rébellion adolescente, et de ce que l’adulte peut transmettre à l’enfant. Une danse émaillée de fragments d’un texte de Philippe Gauthier, un dialogue entre deux personnages, l’un plus âgé et l’autre plus jeune, un grand et un petit, G et P.
Ce duo, incarné par les danseurs Mani A. Mungai et Mike Hayford, se passe au Kenya (où Mungai a grandi). Grandir à Nairobi est bien différent de grandir en France. De même qu’être élève à Pont L’Abbé (où Mungai a été en résidence) ne ressemble pas à une scolarité en banlieue parisienne. Partir d’une histoire personnelle, particulière, permet l’identification et la réflexion. Comment sont les adolescents ailleurs ? Quelles sont leurs préoccupations ? To be or not to be…
Répéter, répéter encore
Répéter, répéter encore
par Mani A. Mungai
Ce duo chorégraphique est né du désir d’interroger le processus de transmission de l’adulte à l’enfant, puis à l’adolescent, et son besoin de se rebeller pour devenir. La répétition des mots ou groupes de mots est l’angle par lequel j’ai choisi d’aborder ces thématiques universelles. N’apprend-on pas en répétant? Pour épouser le point de vue de l’autre, s’intégrer dans un groupe de personnes, leur ressembler et éloigner le sentiment de solitude. Répéter c’est aussi manifester, scander, essayer de se faire entendre, et faire adhérer les autres à sa cause. Répéter permet aussi de singer l’autre, et de le mettre à distance. De s’en distinguer pour exister.
C’est l’histoire de deux garçons évoluant dans un monde fantasmagorique. Je suis l’un des deux interprètes. L’autre est le danseur hip-hop rennais Mike Hayford. Nos âges sont indéterminés. Nos tenues vestimentaires indiquent que nous appartenons à une bande au style affirmé. Nous avons une manière de parler, un code de langage qui nous est propre. Les échanges verbaux entre nous seront de l’ordre de la moquerie (répétition), de l’agacement, puis de l’affrontement. La musique prend alors le pas sur les mots et permet aux personnages de se libérer, se défouler. J’ai en tête une musique qui provoque une émotion forte...
Je poursuis le travail avec l’artiste plasticien Felix Rodewaldt, entamé sur ma dernière création The Letter. Son art, le tape art peut transformer du simple carton en un écran vidéo ou image cinétique.
Pour ce projet, j’ai aussi sollicité l’auteur dramatique Philippe Gauthier pour qu’il nous livre un matériau textuel. Par le jeu de la répétition, du décalage, de la métaphore et des sons, les mots et les phrases seront malaxés, mis à mal. Car To Be Or Not To Be parle de ce point de rupture, de rébellion de l’enfant ou de l’adolescent face à l’autorité. Peut-être que c’est en s’opposant que chacun trouve sa voie et naît à soi-même ?
De ma résidence au Collège Laënnec de Pont l’Abbé (Finistère) en février 2016, je retiens l’environnement sonore, les sonneries répétitives : récréation, changement de classe et fin de la journée. J’ai voulu une danse découpée de la même façon. Le plateau de théâtre vu comme un espace de récréation. J’ai voulu une sorte de dialogue fait de répétitions, de malentendus, de confrontations, de moqueries, de rires... une danse construite à partir de l’idée de la répétition, parfois très lente, à d’autres moment très rapide et impulsive, avec des ruptures, ponctuée par des sonneries.
Le moment de la discordance
Le moment de la discordance
par Philippe Gauthier
Comment parler de la transmission de l'adulte à l'enfant? De la rébellion de l'adolescent vis-à-vis de l'adulte transmetteur? De l’émancipation, enfin, du jeune adulte? Cheminement universel et pourtant tellement personnel. Chaque personne a vécu, vit ou vivra ces moments. Je pourrais aborder ces problématiques de manière didactique. Expliquer avec des mots chacune d'entre elles. Mais où serait la place du corps et de son langage? Et si le sens des mots n'avait, ici, que peu d'importance? Si la forme primait sur le fond? En jouant sur le rythme de la langue, la répétition ou non.
Deux personnages. Un dialogue. Rythme similaire. L'un répétant les paroles de l'autre, ou essayant de le faire. Comme un enfant qui, par mimétisme, reproduit les gestes de son père ou de sa mère. Au début donc, une certaine harmonie. Puis la voix de l'un, l'enfant, se fait plus distante. Le rythme change. Les mots diffèrent. Légèrement. Progressivement.
On arrive au moment de la discordance.
L'adolescence. Pourtant la voix de l'autre, l'adulte, tente de se faire entendre. De s'imposer.
La séparation, ensuite. Les rythmes, les mots, suivent un chemin différent. S'éloignent. Plus de dialogue, mais deux monologues. Se chevauchant, s'entrecroisant. L'adulte garde son rythme. Le déjà plus enfant trouve le sien. L'affirme. Sa parole évolue.
Les deux voix s'accordent finalement. Deux entités différentes mais proches. Deux instruments. Deux timbres. Une nouvelle harmonie. Fragile au début. Puis se renforçant.
La forme donc. La forme au service du fond. Sans l'expliquer. Les mots racontant une autre histoire. Celle de deux personnages. Une histoire inspirée de mon vécu, de celui de Mani et de bien d'autres. Lointaine ou proche. Une histoire, aussi peut-être, racontant la relation de l'être humain avec la Terre.
Philippe Gauthier
Né en 1977 à côté de Lyon, il abandonne rapidement le système scolaire classique pour apprendre un métier, la sylviculture (exploitation rationnelle des arbres forestiers) pendant un an, puis la coiffure. Parallèlement à ces formations, ou un peu avant, il commence à s'intéresser aux arts. La musique, en pratiquant la guitare, et le dessin. Pour ces deux disciplines il avance seul, en autodidacte. L'idée de vivre des arts plastiques lui traverse l'esprit, mais un dossier scolaire plutôt mauvais stoppe ses ambitions. Alors il coiffe... Sa rencontre avec le théâtre ne se fait que plus tard. Hasard de rencontres.
D'abord spectateur, il (re)découvre ce moyen d'expression, ce langage. Surpris même d'y trouver quelque intérêt - les pièces, vues jusque là, ne l'ayant pas transcendé - le hasard des rencontres, encore, l'amène alors à découvrir l'autre côté de ce miroir. Pour la première fois de sa vie il se retrouve à travailler un texte, puis à le présenter sur scène, devant un public. Un électrochoc. C'est ça ! À partir de là, et pour faire court, il arrête la coiffure et, monté sur Paris, il s'inscrit dans une école privée de théâtre. Commence alors pour lui, comme pour beaucoup d'autres, l'apprentissage du métier de comédien.
Il n'ira pas jusqu'au bout de cette formation. Après trois semestres, il arrête. S’est planté. Pas pour lui. Pourtant, l'envie de raconter des histoires est là. Certainement du fait d'avoir lu et travaillé plusieurs textes, contemporains ou classiques, il se tourne vers l'écriture. Théâtrale, ça va de soit.
MANI A. MUNGAÏ
MANI A. MUNGAÏ
Danseur au Kenya pour le chorégraphe Opiyo Okach, Mani A. Mungai se forme au Sénégal à l’École des Sables de Germaine Acogny avant de rejoindre Bernardo Montet, à Brest en 2002. Interprète au sein de la compagnie Mawguerite dans O. More et Parcours 2C (Vobiscum), il est ensuite et jusqu’en 2005, danseur permanent du CCN de Tours, aux côtés du chorégraphe.
Il danse également pour Raphaëlle Delaunay, Farid Berki, Emmanuel Grivet, Boris Charmatz, Rachid Ouramdane et Dorothée Munyaneza.
En 2006, il crée son premier solo Chronological Pt. 1. et fonde sa compagnie Wayo – qui signifie empreinte de pieds en swahili, pour rappeler le point de départ, son ancrage, ses racines, le premier pas, et bien entendu la trace.
Au contact du texte, de la poésie, de la vidéo, ou de l’art contemporain, Mani A. Mungai brouille les contours de la danse, et réinterroge la forme chorégraphique.
Diplômé des Gobelins - l’école de l’image, en tant que chef opérateur - Mani A. Mungai réalise également des vidéos de danse. En 2010, il crée deux soli inspirés de son vécu intitulés Babel Bled et Babel Blabla.
En 2013, il crée un trio d’hommes I like-me (m’aime pas mal), une performance avec la poète Isabelle Garron Le Pas contemporain et réalise un film pour le musée des Beaux-Arts de Rennes sur Le Labyrinthe du GRAV (Groupe de Recherche en Arts Visuels).
En 2015, il crée des performances en écho aux expositions présentées au Quartier – Centre d’art contemporain de Quimper et à l’Atelier Estienne – Centre d’Art Contemporain de Pont-Scorff qu’il intitule M. vs... qu’il décline en 2016 sur le Pays de Lorient en M.vs Itinéraires Graphiques.
En 2016, il crée The Letter, un projet au croisement de la danse, des arts plastiques et du théâtre. To be or not to be, duo chorégraphique qui a fait l’objet d’une commande d’écriture à l’auteur dramatique jeunesse Philippe Gauthier, a été créée en mars 2018 au festival DañsFabrik.
MIKE HAYFORD
MIKE HAYFORD
Né à Rennes en 1983, Mike Hayford est une figure emblématique de la scène hip hop bretonne. Dès son plus jeune âge, il baigne dans la culture hip hop et choisit la danse comme moyen d’expression. Il intègre différentes compagnies tels qu’Impérial 35 ou encore Rencontre du 3e style, qui lui permettent de se perfectionner pour devenir un danseur professionnel ainsi qu’un performer reconnu au niveau international, sous le nom de Iron Mike.
Grâce à sa spécialité, le popping, il devient membre de The Avengers Crew et participe à de nombreuses compétitions internationales. Avec son crew mais aussi en tant que danseur solo, il remporte plusieurs titres prestigieux tels que ceux du Old School Night (Japon) en 2014, de l'Urbanation (France) dans les catégories Popping et le All style, et du Supreme Cercle Underground.
Ceci lui a permis d'être régulièrement invité sur les différentes compétitions internationales en tant que juge. Par ailleurs, des artistes de rap, comme La Brigade, Cris'f, Kenny Garrett ou encore Inspectah Deck du Wu-Tang Clan, ont fait appel à lui pour apparaître dans des vidéo-clips ou pour les accompagner lors des concerts.
Au-delà de l'univers des battles et des shows de hip hop, Mike Hayford s'avère également danseur-interprète dans de nombreuses pièces chorégraphiques ou théâtrales. Il fait partie, depuis 2004, de la compagnie Moral Soul, compagnie de danse brestoise créée par Herwann Asseh. Il danse dans plusieurs créations et assiste le chorégraphe sur certaines d'entre elles. Mike Hayford se produit également pour différentes compagnies de danse hip hop telles que Force 7 de 2003 à 2006, la compagnie de Gabin Nuissier Aktuel Force, de 2006 à 2007, ou encore EthaDam, en 2014, la compagnie du chorégraphe Ibrahima Sissoko mais aussi pour des compagnies de théâtre comme la compagnie des cambrioleurs de Julie Berès, de 2009 à 2011 et aux côtés du metteur en scène Nadir Ioulain, en 2011.
En 2014, Mike Hayford souhaite réunir la nouvelle génération de danseurs bretons de hip hop, il constitue alors le groupe Zombeavers. Celui-ci participe à des battles de hip hop à l'échelle régionale mais aussi nationale. Il a remporté le concours de Hip hop en Scène à Quimper, en 2015. Parallèlement à cela, il crée l'association West Coast project qui œuvre pour le développement de la culture hip hop en Bretagne, en proposant des stages avec des intervenants de renommée régionale voire internationale et en organisant des événements autour du Beat Box ou des soirées DJ- danse.
C'est la récré !
C'est la récré !
OUEST-FRANCE, Frédérique GUIZIOU >>> Gestuelle imitée ou décalée, danse rythmée ou posture nostalgique, le plateau devient espace de récréation. [...] Fort est le texte, imaginé par l’auteur dramatique jeunesse Philippe Gauthier, inspiré du vécu de Mani, imaginé de scènes de Nairobi.
LE TÉLÉGRAMME, Thierry DILASSER >>> Ce spectacle à l’énergie contagieuse met en scène deux danseurs, Mani A. Mungai et le Rennais Mike Hayford. [...] Près de quarante-cinq minutes durant, les deux artistes se lancent dans une chorégraphie à la fois répétitive, tantôt récréative, tantôt plus sombre, pour illustrer les thèmes de la transmission de l’adulte à l’enfant et de la rébellion adolescente.
UNIDIVERS, Emmanuelle Paris Perrière >>> Felix Rodewaldt & Mani Mungai propos de The Letter : C’est la rencontre avec l’artiste plasticien allemand Felix Rodewaldt et le choc que procure l’une de ses œuvres, une cellule de détention, construite en ruban scotch dans un ancien commissariat de Munich, qui enclenchent le travail. La démarche du plasticien est en symbiose avec ce que Mani Mungai pressent de la pièce à créer. Ainsi, la forme s’articule autour de trois axes : la lettre dont les mots doivent être livrés au public, l’installation de Felix Rodewaldt et la danse de Mani Mungai qui fait corps avec la lettre et l’installation.
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