Parler pour guérir

Hugues Chauvet tuer le silen cover

Tuer le silence, belle trouvaille que ce titre pour un film qui n’a recours qu’à la parole pour panser des plaies psychologiques profondes, celles du syndrome post-traumatique. Richard Bois y filme des militaires engagés dans des OPEX, opérations que la France mène à l’étranger via ses régiments d’infanterie de marine ou de chasseurs alpins chargés de s'interposer entre les belligérants, mais qui sont régulièrement victimes d’attaques ou d’embuscades.

L’on dit que l’armée est la grande muette. Ses soldats sont sensés occulter leur émotions et faire bonne figure, quoi qu’il leur en coûte. Quand la foudre s’abat sur eux, ils se réfugient donc dans le silence. De retour en France, ils mettent un couvercle sur l’horreur qui s’est nichée dans leur mémoire.

Tuer le silence est une belle expérience humaine, une tentative aussi de faire évoluer les mentalités dans une institution qui peine à s'extraire de son carcan de virilité.

BANDE-ANNONCE

TUER LE SILENCE

de Richard Bois (2019)

La parole est l'élément primordial du processus de libération d'un traumatisme.
Le film documentaire de Richard Bois, Tuer le silence, montre ce chemin douloureux mais bénéfique et incite à passer du silence à la parole. Ce passage est raconté à travers cinq interviews de militaires qui ont connu le front. Ce sont des blessures physiques et psychiques dont témoignent, à visage découvert, cette femme et ces hommes. Mais c'est aussi de leurs proches dont il est question.
Comment le silence qui pouvait être un refuge, un jour, ne l'est plus ? Quand se fait ce choix ? Comment la parole permet, alors, de se reconstruire et de sortir du labyrinthe où se perdent grand nombre de combattantes et combattants ?
Tuer le silence est un partage d'expérience qui tente de faire exemple pour d'autres.

>>> un film produit par Ruwenzori et France Télévision


Prix

Prix Circom du meilleur documentaire

INTENTION

Laisser place à la parole

armée mains Tuer le silence - Richard bois

par Richard Bois

Alors que je projetais mon film Le nid des phœnix au Centre de rééducation de Kerpape, un collectif de militaires est venu me solliciter pour porter à l’écran le livre qu’ils écrivaient sur leurs blessures de guerre. Ils avaient aimé le ton et le regard que je portais sur le handicap. Ils voulaient que je montre leurs blessures de la même façon. De mon côté, je voulais rester à bonne distance d'une posture patriotique ou militariste, préférant m'intéresser à la dimension humaine, universelle, de leur épreuve.
Ayant travaillé sur plusieurs films de guerre, j’avais déjà été frappé par l'effet libérateur de la parole chez ceux qui s'autorisent enfin à raconter les choses difficiles qu'ils ont vécu. Me concentrer sur ces individus, les aider à déposer les armes, laisser de côté le contexte militaire, politique, médical... Écouter la parole humaine sans chercher à entrer dans des explications sur le syndrome de stress post-traumatique, c'est ainsi que je définirais le projet Tuer le silence.

PORTRAIT

Cécile Trompette

Engagée en 2002 au septième bataillon de chasseur alpin comme auxiliaire sanitaire, Cécile Trompette subit une explosion en tant que pilote de véhicule blindé. Multiples fractures et hématomes, traumatisme crânien, les dents qui volent en éclats. Le choc laisse aussi à cette femme de 31 ans des traces profondes, plus intérieures. Rapatriée puis hospitalisée, elle reprend le travail après six mois d'arrêt, au camp des Garrigues à Nîmes. Alors que ses compagnons d'armes reviennent de leur mission en Afghanistan, elle craque. Je ne supportais plus personne et je devenais agressive. C'est là que j'ai commencé à être suivie psychologiquement. Mais je n'ai pas aimé et j'y ai mis fin. Je ne voyais plus personne jusqu'à ce que la Cellule d'aide aux blessés de l'armée de Terre intervienne et me propose des stages de découverte du sport.Je n'ai jamais autant parlé que dans ces stages.

Cécile décroche une médaille d'agent sur 100 m aux Invictus Games de Londres, en septembre 2014, une compétition destinée aux soldats et vétérans de guerre blessés.

PORTRAIT

Jean-Louis Zoude

Jean-Louis Zoude, la cinquantaine, est parti dans bon nombre de zones de conflits partout autour du monde. En rentrant d'ex-Yougoslavie, il a du mal à traverser un carrefour sans imaginer un snipper embusqué dans un des immeubles qui l'entourent. Le Rwanda sera un tournant. L'action humanitaire et d'aide aux populations l'amène à côtoyer le pire. Après l'Afghanistan, sa femme, Anne, ne le reconnaît plus. Elle dit toujours l'aimer mais elle a fait une croix sur l'homme qu'elle a épousé, il ne sera plus jamais le même.


C'est en 2015 qu'il est enfin reconnu comme souffrant du syndrome de stress post-traumatique, diagnostic difficile à admettre au départ. Il pense que ça va passer mais il est victime de flashbacks, il lui arrive de croire qu'il est en mission et il fait peur à son entourage. Sa femme et lui divorcent quelques temps après, mais ils se remarient quand il se rend compte que sa femme est ce qui le fait avancer. Il faut se faire soigner. On ne s'en sort pas tout seul, ce n'est pas possible !
Jean-Louis décède en juin 2019 d'une crise cardiaque, alors que Tuer le silence est en fin de montage.

PORTRAIT

Sylvain Mazzocco

Sylvain Mazzocco est un pilote d'hélicoptère de 47 ans. Lors de l'opération Turquoise au Rwanda, en 1994, il subit la déflagration d'une explosion de mortier qui le choque mais ne lui inflige aucune blessure physique. Il termine sa mission puis enchaîne différentes opérations extérieures de l'armée française, passant de l'armée de Terre aux forces spéciales de l'armée de l'Air.
En 2011, apparaissent les prémices d'un stress post-traumatique qui le poussent à demander de lui-même une hospitalisation. Il m'a fallu sept ans pour me libérer. Je m'en sens grandi. À présent, la parole de Sylvain est calme. Ses sept années de thérapie l'ont changé. Il a quitté l'armée. Sa reconstruction se concrétise par la création d'une entreprise d'aide à la personne.

PORTRAIT

Hugues Chauvet

Issu d'une famille de militaires, Hugues Chauvet a 45 ans. En 1991, il participe à la première guerre du Golfe. En 2012, en Afghanistan, il est chef de détachement d'un groupe de militaires en mission de formation pour des militaires afghans. L'un de ces Afghans retourne son arme contre les militaires français au moment du jogging. Bilan : cinq morts. Hugues fait partie des blessés. Il n'a pas gardé de séquelles.
Il manifeste l'envie de parler et d'écrire. La femme d'un des blessés décide d'écrire leur histoire dans un livre : Trahison sanglante. Rapatriés, les membres du groupe se retrouvent autour de ce travail d'écriture.


Hugues n'a pas entamé de psychothérapie mais il a beaucoup parlé, avec ses amis et ses kinés. Le besoin d'être seul avec son chien lui est devenu vital. Il a quitté l'armée de Terre en 2015 après 30 ans de service.

PORTRAIT

Frédéric Cantelou

Au Mali, lors de l'opération Serval en 2013, l'engin blindé de Frédéric Cantelou subit une attaque par un IED (engin explosif improvisé). L'explosion du véhicule cause la mort du pilote et blesse les trois autres hommes, dont un au pronostic vital engagé, le sien. Blasté, il est brulé au visage, aux bras et aux jambes, avec risque d'amputation. Placé en coma artificiel, il va être hospitalisé durant neuf mois à Percy, l'Hôpital des armées. Il survit malgré une embolie pulmonaire et une septicémie. Sa rage de vivre le sauve. Il faut prendre le taureau par les cornes et y aller. À son réveil, il comprend qu'il n'est plus au Mali et qu'il ne pourra plus marcher normalement. Dès lors, il est suivi pour choc post-traumatique. Il subira une dizaine d'opérations.


Il a été décoré de la médaille militaire et d'une citation à l'ordre de l'Armée. Il a appris à vivre avec son handicap et l'accepte. Âgé de 33 ans, Frédéric a été réorienté au sein de son unité d'origine à Angoulême sur un poste sédentaire. C'était son souhait de rester parmi les siens.

PSYCHOLOGIE

Le syndrome post-traumatique

par Jacques Brélivet

Le syndrome post-traumatique est un trouble psychique à part dans le domaine de la psychopathologie en ce sens qu'il est nécessairement lié à un événement. Il peut survenir lorsque l'on est soi-même victime d'un accident ou d'une agression, mais aussi lorsque l'on est témoin (ou auteur) d'un décès brutal. Entre l'évènement, le trauma et le syndrome post-traumatique s'écoule une période qui peut se compter en jours, en mois ou en années... Nul ne peut prédire cette durée.


Quand éclot le syndrome post-traumatique, l'équilibre d'une personne peut s'en retrouver totalement ébranlé. Les flashs diurnes ou les cauchemars traumatiques signent l'origine du trouble. Mais la souffrance psychologique s'étend souvent bien au-delà de ces funestes reviviscences. Dépression, anxiété, addictions, violences contre soi ou autrui, c'est évidemment aussi le couple ou la famille qui souffre et qui parfois se brise. Certains en meurent.
Et pourtant, le syndrome post-traumatique est un mal qui se soigne. Il n'existe pas de médicaments anti-trauma même si ceux-ci sont souvent d'une aide précieuse dans la prise en charge d'un patient. Le traitement du trauma est psychothérapique. La guérison passe par la parole.

Pourquoi est-ce si périlleux d'en parler, d'en parler vraiment ? L'idée de mettre des mots sur des maux n'est pas nouvelle mais reste d'actualité pour celles et ceux qui ont un jour croisé cette forme de néant qu'est la mort.

Jacques Brélivet a été psychologue conseil sur Tuer le silence.

BIOGRAPHIE

Richard Bois

bio Richard Bois réalisateur  @Jeanne Roux
@Jeanne Roux

Richard Bois est réalisateur, compositeur et plasticien. Il vit en Bretagne, écrit et développe des projets dont Tuer le silence, avec France Télévisions. Sa précédente réalisation est un diptyque documentaire Le nid des phœnix tourné au Centre de rééducation de Kerpape pendant deux ans.
Ayant passé ses vacances en Bretagne pendant des années, dans la maison de son grand-père, il s’intéresse à la culture maritime depuis le plus jeune âge. Après une enfance en Afrique (Ouganda/Mali/Rwanda/Burundi) et une période parisienne, il vient s’installer à Lorient en 2013.

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REVUE DU WEB

Des mots sur des maux

POSITIVR >>> Mettre des mots sur des blessures, qu'elles soient mentales ou physiques, permet aux anciens soldats revenus du front de revivre. C'est le projet de Richard Bois.

LE MONDE >>> La guerre intime de Claude, ancien soldat atteint de stress post-traumatique. Sur le papier, la réinsertion dans le civil de ce militaire de terrain est une réussite. Avec sa famille, il doit pourtant lutter au quotidien pour ne pas devenir fou.

OUEST FRANCE >>> Les atrocités de la guerre ont laissé à Sébastien, 30 ans, un syndrome de stress post-traumatique. Aujourd’hui en rémission, il vient de récupérer son aptitude au métier des armes. Militaire dans le Morbihan, il a accepté de témoigner sous couvert d’anonymat, pour tous les autres qui n’osent pas.

COMMENTAIRES

  • 23 mars 2021 02:02 - Annie Pagnier

    Merci pour cet article .
    Ayant un ami virtuel, ancien soldat Québécois tspt,je comprend bien mieux ce dont il m'a parlé, rejeté par certains membres de sa famille ,et qualifié de monstre ...
    Heureuse d'avoir eu certaines confidences ,sur son histoire ,et heureuse grâce à vous de comprendre encore mieux.

Artistes cités sur cette page

bio Richard Bois réalisateur  @Jeanne Roux

Richard Bois

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