Compositrices
Hildegard Von Bingen, Francesca Caccini ou Louise Farrenc, ces noms ne vous disent probablement rien. Et pourtant, elles furent des stars de leur époque. Ces compositrices de musique classique, comme effacées de l'histoire, Léa Chevrier et Laureline Amanieux nous les font découvrir dans une web-série en huit épisodes.
Des témoignages d’historiens, d’artistes, une infographie ludique, Un orchestre à soi raconte huit compositrices audacieuses, visionnaires, pionnières, indépendantes, brillantes, étouffées dans leur ambition, ou alors féministes.
Un orchestre à soi
de Laureline Amanieux et Léa Chevrier (2024 - 8x5')
L’histoire de la musique telle qu’elle nous est racontée dans les livres est encore celle de grands hommes à perruques dont les noms sont gravés dans l’imaginaire collectif. Est-ce à dire que les femmes se sont interdit toute composition musicale ? Évidemment non, le documentaire de Léa Chevrier et Laureline Amanieux s’emploie à réhabiliter quelques-unes de ces figures manquantes au Panthéon musical.
Un orchestre pour soi s'adresse au grand public via des formats courts (5’) dont l’écriture pop, rythmée, dynamique, colorée, reprend les codes du web. Dans chaque vidéo, des musicologues viennent apporter leur regard de spécialiste d'une époque. Florence Launay et Guillaume Kosmicki ont tous deux réalisé et édité d'importantes recherches sur la place des femmes dans la musique classique. Des musiciens ou chanteurs, ayant une pratique de l'œuvre de telle ou telle compositrice et une connaissance de sa vie, donnent également leur témoignage. Des archives, traitées en animation 2D sont accompagnées d'une voix off s'adressant directement à la compositrice. Les raisons qui ont conduit à l’invisibilisation de telle ou telle sont mises en évidence : on insiste sur des mécanismes d’effacement différents afin que l’ensemble des vidéos en proposent la vision la plus complète possible explique Laureline Amanieux.
Les obstacles qu’ont rencontré ces femmes peuvent résonner avec ceux qu'on rencontre toujours aujourd'hui. C'est important que désormais, ce ne soit pas seulement la créativité des femmes qui soit mieux représentée mais leur place dans la société !
>>> une série produite par Dorian Blanc, Rétroviseur Productions, Cécile Cros, Narrative et Circé production
Hildegard von Bingen, une religieuse visionnaire
Hildegard von Bingen, une religieuse visionnaire
Hildegard von Bingen fait partie des femmes les plus instruites du 12e siècle. En plus d’être une abbesse influente dans le monde religieux et politique de l’époque, elle est une compositrice prolifique avec l’écriture de plus de soixante-dix pièces vocales, chantées pendant les offices. Visionnaire, elle compose un drame liturgique novateur : l’Ordo Virtutum, interprété par les religieuses de son couvent, qu’elle met en scène de manière fastueuse, transgressant ainsi les codes imposés par l’Église.
Francesca Caccini, première compositrice d'opéra
Francesca Caccini, première compositrice d'opéra
Issue d’une famille de musiciens florentins, Francesca Caccini s’impose comme la compositrice de la Renaissance la mieux payée de la cour des Médicis ! Sous la direction de son père, elle remporte un grand succès comme chanteuse dans un trio vocal féminin aux côtés de sa belle-mère et de sa sœur. À vingt ans, elle compose des pièces sacrées et profanes et devient la première femme de l’histoire à créer un ballet chanté, cette forme nouvelle qui deviendra l’opéra. Les régentes lui donnent alors pour mission de transmettre une image positive du pouvoir féminin !
Elisabeth Jacquet de la Guerre, des innovations de génie
Elisabeth Jacquet de la Guerre, des innovations de génie
Enfant prodige, Elisabeth Jacquet de la Guerre était une claveciniste de génie. Repérée dès son plus jeune âge par Louis XIV et sa maîtresse, Madame de Montespan, elle reçoit leur soutien pour perfectionner son talent et publier ses œuvres, dès ses 22 ans ! Elle obtient ainsi une reconnaissance au niveau des plus grands compositeurs de son temps ! Elle est la première femme en France à représenter une tragédie lyrique en public à l’Académie royale de musique, le fief de Jean-Baptiste Lully. Elle a par ailleurs exploré des genres baroques nouveaux venus d’Italie : les cantates et les sonates.
Hélène de Mongeroult, à la source du piano romantique
Hélène de Mongeroult, à la source du piano romantique
Trente ans avant Chopin et Schumann, Hélène de Mongeroult invente un style qui préfigure la musique romantique pour le piano ! Femme des Lumières, elle se produit dans les salons car les nobles ne devaient pas se produire en public. Elle suscite alors l’admiration en faisant parler les touches du piano forte, l’ancêtre de notre piano. Pendant la Révolution française, son mari est tué mais elle sauve sa tête en improvisant sur l’air de la Marseillaise ! Puis, elle devient la première femme professeure de piano au Conservatoire de musique de Paris. Dans son cours complet, qui comporte 114 études pour le piano, son écriture musicale se révèle d’une modernité extraordinaire !
Sophie Gail, une farouche indépendante
Sophie Gail, une farouche indépendante
Sophie Gail s’impose comme la plus grande compositrice lyrique du début du 19e siècle. Née dans une famille noble, obsédée par la musique depuis l’enfance, sa vie est bouleversée par la Révolution française. Ruinée, mariée à 19 ans puis divorcée, Sophie Gail doit subvenir à ses besoins comme chanteuse et pianiste. Fascinante par son intelligence, son talent et son humour, elle se fait connaître en publiant les partitions de ses romances. Elle devient ensuite une star en composant des opéras-comiques, l’ancêtre de la comédie musicale, où elle fait la part belle à des personnages féminins libres de leurs choix.
Louise Farrenc, brillante symphoniste
Louise Farrenc, brillante symphoniste
Louise Farrenc apprend le piano au cœur d’une famille d’artistes, dans le Paris du 19e siècle. Elle développe très tôt ses dons pour la musique. Elle se marie avec Aristide Farrenc, un flûtiste et éditeur, qui l’encourage tout au long de sa vie et l’aide à publier ses partitions. Tout en enseignant au Conservatoire de musique de Paris, où elle réclame un salaire égal à ses collègues masculins, elle compose avec brio trois symphonies jouées par les plus grands orchestres ! Une réussite alors exceptionnelle pour une femme de cette époque, au point que les critiques ont qualifié sa musique de virile !
Alma Mahler, une ambition étouffée
Alma Mahler, une ambition étouffée
Alma Mahler souffre d’une mauvaise réputation, en particulier celle de femme fatale, croqueuse de grands génies, ce qui a éclipsé son talent de compositrice. Pourtant, élevée dans une famille d’artistes allemands, elle a déjà composé, à 21 ans, une centaine d’œuvres dont il ne nous reste qu’une vingtaine de lieder romantiques. Au début du 20e siècle, elle épouse un célèbre compositeur et chef d’orchestre : Gustav Mahler, mais à la condition qu’elle cesse de composer. Dix ans plus tard, quand Gustav écoute enfin les œuvres d’Alma, il prend conscience de son erreur.
Ethel Smyth, une compositrice féministe
Ethel Smyth, une compositrice féministe
Ethel Smyth grandit dans une famille de la haute bourgeoisie de l’Angleterre victorienne. À 12 ans, elle découvre sa vocation et combat l’opposition de son père pour partir apprendre la musique en Allemagne ! À 32 ans, elle revient en Angleterre où elle écrit six opéras, dont l’un est interprété au Metropolitan Opera de New York, du jamais vu pour une femme ! En 1911, à 53 ans, elle rejoint le mouvement féministe des suffragettes et sera même emprisonnée pour défendre le droit de vote des femmes. Elle compose alors La Marche des Femmes, un hymne féministe toujours d’actualité.
Un effacement du rôle des femmes dans la mémoire collective
Un effacement du rôle des femmes dans la mémoire collective
Retracer une histoire de la musique classique en Europe au féminin, en sortant de l’oubli les compositrices européennes du Moyen Âge au début du 20e siècle, c’est l’objectif de la série Un orchestre à soi. Du 12ᵉ au début du 20ᵉ siècle, ce sont huit cents femmes qui ont composé de la musique en Europe, la série se concentrée sur huit d’entre elles. Ce qui a guidé nos choix, c'est qu'on voulait montrer des compositrices à des époques différentes et puis aussi dans des genres musicaux différents, allant du chant grégorien, de la musique baroque italienne, au romantisme, des compositrices dans les grands mouvements musicaux, et qui avaient aussi été les premières en leur domaine. Par exemple, Francesca Caccini, la toute première femme à avoir écrit un opéra, c’était au 16e siècle, avec le soutien des Médicis à Florence.
L’oubli ou la méconnaissance de ces compositrices est le signe plus vaste d’un effacement du rôle des femmes dans la mémoire collective. La série documentaire explique, au fil des épisodes, les raisons de cet effacement historique. Jusqu’au 17ᵉ siècle, les femmes n'avaient pas le droit de recevoir une éducation musicale, elles pouvaient apprendre la musique soit parce qu'elles étaient religieuses comme Hildegarde Von Bingen, soit parce qu'elles étaient nées dans une famille de musiciens. À partir du 19ᵉ siècle, la pratique de la musique fait partie de la bonne éducation d'une femme dans les familles aisées, pour l'agrément de la vie sociale. Elles ne doivent pas faire de la composition leur métier. Alma Mahler, la femme de Gustav Mahler, a aussi été une grande compositrice, ayant créé une centaine d'œuvres à l'âge de 22 ans. Mais elle s'était convaincue que la femme ne devait pas composer, qu'elle ne pouvait pas faire quelque chose de grand. Quand son mari lui a dit écoute il ne peut y avoir qu'un compositeur dans un couple et c'est forcément moi, elle a cessé de composer pour se mettre au service de son mari. Dans l'épisode sur Louise Farrenc (19e s), on met l'accent sur le fait qu'au conservatoire de musique elle était moins payée que les hommes et qu'elle s'est battue pour avoir le même salaire qu’eux. On ne parle pas là que de musique classique !
Léa Chevrier
Léa Chevrier
Diplômée de l’École nationale supérieure Louis Lumière en option son et du Conservatoire de musique ancienne, Léa Chevrier explore les possibilités narratives et sensorielles du son dans les différents domaines que sont la création radiophonique, le parcours sonore et l'art sonore. Elle s’intéresse notamment à la question de la spatialisation du son en travaillant avec du son binaural sur de nombreux projets, comme Voyage au bout du monde dans la ville de La Rochelle, Slow Rev’ au théâtre Mogador, les parcours sonores du château de Vaux-le-Vicomte ou encore Apiphobe pour France Culture. Sensible aux questions féministes, Léa Chevrier traite ce sujet dans différents projets, comme avec le podcast Au cœur du planning pour le planning familial ou le parcours sonore Trobairitz à l'abbaye de Sorde.
Laureline Amanieux
Laureline Amanieux
Laureline Amanieux est réalisatrice de films documentaires, de webséries et de podcasts, productrice déléguée à Circé Productions et auparavant productrice associée à Rétroviseur Productions. Elle a réalisé une websérie de dix épisodes pour Arte, Téléportation 2161, et deux séries de documentaires audios pour une plateforme de podcasts et livres audio qui font la part belle à la création sonore spatialisée et aux musiques anciennes ou contemporaines. Plusieurs de ses projets valorisent des personnalités féminines – Amélie Nothomb, une vie entre deux eaux pour France 5, ou Réparer la terre pour Arte – et la musique (elle est coscénariste de Transe, le documentaire d’Emilio Belmonte dédié au flamenco et au musicien Jorge Pardo). Elle est aussi autrice d'ouvrages publiés aux éditions Albin Michel et Payot.
Une histoire incomplète
Une histoire incomplète
VIRAGO >>> Dans cet épisode de la websérie d'Aude Gogny-Goubert, la comédienne présente et donne la voix à des compositrices oubliées dans l'histoire de la musique et inconnues du grand public : Clara Schumann, Barbara Strozzi, Nannerl Mozart, Germaine Taillefer, Elfrida Andrée.
SLATE >>> En Espagne, une professeure de musique répertorie toutes les compositrices de l’histoire : elle élabore une carte interactive qui recense plus de 530 femmes et propose un lien pour écouter leurs œuvres.
RADIO FRANCE >>> Cinq femmes compositrices du 20e siècle refont surface grâce à l'album piano/flûte de Hélène Couvert et Juliette Hurel édité chez Alpha Classic. Ces femmes faisaient pourtant partie des cercles de musique de l'époque, les œuvres ont été publiées, mais sont restées dans les placards.
RADIO FRANCE >>> La pianiste Marie-Catherine Girod s'est lancée dans des recherches de partitions oubliées. Elle vient de sortir, sur le label Miraré, l'album Regards de femmes qui rassemble 17 compositrices oubliées, du 18e au 20e siècle.
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