La mort en ce bistrot
Avec Un soir de mars, Joseph Minster signe un film sobrement virtuose, un plan séquence d’un quart d’heure dans un bar de Brest, le soir. Cette unité de temps et de lieu, sans découpage, nous plonge dans l’atmosphère d’un lieu où se côtoient les clients et le personnel, chacun dans sa quête : l’amour, l’ivresse, la camaraderie. Quelque chose se trame dans ce tableau impressionniste, quelque chose d’inhabituel, une tragédie sourde qui peine à s’exprimer. La mort bien sûr.
Le regard de Minster glisse subtilement d’un visage à l’autre, tâchant de sonder les âmes, entre gravité et légèreté. Il faut donc écouter son film aussi, car il déploie, en parallèle, un récit sonore hors-champ, qui nourrit l'intensité dramatique de son récit.
UN SOIR DE MARS
UN SOIR DE MARS
de Joseph Minster (2016 - 16’)
Un soir de mars dans un café de Brest, des marins évoquent les dernières nouvelles de leurs camarades en mission. Estelle retrouve sa sœur pour la soirée, Thomas le serveur travaille comme à son habitude. Mais quand son collègue Samir reçoit un message sur son téléphone, l’atmosphère change. Et lorsqu’un homme mystérieux fait irruption dans le café, l’inquiétude gagne Thomas.
>>> un film produit par Les Films d’Argile
Morts au front
Morts au front
par Joseph Minster
Ces dernières années, de nombreux militaires français sont morts au front. Les infos nous le rappellent parfois de façon brutale, la France est engagée militairement ou l’a été récemment en Afghanistan, en Centrafrique, au Mali... On l’oublie parfois, lorsque l’on n’est pas directement confronté à la présence d’un proche sur un théâtre d’opérations. C’est cet oubli que j’ai voulu raconter à travers l’histoire d’un jeune homme inquiet du sort de son frère, entouré d’homme et de femmes qui ne comprennent pas la raison de son angoisse, parce qu’ils ne pensent pas à la guerre.
Pour mieux brouiller les pistes, j'avance différentes hypothèses pour expliquer l’attitude étrange de Samir : l’homme qui fait irruption dans le bar et semble effrayer le jeune homme est-il venu pour un règlement de compte ? Estelle aussi s’interroge, elle qui voudrait flirter avec Samir s'il n'était indifférent à ses avances. Pourtant, tout est dit dès les premières secondes du film, dans une discussion de marins à laquelle on ne prête peut-être pas suffisamment attention.
Le film joue avec nous, se fait énigme, nous invite à reconstituer le puzzle dont les pièces éparses nous sont présentées l’air de rien. En plaçant le spectateur dans une situation un peu inconfortable, en ne satisfaisant pas son désir d’histoires romanesques, pleines de bandits et de règlements de comptes, mais en le confrontant à l’histoire toute simple d’un jeune homme devant faire son deuil, je veux susciter son émotion tout en l’incitant à s’interroger sur la réalité des engagements militaires.
Rapidement, j’ai eu le sentiment que le plan séquence était la forme qui convenait le mieux pour raconter mon histoire, un plan dont Thomas et Estelle sont alternativement les pivots. Je rêvais de mouvements d’appareils assez lents, très affirmés, ce qui excluait le choix d’un steadycam et imposait de travailler avec une dolly alors que le décor était très étroit. Ce choix a constitué un défi pour les acteurs et pour toute l’équipe. Nous avons répété, ajusté la scène pendant trois jours. Et finalement, alors que nous commencions à désespérer de parvenir à tous nous synchroniser, un moment de grâce s’est produit. Le film s’est mis à exister sous mes yeux, comme je l’avais rêvé.
Joseph Minster
Joseph Minster
Après avoir fondé La Générale des Carré, Joseph Minster filme ses frères et ses cousins dans nombre d’histoires pendant dix ans. Il quitte les Alpes en 2005 pour étudier la littérature et le cinéma à Paris. Aujourd’hui, titulaire d’un Master de Littérature comparée de l’université de Paris 3 et diplômé du département réalisation de la Fémis, il écrit pour le web et le cinéma, et revient régulièrement tourner les paysages de son enfance.
En 2016, il est lauréat de la bourse Lagardère scénariste TV pour le projet de série Charon.
Joseph Minster enseigne aussi l’histoire et la théorie du cinéma pour le Cycle pluridisciplinaire d’études supérieures de l’université PSL.
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