Bouroullec, formes
Le design, c’est donner une forme à la culture. Très souvent, ce qui reste des civilisations, ce sont des objets du quotidien, des armes, des choses bien construites et utiles, qui ont traversé le temps. Et on devine derrière ces objets des gens, une humanité. C’est ça l’objet du design, c’est de donner aux objets un peu d’humanité. [Erwan Bouroullec]
Comme les marins...
Ce principe de simplicité nous vient sûrement de la région où nous avons grandi, cette capacité à s’adapter à des situations inconnues et complexes, d’explorer des domaines qu’on ne connaît pas, de travailler dans un milieu qui n’est pas le nôtre, comme les marins ou tous les gens issus de la diaspora de cette région pauvre. Nous sommes un peu les héritiers de cette tradition.
Ronan Bouroullec
ÉDITO
Les Champs Libres, le Frac Bretagne et le Parlement de Bretagne se sont associé pour présenter du 25 mars au 28 août 2016 les créations de Ronan et Erwan Bouroullec, designers de renommée internationale. Les quatre expositions organisées à Rennes invitent à découvrir leurs réalisations dans trois domaines distincts : l’espace public, la microarchitecture, le design d’objet.
En complément à cet événement, KuB vous propose en exclusivité un documentaire des sœurs Verbizh réalisé en 2002, Bouroullec & Bouroullec, quand ils faisaient partie de la génération montante du design français. Une période au cours de laquelle leur travail les conduisait déjà à Londres, Milan, Marseille…
BOUROULLEC & BOUROULLEC
un film d'Alyssa et Myrha Verbizh (2002)
Intentions des réalisatrices en amont du tournage
Une petite rue de St Denis à deux pas du RER, une drôle de bâtisse en brique rouge et, à l’intérieur, un grand espace blanc et presque vide qu’ils disent en cours d’installation : c’est l’atelier des frères Bouroullec. L’un vous accueille et vous n’êtes pas sûrs de savoir au quel des deux vous avez à faire et vous ne lui dites pas de peur de le vexer. Sur les photos, ils ont l’air d’avoir le même âge et ils ont le même regard, un peu énigmatique, lointain. Qui est qui ?
Il y a de la gémellité chez les frères Bouroullec, une sorte de communication spontanée entre deux frères qui travaillent ensemble et se comprennent au quart de tour tout en ayant des sensations et des points de vue différents. Ils inventent des objets pour tous les jours, comblent nos propres rêves ou nos trous de mémoire, comme lorsqu’ils ressuscitent le lit clos de Basse Bretagne qu’on pensait devenu caduque mais qui retrouve tout son sens avec eux, celui de rajouter une pièce d’intimité dans la maison. Ils ont voulu rester indépendants ce qui leur permet de ne pas céder à la tentative du rendement, de continuer à évoluer dans la recherche et la conception d’un mobilier vraiment spécial et inédit.
Quand on demande aux frères Bouroullec si le design était une vocation, ils répondent qu’ils n’ont pas de “belle histoire à raconter”, qu’ils viennent d’un milieu social et d’une région où ils n’étaient pas en contact avec des “artistes”.
Un beau jour l’aîné, Ronan, a quitté sa Bretagne natale pour faire ses études aux Arts Déco. Il s’est mis à gribouiller des croquis de meubles, d’objet. C’est là que tout a commencé. Puis tout s’est enchaîné très vite : les commandes, les expositions collectives. Il a sans doute senti qu’il était doué, les choses se sont imposées d’elles-mêmes comme les objets qu’il conçoit et avec lesquels il souhaiterait que nous ayons une relation essentielle, véritable.
L’objet selon lui devient “archétype” et remplit plusieurs fonctions, est d’ailleurs, ce qui permet à l’utilisateur de jouer avec ses propres affects, ses propres souvenirs.
C’est compliqué parfois de discuter avec les deux frères en même temps : ils se coupent la parole, se chamaillent, s’interpellent, se lèvent, vont chercher des cigarettes… Erwan, 25 ans, a rejoint son frère il y a quelques années, il a d’abord été son assistant. A présent, ils travaillent ensemble, à quatre mains, sans s’octroyer de rôles précis, ils veulent continuer à concevoir et dessiner ensemble.
L’idée principale du film serait de capter un peu de ce processus de création particulier à travers leurs discussions, leurs dessins, leurs échanges.
Comment s’organisent-ils ? Est-ce un avantage évident de travailler avec son frère ? Sont-ils une prolongation l’un de l’autre ?
Cette configuration de travail particulière engendre des effets comiques souvent involontaires. La symétrie de leurs gestes, de leurs positions et déplacements, l’aspect chorégraphique qui en résulte provoquent des jeux de miroir intéressants.
Cet aspect visuel a d’emblée motivé notre envie de faire un film sur eux : ils incarnent physiquement des personnages de film avec leurs drôles de bouilles, leurs grands yeux bleus de pierrots lunaires et leur sourire un peu ironique.
Quand nous avons commencé à les filmer en repérage, notre défi était de les avoir le plus souvent possible ensemble dans le cadre ou de passer de l’un à l’autre, de filmer les moments où ils se croisent dans la pièce, s’éloignent l’un de l’autre. Etant nous-mêmes deux sœurs qui travaillons ensemble, le reflet qu’ils nous offrent de notre propre situation nous amuse. Nous nous mettrons en scène, à plusieurs reprises dans le film pour jouer de cet effet de symétrie entre eux et nous.
Leur aspect un peu enfantin, leur côté potache quand ils se moquent l’un de l’autre, contrastent étonnamment avec le contexte de travail qu’ils ont à gérer alors que les plus grands éditeurs de design font appel à eux : Cappellini, Vitra, Habitat…
Ce qui fait l’originalité des frères Bouroullec c’est la diversité des domaines auxquels ils s’attaquent : mobilier, bijoux, montres, luminaire, micro architectures… Devant cette diversité il est impossible de maîtriser les différents champs et d’avoir une pleine connaissance des contraintes techniques qui y sont liées. “Cela ne nous fait pas peur, disent-ils, c’est justement ce qui nous intéresse le plus : apporter le regard candide, frais de ceux qui n’ont pas d’idée préconçue”. C’est aussi pour cette raison qu’ils mentionnent avec autant d’insistance leurs collaborateurs : fabricants, prototypistes… chaque objet est le fruit d’une histoire partagée, entre eux tout d’abord puis avec d’autres et jusqu’à l’utilisateur qui devra se l’approprier.
Leur générosité est à l’image de leur mobilier aux lignes amples, fluides, rondes, reposantes et aux matières confortables. Ils ne peuvent imaginer un espace qui ne serait meublé que de leurs créations : celles-ci doivent “s’intégrer dans un environnement, un paysage chargé d’autres objets, d’autres souvenirs”.
Le but du film n’est de présenter un catalogue du travail qu’ils ont accompli jusqu’à présent mais de s’attarder sur la configuration originale qu’est la fratrie, de montrer leur lien tout en montrant leurs confrontations, leurs discussions.
Il ne s’agira pas d’un portrait trop “intimiste” qui interrogerait leurs rapports : je préfère que leur complicité, leurs divergences apparaissent à la faveur des images, des expressions, des gros plans, de leurs échanges.
Puisqu’il s’agit également d’un film sur leur travail qui est indissociable de ce qu’ils sont, notre intention est surtout de donner un aperçu de leurs grands principes, de mettre en évidence un paradoxe : la jeunesse, le caractère “improvisé” de leur travail et la reconnaissance internationale dont ils font l’objet.
Il est difficile d’identifier leur style puisqu’ils travaillent pour des entreprises et des commanditaires très différents, et se penchent à chaque fois sur de nouveaux contextes, de nouveaux matériaux… Nous essaierons donc d’en distiller des éléments tout au long du portrait par des images de leurs créations, par les entretiens que nous réaliserons avec eux, les interventions brèves du prototypiste David Topani et/ou d’un développeur de projet de chez Cappellini.
De nombreuses images de leurs objets viendront illustrer ces propos et ce, parfois, d’une manière indirecte : la maquette de l’exposition rétrospective qui leur est consacrée à Londres avec tous leurs objets en miniature, les objets de leur atelier qu’ils manipuleront sous nos yeux, le mobilier exposé à l’espace Cappellini.
Alyssa Verbizh, 2001
ALYSSA ET MYRHA VERBIZH
Alyssa Verbizh est franco-autrichienne. Après des études de littérature, de langues étrangères et de cinéma entre Vienne, Madrid et Paris, elle commence à réaliser des films documentaires au début des années 2000. Elle est l’auteure de nombreux portraits d’artistes plasticiens et de films sur l’art, tant pour les télévisions françaises et allemandes (la chaîne Arte, France Télévisions…) que pour les Musées et fondations d’art. Elle est aussi auteure de livres pour enfants, illustrés par sa sœur Myrha Verbizh et édités à l’Ecole des Loisirs.
Myrha Verbizh a étudié les arts plastiques à la Cambre (Bruxelles) et à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Auteure et illustratrice d’Albums pour enfants édités à L’Ecole des Loisirs, elle a également réalisé plusieurs films, souvent en collaboration avec sa sœur Alyssa.
RONAN ET ERWAN BOUROULLEC
Tous deux natifs de Quimper (1971 et 1976), Ronan et Erwan Bouroullec sont respectivement diplômés de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris et de l’école nationale supérieure d’arts de Cergy-Pontoise. Ils s’associent en 1999 pour mener un travail issu d’un dialogue permanent et d’une exigence commune vers plus de justesse et de délicatesse.
En 1997, ils réalisent leurs premiers projets de design industriel comme le Lit clos et la Spring Chair. A partir de là, leur carrière devient internationale, avec des commandes et des récompenses* tous azimuts. Ils dessinent aujourd’hui pour les plus grands groupes et mènent en parallèle une activité de recherche, une respiration essentielle dans le développement de leur travail. Un certain nombre d’expositions monographiques leur ont été consacrées : à Londres en 2002, Los Angeles, Rotterdam, Roubaix, New York, Chicago, Bordeaux, les Centres Pompidou de Paris et de Metz…
* Créateurs de l’année au Salon du meuble en 2002 et créateurs de l’année Maison et Objet 2011, ils ont aussi reçu le Grand Prix du Design de la Ville de Paris en 1998, le New Designer Award de l’International Contemporary Furniture Fair de New York en 1999 et le Finn-Juhl Prize de Copenhague en 2008. Par ailleurs, leur collection Facett (Ligne Roset), le canapé Ploum (Ligne Roset) et la chaise de bureau Worknest (Vitra) ont reçu la distinction Best of the Best du Red Dot Award respectivement en 2005, 2011 et 2008. La chaise Vegetal (Vitra) a gagné un prix ICFF en 2009 et la Steelwood (Magis) le prix Compasso d’Oro en 2011.
RÊVERIES URBAINES
Les Bouroullec par Sylvaine Salliou, un sujet de France 3 Bretagne pour le grand BaZH’art
Nicolas Roberti, Unidivers >>> Trois lieux, quatre univers, chacun et tous ensemble cohérents, captivants, délicats, fluides, zen. Entre ce je-ne-sais-quoi et ce presque-rien, chers à Jankélévitch, éclôt une grâce du quotidien. De quoi convaincre les derniers réticents que le design constitue une discipline artistique à part entière.
Télérama >>> La ville, les deux designers la rêvent bucolique, accueillante et poétique. A hauteur d’enfant. Ils tombent au bon moment. Beaucoup de grandes villes, comme Nantes, Paris, Lyon ou Lille, s’interrogent aujourd’hui sur la manière de restituer l’espace public aux citadins. Pour que la ville ne soit pas seulement un lieu où l’on produise, circule, consomme et dorme, mais qu’elle permette aussi le jeu, la rencontre.
“Les Rêveries urbaines” semblent beaucoup intéresser Nathalie Appéré, maire de Rennes. Peut-être deviendront-elles un jour réalité ?
Véronique Lorelle, Le Monde >>> A quoi ça sert, le design ? S’il fallait trouver une réponse, les designers Ronan et Erwan Bouroullec la donnent avec brio à Rennes, où quatre expositions leur sont consacrées aux Champs libres, au Fonds régional d’art contemporain (FRAC) et au Parlement de Bretagne. Ces quadragénaires bardés de récompenses font aussi des propositions inattendues pour habiter la ville autrement, ce qui sonne comme un tournant majeur dans leur carrière. « Tenter d’améliorer la qualité de vie dans les villes, qui sont dures pour les citadins, c’est un sujet sur lequel on ne nous attend pas, reconnaît Ronan Bouroullec. Toutefois, là où nous avons été meilleurs, c’est quand on est venu nous chercher sur des terrains où l’on n’allait pas naturellement. Ne pas être spécialiste est intéressant pour défricher et tomber juste, grâce à une forme de naïveté ! »
Libération >>> Cinq ans après avoir été qualifiés par Libé d’« hédonistes underground », les frères Bouroullec déboulent au grand jour, à l’occasion d’un tir groupé de quatre expos, de mars à mai à Rennes. Où l’on voit qu’ils sont aussi sortis du design d’intérieurs, pour investir les espaces publics, la ville, pour rêver (en attendant).
RESSOURCES
L’œuvre des frères Bouroullec, démarre dans les années 90, au moment où le web se démocratise. Les ressources sont donc nombreuses, qui permettent d’explorer leurs deux premières décennies de production.
Le catalogue en ligne des quatre expos rennaises + la page du Frac Bretagne qui inventorie les manifestations
Les entretiens de Ronan et Erwan Bouroullec réalisés par Arnaud Géré dans les studios Bouroullec, Paris / Les Champs Libres.
DÉAMBULATION
Déambulation dans l’expo « 17 screens » actuellement dans la grande galerie du FRAC Bretagne
© Studio Bouroullec
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