Hommage au sauvage
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Le lieu enfoui auquel Alexis Jacquand fait référence dans le titre de son fascinant documentaire, n’évoque peut-être pas seulement la forêt profonde, mais un état psychologique, celui de l’homme avant la modernité, quand il était encore relié au sauvage, plongé dans la rudesse des éléments.
Nous progressons ici sur les talons d’un vieux chasseur à l’arc, philosophe, et d’une bande de gamins pour qui la forêt est un terrain d’aventures. Tous partagent une fascination pour les bêtes qui se dissimulent sous le couvert, se fondent dans le décor et nous ramènent à notre juste valeur. Elles voient, entendent, se meuvent comme nous sommes incapables de le faire.Entrer dans la forêt c’est comme entrer dans un conte, d'innombrables caches recèlent autant de créatures inconnues, fantasmées. Vers ce lieu enfoui nous apprend la patience, l’humilité, le respect de ce monde, d’autant plus qu’il est blessé à mort.
Excentrics, une collection KuB en partenariat avec la Scam
VERS CE LIEU ENFOUI
VERS CE LIEU ENFOUI
de Alexis Jacquand (2020 - 60’)
Une forêt de montagne, sa pente et ses rochers. L’arc à la main, un vieux chasseur piste le chamois en silence, et contre le vent. Parmi ses souvenirs peuplés de bêtes, des enfants explorent une forêt, se construisent une cabane, jouent dans le désir et la crainte d’une rencontre avec l’animal sauvage.
>>> un film produit par Damien Monnier de l’Image d’après et Francis Forge de La Société des Apaches
Brouillon d'un rêve 2020
Immersion dans la forêt
Immersion dans la forêt
par Alexis Jacquand
La forêt active le regard, réveille l’écoute. Sa densité réduit la vision, son épaisseur étouffe les sons. Sous le couvert de la frondaison, la lumière se dérobe et le ciel se fait rare. L’air chargé d’humidité semble frais, l’odeur de l’humus monte, la litière feutre nos pas. La parole change, on se tait ou on chuchote. C’est auprès de Milo, Loïc, Perrine, Anouk, Maxence et Paul que j’ai connu l’excitation de partir un sac rempli d’outils sur le dos, des rêves de cabanes en tête. C’est auprès de Jacques que j’ai connu l’émotion des jeux de trappeurs, toujours intacte après 60 ans de chasse. D’une part, j’en dresse des portraits qui révèlent leurs personnalités en prise avec la réalité de cette forêt de montagne. D’autre part, ils incarnent les figures universelles de l’Enfant et du Chasseur, telles qu’elles peuvent exister dans l’univers des contes et des légendes liés à la forêt.
À travers eux, la forêt du film oscille entre la réalité de son écosystème et sa dimension symbolique. Elle est cet espace circonscrit dans lequel l’homme décide où la faune sauvage doit vivre, rechercher sa nourriture et trouver sa quiétude. Vers ce lieu enfoui propose une immersion dans la forêt et dans ce qu’il s’y passe, tant pour les enfants que pour le chasseur.
Le temps d’un été, les enfants m’ont fait découvrir leur forêt, où ils y construisent une cabane. Ils m’ont accueilli dans leur bande et m’ont entraîné dans leur univers. J’ai partagé leur désir et leur expérience de rencontre d’un animal sauvage. À la fois imaginaire et ancrée dans le réel, leur cabane est à la frontière de l’aventure et du quotidien, du domestique et du sauvage. Construite autour d’eux comme un cocon, elle est à la mesure de leurs corps et de leurs gestes, à la hauteur de leurs onze ans. J’ai filmé les processus à l’œuvre dans cette organisation naissante : les échanges animés, les prises de décisions, les rapports de pouvoir, ce qui naît de ce faire simplement avec les mains. La construction de cette cabane met à l’épreuve leur amitié, laisse des marques imperceptibles sur ce qu’ils deviendront. Durant cet été qui marque pour eux la fin de l’école primaire, la forêt représente l’espace initiatique, le lieu d’épreuve et de traversée, dans l’impatience et la peur de grandir. À ce moment charnière de leur vie, cet été-là, ils enfouissent dans la forêt quelque chose de leur enfance, se préparant à affronter le collège et s’imaginant grands.
Le temps d’une saison de chasse, je me glisse aussi dans les pas du vieux chasseur. Avec la forêt concentrée autour de lui, l’arc à la main, il ne cesse jamais d’y croire : un tapotement sur un tronc, le roulement d’une pierre, le sifflement d’un chamois vont se manifester. J’ai filmé le silence de ses pas, l’alerte de son visage, l’agilité de ses mains, sa parole murmurée. J’ai filmé le rituel d’une quête sans cesse reconduite, et révélé ce qui l’anime depuis son enfance passée dans les bois. Durant ce qui fut l’une de ses dernières saisons de chasse, la forêt a agi comme un support de méditation, un lieu de mémoires empilées. Dans sa forêt, où il a pu observer plusieurs générations d’animaux, il laisse des marques taillées sur des troncs, comme une trace de son passage. Soustrait au regard de la cité, dans l’orbite de l’animal, le vieux chasseur semble perpétuer une pratique archaïque aux fondements de notre collectivité humaine.
Soustraits aux regards des adultes, dans l’expérience fondamentale qu’ils font de cet environnement, par la construction de cet abri qui les protège de l’extérieur, les enfants s’approprient une part du monde. Tendu entre l’enfance et la vieillesse, plongé dans l’échelle de temps que déploie la forêt, ce film nous rappelle à notre propre temporalité. D’une génération à l’autre, indépendamment des évolutions de notre société, la forêt serait-elle intemporelle dans la projection qu’en fait l’Enfant ? Dans la perception qu’en a le Chasseur ? Avons-nous encore et toujours besoin de nous confronter à l’animal sauvage, comme un point de repère qui nous permet de nous situer dans le vivant ? Suivant l’aspiration des personnages à un face-à-face avec l’animal sauvage, j’ai pu déceler cette part animale en nous, qui continue de nous interroger, comme une altérité que l’on redoute de perdre. Entre enfance et vieillesse, homme et animal, groupe et individu, Vers ce lieu enfoui construit donc un récit traversé d’expériences essentielles et imprégné de dualités, au rythme suspendu à celui de la forêt.
Alexis Jacquand
Alexis Jacquand
Alexis Jacquand est artiste et réalisateur. Après des études d’arts plastiques aux beaux-arts de Valence, il s’oriente vers le cinéma documentaire au sein du master 2 Documentaire de création de Lussas. À travers ses deux films, Sous nos pas (2014) et Vers ce lieu enfoui (2020), il explore les liens organiques entre l’homme et l’animal, par les rapports étroits et sensibles qu’ils entretiennent avec les paysages, qu’ils soient façonnés, habités ou traversés.
Forêts, écologie et chasse
Forêts, écologie et chasse
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