Le miroir
Une villa du côté de Dinard, style néo-gothique surmontée d’un toit terrasse qui domine la côte d'émeraude... C’est dans ce décor que se toisent des personnages loufoques. Un peintre sans le sou arrive là en quête d’une improbable commande, il va être le jouet de ses hôtes qui vivent dans une pagaille morale à côté de laquelle sa vie de bohème est des plus tranquilles.
Villégiature propose un conte d'été alternatif, un film un peu foutraque qui fait sens dès l'instant où l'on voit ce jeune peintre comme un alter ego du réalisateur, Philippe Alard. Le jeune artiste se cherche, doute, mais avance vers cette propriété pour le moins désirable, ouverte sur la mer. Ce domaine, c'est le cinéma, dans lequel vaquent des personnages en quête d'auteur, des relations chaotiques en attente de scénarios. Le peintre entre dans le cercle, interposant son chevalet entre lui et cette compagnie, il observe avant de se laisser prendre dans les rets du récit.
VILLÉGIATURE
VILLÉGIATURE
de Philippe Alard (1993 - 83’)
Vincent, un jeune peintre désargenté, est engagé par des bourgeois désœuvrés pour faire une toile de la villa qu’ils occupent l’été en Bretagne. En lui proposant de rester dormir, les employeurs de Vincent en font le témoin privilégié de leurs disputes et de leurs hystéries quotidiennes. Il tombe amoureux de Laura, la jeune maîtresse de maison, dont le mari est toujours absent. Vincent finit par s’interroger sur les véritables raisons de sa présence au sein de cette étrange famille…
>>> un film produit par LA VIE EST BELLE PRODUCTIONS
Fred Gélard
Fred Gélard
Quel accueil a reçu Villégiature à sa sortie ?
Après Villa Beausoleil, sorti deux ans auparavant, il y avait une certaine attente du cinéma de Philippe. Le film a trouvé des distributeurs assez importants, dont Michael Halberstadt et Laurent Pétin. On pensait que Villégiature allait avoir un certain succès. Au début des années 90, il y avait d'autres films en parallèle qui ont connu de très gros succès comme La haine (1995) par exemple. Finalement, le nombre d'entrées pour Villégiature était assez bas, le film a perdu des salles, un schéma assez classique en somme. C'est surtout la manière dont il a été fabriqué et ce qu'on y a mis qui fait qu'on y est attaché. Le public peut aussi se tromper. Mais je pense que le côté un peu vieille France peut séduire encore aujourd'hui.
Qu'est-ce qui vous a plu à la lecture du scénario ?
Je ne sais plus s'il y avait un scénario comme on l'entend. Philippe et Gwenola écrivaient beaucoup à cette époque pour ce film-là. J'ai peut-être lu quelque chose, mais je ne me souviens pas avoir eu un scénario en main. Ce n'est pas forcément un scénario qui amène les acteurs à travailler avec un réalisateur. C'est vraiment un travail qui était déjà amorcé, une façon de faire du cinéma, une façon de faire confiance aux acteurs, une façon de travailler ensemble. Et ça, c'était vraiment l'école de Philippe Alard. Il avait une manière à lui de raconter des histoires. L'histoire qui se déroulait pouvait tenir en trois lignes. Et après, c'était l'énergie et la synergie des énergies qui se mettaient au service de cette entreprise et qui faisaient que la narration avançait.
Quelle est la part d'improvisation dans ce film ?
Il y avait une place accordée à l'improvisation, mais comme dans tout tournage, il y a des décisions qui se prenaient avant. On vivait dans cette grande maison et puis quasiment du jour au lendemain on se disait : Tiens, demain, on va tourner la séquence dans la chambre où ils vont concevoir cet enfant. Et puis, on va tourner ça comme ça, et puis après, on fera la séquence dehors, etc. On avait un plan de travail qui se faisait quasiment au jour le jour.
Avec Philippe, on s'amusait beaucoup. Le geste artistique et la création, c'est aussi basé sur la bonne humeur, la joie, les bons moments passés ensemble. Philippe, c'était quelqu'un qui aimait bien aspirer cette joie et ce bonheur que nous avions à être ensemble et s'amuser avec les personnages qu'on endossait. Il faisait confiance à notre part d'improvisation possible pour amener notre patte à chacun des personnages.
Est-ce que du fait de ce caractère un peu décalé et loufoque inhérent au film, certaines scènes ont été difficiles à tourner ?
On s'amusait beaucoup donc forcément, il y a des moments où on riait. Après, dans ce genre d'économie fragile, on fait quand même super attention. On tournait en pellicule, il ne faut pas l'oublier. La pellicule, ça coute cher. On était vraiment dans une logique professionnelle. On n’avait pas trois mois pour tourner le film. C'est un équilibre entre la liberté et la contrainte, on se faisait plaisir, mais en même temps, il fallait que l'entreprise avance et donc on était obligé forcément de se dire bon on arrête de faire les cons là et on y va.
Estimez-vous ressembler au personnage de Vincent ?
Le personnage de Vincent, c'est une création pure. Mais il s'avère que j'étais aux beaux-arts quand j'ai rencontré Philippe. J'étais étudiant aux beaux-arts dans la journée et étudiant au conservatoire le soir. Je faisais les deux en parallèle. Lui-même est fils de peintre. Et donc, il a grandi avec ces interrogations autour de l’art et ce que signifie être un artiste. La question de la création est portée par ce personnage de Vincent. Étant moi-même aussi dans cette logique de création, j'y ai amené beaucoup de moi évidemment. Philippe est venu chez moi et chez moi c'était mon atelier. Il a reconstruit ses décors grâce à des copains peintres, qui sont d'ailleurs crédités au générique, comme Jean Yves Aurégan, un grand peintre aujourd'hui et dont les toiles figurent au début du film. Donc oui, il y avait un lien entre ce que l'on vivait et ce que Philippe voulait voir exister dans sa caméra, qui lui appartenait aussi. C'est vachement agréable, comme comédien, de se sentir aimé par un réalisateur qui avait envie de faire des films en me demandant d'interpréter un personnage qui lui était cher et propre à son univers.
Avez-vous des souvenirs marquants du tournage ?
Quand Alan Predour, qui joue Igor dans le film, fait le chien face au peintre qui est en train de peindre, tout le monde était mort de rire. C'est une proposition complètement hallucinante. Aucun comédien aujourd'hui ne va proposer ce genre d'attitude face caméra. Mais ça s'est fait aussi parce qu'on était une bande de potes du conservatoire. C'était un plaisir de création, encore une fois, et on laissait faire les choses. On aimait bien, dans nos rapports entre comédiens, se faire des surprises. Des fois, Philippe venait me voir et il me demandait de d’improviser telle ou telle réplique. C’est intéressant, alors qu'on est déjà à la cinquième répétition ou à la cinquième prise, de pouvoir carrément changer le texte et de voir la réaction de la comédienne, de voir comment elle va s'emparer de la proposition pendant la prise parce qu’on ne coupe pas. Philippe il adorait ça. Il savait qu'on avait cette liberté de pouvoir faire vivre ces instants de vie, ces petites accroches, ces petites choses maladroites, ces regards où on sent que l'un est perdu. Ça crée un moment de cinéma. Et c'est ça que le spectateur aime bien aussi, c'est de se retrouver face à un truc qui vit devant ses yeux et pas quelque chose de froid et plaqué.
Aujourd'hui, après toutes les expériences que vous avez accumulées non seulement en tant qu'acteur, mais aussi en tant que réalisateur, quel regard portez-vous sur le film ?
J'ai beaucoup d'affection pour ce film. J'ai presque de la nostalgie pour cette façon de faire du cinéma. C'est un peu ce qui m'a manqué ces dernières années dans ma carrière. Se donner cette liberté. J'ai eu énormément de plaisir à le revoir parce que justement, tout ce souffle de création, de liberté, m'est revenu en le regardant et j'espère que c'est ce qui passe aussi à travers le film. Qu'est-ce que c'était sympa de travailler de cette manière, sans filet, en se faisant plaisir, en s'amusant. Maintenant que j'accompagne les jeunes auteurs dans l'écriture de scénarios et dans la conception de films, j'essaie de transmettre cette notion de plaisir de faire les choses et d'amusement. Et ce plaisir, j'ai le sentiment qu'il transperce l'écran. Et c'est ce qui peut toucher le spectateur aujourd'hui encore.
Trois ans après le film, à l'âge de 30 ans, j'ai voulu faire du cinéma. Et, en 96, j'ai reproduit le même schéma pour faire mon premier court métrage de fiction. C'est à dire des amis et une caméra 16 mm. Ce que je dois à Philippe Alard c'est cette idée que l'on peut faire des choses avec de la bonne volonté, des amis et en y mettant de l'énergie.
Gwennola Bothorel
Gwennola Bothorel
Comment en êtes-vous venue à jouer dans ce film et à participer à l’écriture du scénario de Villégiature ?
Par une rencontre. Nous étions élèves au conservatoire, en formation de théâtre. Faire du cinéma c’est jouer différemment, nous avions le besoin et l’envie de faire des films. Philippe voulait réaliser , il voulait de jeunes acteurs, il est venu nous chercher au conservatoire. Avec lui, nous avons tourné des films courts, puis un long métrage : « Villa Beausoleil » qui est sortie en salle soutenu par l’AFCAE . Nous étions une équipe de passionnés avec la nécessité de nous investir pleinement, chacun était un peu multi-fonctions. Je maquillais, m’occupais des costumes, des décors et des repérages.
Nous participions à la construction du film, en écrivant l’histoire ensemble. Philippe savait exactement ce qu'il voulait mais notre participation n’en restait pas moins active. Nous tournions dans une atmosphère joyeuse, rigolarde, sérieuse aussi, mais ca restait une atmosphère de film de potes. Nous tournions sept jours sur sept, passionnés et totalement investis, ignorant la fatigue et le stress.
On peut penser qu’il y avait une petite part laissée à l’improvisation…
Pas tout à fait, beaucoup de textes étaient écrits, avec un scénario et des dialogues. Parfois on se laissait aller et si Philippe riait, c’était gagné. La première prise était souvent la bonne, spontanée et naturelle.
Concernant le personnage de Laura que vous incarnez, avez-vous choisi certains traits de sa personnalité ? Trouvez-vous qu'il existe des éléments de ressemblance entre Laura et vous ?
Non, Philippe décidait des traits de caractère de chaque personnage. Il s'inspirait beaucoup de ce qu'il ressentait de nous. Laura, c'est un peu une caricature, une sale gosse. Je pense que c’est comme ça qu'il avait envie de me voir.
Quel est le regard que vous portez sur ce film 30 ans après sa sortie ?
30 ans c’est long et ça me parait pourtant très proche. Je m'en souviens comme si c'était hier. J’ai peu la notion du temps qui passe. Je me souviens des scènes jouées, je me souviens des émotions ressenties, des humeurs des uns et des autres. Je me souviens des chansons, des textes, de quel temps il faisait, de nos costumes. Je crois que la mémoire n’a pas d’âge.
Philippe Alard
Philippe Alard
Originaire de Rennes, Philippe Alard se définit comme un autodidacte de la caméra, qui n’a pas fait d’école, sinon une faculté d’économie et de communication. Il débute sa carrière de cinéaste par la réalisation de courts métrages : Atlantic Hotel (1987), Le gars de la piscine (1988), Quelque part comme d’habitude (1988) À 22 ans, il se met à filmer en Super 8 sa Bretagne natale et, entouré de sa bande de copains, tourne dans ce même format Villa Beausoleil (1989), dont il assure naturellement le montage. Le film, gonflé en 35 mm, bénéficie d’une petite distribution en salles. Alard coécrit alors Beau fixe (1992) avec Christian Vincent le réalisateur. Après quoi il retrouve les acteurs de Villa Beausoleil et réalise le long-métrage Villégiature (1993). ll se concentre par la suite sur la réalisation de bandes-annonces.
Après la villégiature...
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