Des moteurs et des hommes
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On ne répare pas que les voitures ici ! entend-on au Garage solidaire de Carhaix. Alors que la suppression des contrats aidés ressurgit dans l'actualité, le documentaire de Philippe Guilloux Voix de garage rappelle à point nommé en quoi consiste l’économie sociale et solidaire.
L'histoire bégaie... En 2010, en plein tournage du film, l'annonce d'un coup d'arrêt du dispositif tombe aux infos. Les trois-quart des employés de ce garage solidaire sont en emploi aidé.
Le garage automobile est un point social névralgique. Plus qu’ailleurs l’on y ressent l’appréhension de la « douloureuse ». En conséquence, la population qui vit de peu, dispose de voitures peu fiables. Or dans notre société, tout le monde a besoin d’une voiture, surtout dans le Centre Bretagne. Face à ce problème, la société peut inventer des solutions ; c’est la bonne nouvelle du film qui montre comment recréer des liens là où les lois du marché les ont fragilisés.Dans une campagne dépourvue de transports en commun, faute de densité humaine suffisante, la voiture est un outil d’insertion sociale et professionnelle. Pas de voiture, pas de boulot, et pas de vie sociale…
En 2007, Yves Morvan, l'initiateur du projet d'un garage solidaire, mobilise une aide du Département du Finistère, et l’aventure prend son essor. Les « clients » - tous bénéficiaires des minimas sociaux - affluent, font état de leurs besoins, ce qui amène progressivement l’association à élargir l’éventail des services. Au départ, il était seulement question de désosser des véhicules destinés à la casse, il s’agira rapidement d’en réparer, d’en revendre, d’en prêter, voire d’en louer. Beaucoup de services rendus, de mobilité retrouvée pour des personnes en voie de marginalisation. Paco, un mécano de 55 ans passés, est heureux et fier de faire ce qu’il fait au Garage solidaire. Son plaisir est d’avoir retrouvé une famille au sein de l’équipe d’une vingtaine de salariés. En cette année 2010, cinq d’entre eux trouvent un emploi dans l’économie « réelle » ! Preuve qu’ici, « insertion » n’est pas un vain mot.
C’est au moment où l’utopie prend corps sous nos yeux qu’un flash-info annonce la fin des contrats aidés, laissant l’équipe sonnée.
Le monde associatif en est au même point en cette rentrée 2017, ces contrats étant soudain considérés comme une déviance à corriger, alors qu’ils sont majoritairement des moyens de panser une société malmenée par l’obsession de la performance économique.
VOIX DE GARAGE
VOIX DE GARAGE
De Philippe Guilloux (54' - 2010)
Les mécaniciens en tenue bleue et rouge s’affairent autour de véhicules. Rugissement d'un moteur qu'on teste, fracas des vibrations d'une clef à chocs, vacarme d'un marteau qui frappe le métal... l’ambiance ordinaire d'un atelier de mécanique. Penché au-dessus d'un moteur, les mains dans les entrailles d'une voiture, Paco affine le réglage d'un carburateur. La cinquantaine, bonnet vissé sur la tête, barbe de trois jours, visage buriné, il ressemble plus à un marin au retour d'une transat en solitaire qu'à un mécanicien. Il faut dire que son parcours parsemé d'écueils et de coups de tabac n'a rien à envier à celui d'un navigateur pris dans la tempête : à la suite d'un retrait de permis, Paco a perdu son emploi. Le départ d'une longue traversée : quinze ans de galères, de petits boulots, de système D. Pas facile de trouver un travail quand on habite un petit village des Monts d'Arrée et qu'on n'a plus les moyens de se déplacer. Mais depuis quelques temps, Paco sort la tête de l'eau et redresse la barre. ll a retrouvé l'envie de se lever chaque matin pour aller travailler, il a repassé son permis et acheté une voiture. Tout ça, grâce au contrat de réinsertion qu'il a obtenu dans ce garage.
Merci à Philippe Guilloux et à la société de production Carrément à l'ouest qui ont cédé gracieusement les droits deVoix de garage à KuB.
On oublie vite !
On oublie vite !
Par Philippe Guilloux
La Bretagne intérieure, l'Argoat - le pays des bois en opposition à l'Armor la Bretagne du littoral, cette région où j'habite depuis plus de 45 ans - se caractérise par une grande solidarité entre ses habitants. Vestiges d'une société rurale où l'entraide était indispensable pour mener à bien les travaux agricoles ? Sentiment d'appartenance à une région qui souffre d'un manque de reconnaissance, qui a compris qu'elle n'avait rien à attendre de l'extérieur et qu'elle doit compter sur ses propres forces ? Toujours est-il qu’ici le mouvement associatif est reconnu pour ses remarquables qualités d'organisation que ce soit pour le quotidien (sport, cinéma, crèche, bibliothèque...) ou des évènements comme le Festival des Vieilles Charrues. Ce n'est donc pas un hasard si un garage solidaire géré par une association a vu le jour à Carhaix et si son mode de fonctionnement est cité comme référence (plus de quarante Conseils généraux ont pris contact avec l'association gérante pour transposer l'expérience dans leur département).
En France, 3,5 millions d'allocataires des minima sociaux estiment que les difficultés de mobilités constituent un obstacle à leur réinsertion sociale et professionnelle. L'enjeu est important. Pour ceux qui doivent y faire face bien sûr, mais aussi parce qu'il pose le problème de la fracture territoriale et de la désertification des campagnes. Le garage solidaire de Carhaix apporte des réponses concrètes aux problèmes de déplacement dans un territoire où l'offre en transport en commun est quasi inexistante et où la proportion des ménages n'ayant aucune voiture est plus élevée que dans le reste de la Bretagne. Il me semblait donc d'une évidente nécessité de produire un documentaire sur ce sujet, fidèle à mon objectif de faire des films sur les gens d'ici, mais pas seulement pour les gens d'ici.
Ce projet de film est né d'une discussion avec une amie de mon fils. Jeune femme au chômage, elle avait un entretien d'embauche à une vingtaine de kilomètres de son domicile. Sans revenus, ne disposant pas d'un véhicule personnel, elle avait pu se rendre à ce rendez vous en louant à bas prix une voiture au garage solidaire de Carhaix, et avait ainsi pu décrocher un CDD. Cette discussion a fait remonter en moi une foule de souvenirs, ayant quitté très tôt le domicile familial, et enchaîné durant mes trois premières années de vie active, petits boulots et missions en intérim. Mes revenus ne me permettaient pas de passer le permis de conduire et encore moins d'acquérir un véhicule. Je me suis rappelé combien chaque déplacement prenait l'allure d'une véritable expédition : trouver un collègue acceptant de faire le taxi, revenir du supermarché à pied sous la pluie, les cabas lourdement chargés, être tributaire du bon vouloir d'un ami pour la moindre sortie du samedi soir…Et encore, j'avais la chance d'habiter dans une petite ville offrant des services et des commerces de proximité ! En me remémorant ces souvenirs, j'ai mesuré combien on oublie vite les difficultés quotidiennes engendrées par l'absence de moyen de déplacement. Car cela est bien le coeur du problème : en zone rurale l'inadéquation de l'offre en transport collectif entraîne une dépendance vis-à-vis de la voiture. Si cela n'est pas un problème pour celui qui possède une automobile et les moyens de l'entretenir, c'est un véritable handicap pour des personnes déjà fragilisées par de faibles revenus : jeunes, chômeurs, rmistes, travailleurs temporaires et saisonniers...
C’est justement à ce public que s'adresse l'établissement carhaisien avec une double entrée : rendre un service aux titulaires de minimas sociaux et proposer un emploi à des personnes en démarche de réinsertion. Il devient ainsi l’un des rares lieux où se croisent des usagers ayant des problèmes de transport, des employés en panne d'emploi mais aussi des responsables associatifs, des travailleurs sociaux, des élus, des chefs d'entreprise... Bien souvent, l'exclusion est traitée à travers le regard et les témoignages de travailleurs sociaux, de responsables associatifs. La générosité de ce projet de garage solidaire, le fait qu'il apporte des solutions concrètes dans la dignité et le respect, m'offre une formidable opportunité de donner la parole à des employés fiers de leur travail et du service qu'ils rendent, et à des usagers qui sont traités comme des clients à part entière, pas comme des assistés.
Des rencontres inspirantes
Des rencontres inspirantes
À 55 ans, Paco a trois enfants. Il avait un boulot de mécanicien, une petite maison en pleine campagne avec un lopin de terre où il cultivait quelques légumes… Tout va bien jusqu'au jour où il écope d’un retrait de permis. Ne pouvant plus se rendre au travail, Paco perd son emploi. Il s'enfonce... Une mise à l'écart de la société qui va durer quinze ans. Sur les conseils d'une assistante sociale, il postule pour un emploi au garage.
Motivé par ce travail qui lui permet de rendre service à des personnes dans la même situation que lui, Paco reprend pied. Même modeste, son salaire lui permet de repasser le permis, d’acheter une voiture. Si l'horizon n'est pas dégagé et qu'il ne sera pas simple à cinquante ans de trouver un emploi stable lorsqu'il va quitter le garage, l'espoir et l'envie sont à nouveau là.
Avec son collier de barbe blanche, ses yeux pétillants cerclés de fines lunettes argentées, Yves a tout du Père Noël. Pour beaucoup, il est un peu cela. Car Yves est un créateur de projets solidaires : école de moto pour les jeunes, activité de karting pour handicapés, garage solidaire... autant de réalisations qui portent sa marque.
Son propre parcours n'est pas banal : fils aîné d'une famille nombreuse, il quitte l'école à 14 ans pour un tour de France en formation de boucher-charcutier. Puis il sera chauffeur routier, chef de quai, directeur d'agence de transport, créateur d'entreprise. Aujourd'hui à la retraite, il est l'infatigable président de l'association qui gère le garage.
PHILIPPE GUILLOUX
PHILIPPE GUILLOUX
Né en 1960 à Aulnay-sous-Bois, Philippe Guilloux débute son parcours comme animateur-programmateur de salles de cinéma Art et Essai. Ce poste qu’il occupe pendant vingt ans lui permet d’acquérir une solide culture cinématographique et lui donne envie de passer de l’autre côté du projecteur. Le hasard des rencontres lui a permis de démarrer une carrière de monteur, notamment pour le magazine Thalassa, pour lequel il a monté nombre de reportages primés.
Au début des années 2000, il crée sa société de production Carrément à l'ouest. Passé à la réalisation en 2010 avec ce documentaire, il a depuis signé 7 autres réalisations, telles que Glenmor l’éveilleur, Nicole et Félix, D’Ar Gêr – les bretons et la Grande Guerre, Le Dernier Défi ou encore Qui a tué Louis Le Ravellec.
Fin des emplois aidés ?
Fin des emplois aidés ?
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