Vous êtes ici
VOUS ÊTES ICI
VOUS ÊTES ICI
par Patrice de Benedetti
Grand dégagement de Castaneda prolongé par Genghini de la tête pour Rocheteau. Rocheteau embarque Kroil intérieur pied gauche. Rocheteau sur le côté gauche centre en retrait pour Six, Didier Six du pied droit BUUUUUUUUT ! Magnifique but de Didier Six ! Là je crois que ça y est, on peut le dire, la France a les deux pieds en Espagne !!!
Nous ne sommes pas au Parc des Princes le jour où la France a gagné son billet contre les Pays Bas pour la coupe du monde 1982. Nous sommes le lendemain, ici, sur un terrain vague à Marseille. Ils ont 9, 10 ans. Ils sont trois et comme tous les jours après l'école, derrière leurs bâtiments ils refont les matchs qualificatifs de l'équipe de France pour la coupe du monde qui aura lieu dans un an en Espagne. Ils se feront engueuler sûrement en rentrant chez eux pour avoir bousillé leurs baskets et leurs genoux sur les caillasses de la colline mais ils n'en ont que faire : le foot, c'est tout ce qu'ils ont.
Ils sont doués, comme beaucoup de minots dans ce quartier. Comme en 1998, même quartier, même âge, même rêve, presque même maillot avec un 10 floqué dans le dos.
Comme beaucoup de pauvres dans beaucoup d'endroits que l'on préfère oublier dans ce monde : ils ne jouent pas au baseball dans les rues de la Havane à Cuba mais ils pourraient simple question géographique. Ils ne boxent pas dans les ghettos de Soweto en Afrique du sud mais pourquoi pas. Non, eux jouent au foot sur la colline de Saint Barthélemy. Saint Barthélemy, ce n'est pas Marseille et pourtant cela fait partie de Marseille. Saint Barthélemy c'est vers Sainte Marthe.
J’habite ici.
J'ai envie de vous raconter ce qu'il y avait et ce qu'il y a encore dans les rêves de tous ces jeunes de ces endroits oubliés de nos cartes, de nos villes, de nos pays, de notre monde.
Asseyez-vous. Regardez. Écoutez. Vous êtes ici.
Zidane ne driblait pas, il dansait.
Musicien, compositeur, danseur et chorégraphe, Patrice de Bénédetti voit le sport en général et le football en particulier, comme un spectacle où les corps réalisent à tout point de vue, une performance. Écoutons-le : Combien de sportifs se sont vus qualifier de danseurs ? Je cherche toujours une gestuelle au plus près du propos de mes spectacles alors je ne pouvais pas passer à côté de ça.
Il existe de nombreuses analyses historiques, sociologiques sur le sport, ses fonctions, l’évolution de ses pratiques.
Ce qui m’intéresse ici, c’est son rôle dans les couches sociales les plus basses. Sa fonction positive mais aussi sa fonction de cache misère, sa récupération politicienne parfois. Sa dimension éthique surtout : élan, espoir, force, courage, endurance, souffle, énergie, entretien, rigueur, discipline, respect des règles, respect de soi, respect de l’autre, se dépasser, partager, sublimer, célébrer, fédérer, prolonger, honorer.
Je veux trouver des matières et des états de corps avec tous ces morts pour Vous êtes ici.
Il n’y a qu’à regarder Zidane, il ne driblait pas, il dansait. Il n’y a qu’à regarder la grâce d’Oscar Taveras quand il frappait la balle. Essayer de démêler le jeu de jambes de Mohamed Ali. Ou encore se laisser aller au vertige devant les envolées de Michael Jordan.
Danser jusqu’à l’épuisement
Danser jusqu’à l’épuisement
par Isabelle Nivet
Avril 2018, Patrice de Bénédetti et moi on se parle au téléphone. Il a un bel accent du sud, qui contraste avec son physique de beau gosse ricain, entre Sean Penn et Clive Owen. Il est né et a grandi à Marseille, dans les quartiers nord, il le dit pour raconter son nouveau spectacle, Vous êtes ici, qu’il a écrit et conçu sous la même forme que Jean, à savoir un millefeuille de danse et de texte, histoire intime et histoires vraies.
Cette forme de texte écrit par moi et enregistré, c’est quelque chose qui me va, pour faire passer des choses. C’est un principe qui va me suivre sur les deux prochaines créations. Jean, j’ai d’abord eu envie de le parler. Je me suis enregistré pour trouver les mots, faire le mouvement. Puis je l’ai gardé. Ça a influé sur l’écriture. On grave quelque chose, il faut que ce soit juste, à ce moment-là. L’enregistrement est diffusé sur la danse. Pour Vous êtes ici, c’est une écriture plus poétique, presque du slam, un texte plus dense, très présent. Personnel mais pas intime. Jean était un hommage à son père, à Jean Jaurès, et à tous les Jean morts dans un combat absurde, choisi et décidé par d’autres.
Vous êtes ici, parle du sport comme planche de salut : Je suis parti de mon frère et moi,
comment on rêvait d’ailleurs, dans le quartier de Saint-Barthélémy. Plus largement, comment les minots tentent de s’en sortir par le sport, dans les quartiers et dans le monde entier. Ils ne réalisent pas qu’ils sont dans un endroit triste et sordide. Ils sont pleins d’espoir. J’étais comme ça. J’ai fait des ateliers dans le collège où j’étais, rien n’a changé. A l’universalité du propos s’ajoute un récit à la frontière du documentaire, l’histoire des frères Hernandez, Livan et Orlando, deux jeunes cubains devenus des stars de baseball à des années d’écart, après que le second, bloqué à l’immigration, ait enfin pu rejoindre son frère...
Patrice de Bénédetti, il a fait de la musique dans des groupes de rock, il chante, il est comédien, mais la danse, il ne l’a trouvée que tard, à plus de trente ans. Ça il nous le dit, et on comprend pourquoi sa danse est si singulière, si forte, si vraie. Sans formatage. Brute. On va chercher l’essentiel quand on commence tard. Son corps, aux appuis posés, vraiment posés, parle sans filtre, sans fioritures, illustrant ce lieu commun qu’on se déteste de penser et d’écrire mais qui là, prend vraiment son sens : l’urgence de dire. En 2001, il voit Ex Nihilo danser dans la rue, à Châlons : Un choc frontal. Je suis parti avec eux. J’ai fait ma formation de danseur avec eux. Je voulais apprendre. J’étais hyper discipliné. On lui fait remarquer que ce n’est pas ce qui se dégage le plus de lui, la discipline ; que lui, il a plutôt l’air d’un – on lui demande d’excuser la pauvreté de la comparaison – animal sauvage. Il se marre de l’image. Il se marre d’avoir tenté de nous faire croire à sa capacité à rentrer dans le moule. Il dit que le solo c’est son karma : C’est mon truc d’être en solo, j’y vais naturellement. Toujours. J’ai fait six ans avec eux et je suis parti. J’avais besoin de liberté, d’aller où je voulais, de faire de trucs personnels. Des trucs qu’il va faire en rue : Dans la rue, c’est là où il y a le plus de choses à raconter, quel trésor... Mais aujourd’hui on sclérose les choses en posant des codes. Alors que c’est très libre, la rue, pour aller à la performance, à l’efficacité. Pour Jean, la première chose que j’ai faite, c’est m’asseoir devant un monument aux morts pour regarder ce qu’il y avait à voir. Il va beaucoup danser, jusqu’à l’épuisement. Ses derniers solos de Jean, on le lui a dit, que c’étaient les plus émouvants, qu’il n’avait jamais si bien dansé que blessé Je change des choses pour danser avec mes blessures, mais c’est épuisant. Ça demande une énergie de dingue.
PATRICE DE BÉNÉDETTI
PATRICE DE BÉNÉDETTI
Né à Marseille en 1971, Patrice de Bénédetti, musicien, monte le groupe Tarif Réduit en 1989 avec lequel il sillonnera l'Europe puis découvre le théâtre de rue en collaborant avec les compagnies Karnavire et Inflammable.
À partir de 2003, et parallèlement à son parcours de musicien-compositeur, il développe un travail de danseur et de chorégraphe au sein des collectifs Ex-Nihilo, Le Nomade Village et avec la compagnie Uz et Coutûmes puis il fonde la compagnie P2BYM axée sur la danse en espace public, en association avec Yui Mitsuhashi.
En 2014 il crée une aventure personnelle et soliste dont il avait l'idée en germe depuis 2011 : Jean, solo pour un monument aux morts. Il y mêle danse, écriture, lecture, manipulation d'objets. En 2018, il crée Vous êtes Ici, dans la continuité de Jean.
Frontières invisibles
Frontières invisibles
Entretien avec Patrice De Bénédetti, auteur et danseur, à l'occasion de sa résidence à l'Atelier 231 en janvier 2018 pour la création Vous êtes ici.
OUEST-FRANCE, Elisabeth Petit >>> Une cité dans la cité, chère à son cœur mais souvent inconnue des mecs d'en ville. Un pan de métropole avec ses faits divers, ses contrôles de flics et ses minots, qui déchirent et qui rêvent tous du centre de formation de l'OM. Pour raconter cette matière, l'artiste s'est rendu à la rencontre des jeunes, et a choisi de mettre à distance son histoire, en abordant son « sujet » par le prisme du sport, synonyme d'ascenseur social pour beaucoup.
UNIDIVERS, Thierry Jolif >>> Jean, solo pour un monument aux morts ou quand la mémoire personnelle et collective, c’est-à-dire la mémoire universelle, est ravivée par la création. Une incarnation saisissante par le danseur Patrice de Bénédetti de près de cent ans d’histoire et de luttes sanglantes en quarante minutes…
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