Vous êtes jeune !
Éternel présent
S’inviter caméra en main chez une mamie avenante, c’est l’expérience dans laquelle Agnès Frémont s’est lancée pour son premier film, simple et émouvant. Madame Daniel semble découvrir dans l’écran du caméscope qu’elle a des cheveux blancs ! Dame ! Mais elle se laisse filmer, tout sourire, avec un naturel confondant. Les banalités dites de bon cœur emplissent le temps du film, embaumé par l’odeur du café. Ah mon dieu ! Le décor et le costume n’ont pas bougé depuis près d’un demi-siècle. Le choix du titre de ce documentaire - Vous êtes jeune ! - pointe la singularité de cette situation. Non seulement l’octogénaire n’est nullement troublée par le processus en cours, mais elle manifeste pour la filmeuse un intérêt sans relâche : son poids, sa taille, la manière de s’habiller. Tout cela est proprement réjouissant et démontre que le cinéma peut saisir l’amour sur le vif. La vieille respire le bonheur devant la caméra de la jeune réalisatrice, le bonheur de ne point avoir été oubliée.
VOUS ÊTES JEUNE !
un film d'Agnès Frémont (2010)
Je suis jeune, elle est vieille. Je peux courir, danser, décider de m’arrêter. Elle bouge avec ce qui lui reste. Je suis grande et elle est courbée. Je voyage avec ma voiture plus loin que l’église, elle s’accroche à sa chaise pour ne pas tomber. Mon temps est en mouvement, avance et me construit. Elle vit dans l’éternel présent. J’essaie de dissocier les choses et de les évaluer selon leur importance. Pour elle, tout paraît être au même niveau.
À part une origine commune - la campagne, la terre, la pluie – bien des choses nous séparent. Ce qui nous lie, ce sont nos rencontres dans le temps présent. Dans cette histoire, il y a madame Daniel et moi ; une histoire où nos deux présences se nourrissent dans un élan cinématographique et une couture poétique.
Agnès Frémont
Un film produit par >>>> Anne Luart / Spirale Production
Festivals
Rencontres de Mellionnec, 2010
États Généraux du documentaire, Lussas 2010
Doc’Ouest, 2010
Docs en courts, Lyon 2010 (Prix Surprise)
Mois du documentaire 2010
Un long et doux désistement
Le film tente de donner à voir comment chacune de nous fait avec l’histoire de l’autre. Sa vie lui échappe et de mon côté je réagis et je m’accroche. Ce film est un attachement à cette personne. Il est cousu de moments éphémères qui me font réagir par une pensée, un avis ou un silence.
Quand je la filme, elle se prête au jeu. Elle est curieuse et ne change pas forcément de comportement quand la caméra tourne. Elle n’hésite pas à me poser des questions sur cet engin. Certes, le lien se modifie par l’approche avec la caméra. Elle sait aussi me dire non quand il le faut. Je respecte sa franchise et ça m’aide à prendre conscience de mon statut.
Son frère n’est jamais loin et elle attend toujours son accord pour faire les choses. Il la protège, la stimule, la freine. J’ai fait part à ce dernier de mon projet et nous en avons discuté tous les trois autour d’un café.
Ce film, c’est ce qui nous rapproche aujourd’hui après nous être côtoyés lors de mon emploi. Je m’engage à être claire même si je sais qu’ils ne saisissent pas tout ce qui se joue au niveau de mon regard et la façon de rendre cette histoire. Cependant, cette envie de faire un film est dans nos consciences depuis la première discussion. Elle est réactivée à chaque visite. Leur film imaginé, rêvé n’est pas le mien. Il peut y avoir des incompréhensions et des surprises. Je la filme en étant consciente de mes doutes et de mes gênes. À travers madame Daniel, des questions se posent sur notre façon d’être au monde, nos façons de penser. Je voudrais lui faire partager cette envie de garder des traces de notre relation.
Je réagis avec mon langage un peu distancé par le biais du cinéma. J’attends qu’elle soit prête, qu’elle me donne le feu vert. Je voulais l’emmener à la mer : Mais la mer ?, me dit-elle, C’est de la flotte ? Je réponds : Oui c’est de la flotte. Je ne l’emmènerai pas voir de la flotte. J’irai toute seule. Je lui ramènerai les images, les traces d’un moment solitaire.
Je la suis au fur et à mesure de ses envies et de ses refus car c’est moi l’invitée.
Je parle d’acharnement car je ressens ce besoin de la faire exister et réagir. Ce n’est ni ma grand-mère, ni une amie de la famille, mais une femme âgée qui a subi tous les changements du monde moderne et qui s’adapte au temps présent. Il y a eu un lien dès le départ entre nous, imposé par le travail que j’effectuais. Une relation au corps d’emblée par les différents soins et aides quotidiennes. Petit à petit, le lien de l’employeur à l’employée a laissé place à la complicité et à l’affection.
Les nombreuses personnes âgées dont je me suis occupée étaient en fin de vie, luttaient pour ne pas aller en maison de retraite. Mais le compte à rebours est lancé lorsque les aides à domicile viennent de façon plus régulière. Ces hommes et ces femmes s’attachent à des habitudes qui vont rythmer leurs journées et leur donner un peu de force physique pour tenir le coup. Quand ces actions ne peuvent plus se faire et que la douleur physique prend le dessus, ces personnes se laissent aller. J’ai vécu ce moment à plusieurs reprises, jusqu’au décès. C’est un moment troublant, pour une personne jeune comme moi qui ne sait encore de quoi son futur est fait. La vieillesse ne me fait pas peur. Je serai comme elle dans cinquante ans. Mes jambes me lâcheront, ma peau sera ridée, je ne souhaiterais pas trop de souffrance physique et morale.
Madame Daniel n’a plus envie de faire de grands choix dans sa vie à part décider de mourir. C’est sûrement ce moment de long et doux désistement qui me pousse à la filmer et à garder une trace. Je m’acharne pour elle, contre l’attente lente et silencieuse. Cela ne légitime pas totalement mon action, mais je ressens un besoin de la faire exister avant qu’elle ne s’en aille. Elle a une vie que j’ai connue à travers mes grands-parents qui ne sont plus là. Cet attachement à la terre et à la franchise, des emportements et des coups de gueule quand il le faut. Son franc-parler me pousse à l’écouter et à réagir dans mon langage qu’est le cinéma. Il permet une analyse, un recul et un regard sur cette dame qui me surprend toujours. C’est tout ce que je peux faire à mon échelle : un film.
AGNÈS FRÉMONT
Diplômée des Beaux-arts de Bourges en 2005 et titulaire d'un Master en réalisation documentaire de L’école du Doc de Lussas en 2007, Agnès Frémont travaille depuis 2013 au Comptoir du Doc en tant que chargée de programmation du Mois du film documentaire sur l’Ille-et-Vilaine. Elle est réalisatrice de documentaires depuis 2010, également formatrice en arts appliqués et cultures artistiques en lycées professionnels.
Filmographie
La belle embolie (2014, 50’)
Fermes en scène : le Tour de France 2012 (52’) en co-réalisaton avec Jean-François Castelli
Vous êtes jeune ! (2010, 30’)
Un échantillon de jeunesse
VIDÉO Université Rennes 2, co-réalisé par Marie Habert, Claire Pruvot, Lara Laigneau et Keltsch von Bruck >>> Une belle femme comme moi, 2008
Trois vieilles femmes se font maquiller chez elles. C'est l'occasion de parler du rapport au corps, à la vieillesse, à la beauté...
Atelier encadré par Martine Gonthié, réalisatrice.
SPIRALE PRODUCTION, Nicolas Le Borgne >>> Entretien sur la genèse de ce premier film avec la réalisatrice et Anne Luart, sa productrice. Pour elle, j’incarne la jeunesse. Pour Madame Daniel, je suis un spécimen, un échantillon d’une jeunesse qu’elle ne connaît pas puisqu’elle n’a pas de petits enfants. Elle en voit peu. Elle en voit à travers les médias, la télévision. Et forcément, c’est souvent la jeunesse qui va mal ou qui dérape. Elle était beaucoup dans une relation d’observation avec moi. Elle me reluquait, elle m’observait par toutes les différences que je pouvais avoir par rapport à elle, par rapport à sa jeunesse.
5 mars 2019 09:18 - KuB tv
Bonjour Lara,
Merci pour votre commentaire, bien évidement nous allons compléter les crédits pour cette vidéo.
Belle journée,
5 mars 2019 09:02 - Laigneau Lara
Bonjour,
Je suis tombée par hasard sur cette page . Vous avez publié le court documentaire "Une belle femme comme moi" que nous avons co-réalisé avec Marie Habert et Claire Pruvot en 2008 et je suis ravie que cette belle expérience de film renaisse ! :) Par contre, j'apprécierai être citée comme co-réalisatrice au même titre que mes collègues si cela est encore possible. Merci beaucoup et très belle journée à vous! Lara Laigneau