Ciné-mémoire

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Zinet, Alger, le bonheur est un film sur le cinéma comme lieu de mémoire individuelle et collective : mémoires d’un homme, Mohamed Zinet, et d’une ville, la casbah d’Alger, scellées dans Tahia Ya Didou, un film sorti en 1971.

Alors qu'en 2019 l’Algérie vit son printemps, le Hirak, le réalisateur Mohammed Latrèche poursuit une chimère : revoir le film culte de Zinet dont les rares copies sont inexploitables et la version récemment restaurée invisible. Si Tahia Ya Didou raconte le temps du bonheur et de la joie espiègle des enfants de la casbah, Latrèche révèle progressivement les rares traces laissées par Zinet, comédien et réalisateur d’un seul film, dans son douloureux cheminement qui s’achèvera en 1995 à l’hôpital psychiatrique de Charenton. Ainsi s’égrènent les étapes d’un parcours qui débute très tôt sur les planches, où Zinet incarne Tibelkachoutine, un clown impertinent, pour passer ensuite à la lutte anticoloniale et au cinéma militant.

Arracher cet homme à l’amnésie, se souvenir du bonheur et des atrocités qu'ont connu l'Algérie, c’est le récit sensible que Mohammed Latrèche déroule dans Zinet, Alger, le bonheur.

FILM

ZINET, ALGER, LE BONHEUR

de Mohammed Latrèche (2023 - 57’)

Hormis quelques cinéphiles, le nom de Mohamed Zinet ne dit plus rien à personne. Pourtant, ce visage doux et cette moustache nous semblent familiers. En effet, Zinet c'est l'ouvrier algérien qui tue Jean Carmet à la fin de Dupont Lajoie d’Yves Boisset (1974). Il interprète aussi ce père sortant de l'hôpital psychiatrique pour voir son fils élevé par Rosa (Simone Signoret) dans La Vie devant soi de Moshé Mizrahi (1977).

Mais, en Algérie, Mohamed Zinet est un tout autre personnage. Il est l'auteur de Tahia Ya Didou, un film tourné en 1970, un film joyeux, cruel et irrévérencieux dont se réclament la plupart des jeunes cinéastes algériens d'aujourd'hui. Dans les pas de son aîné, dans les ruelles de la casbah ou sur le port d’Alger, ce film retrace l'histoire de Tahia Ya Didou et de son réalisateur inventif et talentueux.

>>> un film produit par Jean-François Le Corre, Vivement Lundi !

INTENTION

Ce très cher Zinet

Mohamed Zinet dans le bus

par Mohammed Latrèche

Comme de nombreux Algériens de ma génération, j'ai longtemps fui les films nationaux réalisés au lendemain de l'Indépendance. Destinées avant tout à nous éduquer, ces épopées guerrières au style guindé nous ennuyaient profondément. Le cinéma, le vrai, le seul, en ces années d'insouciance, vers lequel nous courrions sans modération, c'était les westerns, les péplums, les films de kung-fu, les productions hollywoodiennes de série B ou Z, les comédies italiennes, les romances musicales égyptiennes... tout sauf les films algériens.

Jusqu'à ce jour de 1991 où, hasard d'une programmation, j'ai découvert Tahia Ya Didou de Mohamed Zinet, à la cinémathèque de Sidi Bel-Abbès. Cette séance m'a procuré une joie qu'aucun film algérien n'avait suscitée jusque-là. La joie est bien la source de tout ce qui a suivi dans mon dialogue avec ce film.


Tahia Ya Didou est un film-monde, un film-somme. C'est le récit d'une déambulation déjantée dans Alger, habité par cette nouvelle joie de vivre des Algérois qui se réapproprient cahin-caha un espace qui leur était interdit jusque-là ; des Algérois méfiants et primesautiers à la fois, ballotés autant par les traumatismes de la guerre d'indépendance que par les nouveaux accommodements de la décolonisation. Je garde à vif le choc éprouvé à la première projection : je n'avais jamais vu mon pays comme cela ! Personne ne me l'avait montré de manière aussi généreuse, aussi poétique, aussi complexe.

Alger en est le vrai sujet, le thème central. Tourbillonnant jusqu'au vertige. C'est une déclaration d'amour. Mohamed Zinet veut embrasser sa ville sur toutes les coutures, dans tous ses aspects, et par tous les moyens. Vues d'avion, séquences en accéléré, plans volés, reconstitutions soignées, improvisations, chœur antique, flash-back... Il fait flèche de tout bois.

Tahia Ya Didou fait basculer le cinéma algérien du côté de la liberté, de l'humour, d'une impertinence insoupçonnée. Il s'affranchit du réalisme socialiste à l'algérienne, ce conte de fées idéologique qui a sévi si longtemps. Pourtant son geste reste intuitif, naturel, aucunement militant. D'où, peut-être, son inépuisable force.

Pendant des années, j'ai cherché à acquérir les droits du film pour le distribuer et l'éditer en DVD. Le négatif restait introuvable, les copies étaient en miettes, les ayants droits impossible à identifier. Le désir de consacrer un documentaire à Zinet et à son film date de cette époque-là. Plus le film devenait fantomatique, insaisissable, plus je m'en imprégnais pour en faire le paradis perdu du cinéma algérien. Et puis, en 2017, miracle ! Tahia Ya Didou est ressuscité : après des années de tergiversations administratives et d'ajournements feuilletonesques, il a été restauré par l'État algérien.

Toutes ces années, je me suis consacré à cette entreprise archéologique pour découvrir qui était réellement Mohamed Zinet. J'ai rencontré ses amis, ses proches, sa famille. J'ai cherché à saisir ce personnage miroitant, fantasque, auto-destructeur, j'ai cherché à lire son destin comme un oracle. En recollant petit à petit les morceaux du puzzle, je suis allé de surprise en surprise, parfois de déception en désenchantement et de drame en drame.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la liberté de ton de Zinet, véritable électron libre, ne cadrait pas avec la pensée unique et inique de l'Algérie indépendante. Il a été ostracisé, invisibilisé… jusqu’au martyre. Entre France et Algérie, entre l'ex-colonisateur et le nouveau décolonisé, il a passé sa vie dans un aller-retour incessant, épuisant, qui devenait de plus en plus tragique. La vie de Zinet est un drame mais Tahia Ya Didou est une fête.

Dans ce documentaire, j'ai cherché à retranscrire cette dualité, à comprendre en quoi ce film unique a fait entrer Zinet dans l'histoire du cinéma tout en l'entraînant vers sa chute.

BIOGRAPHIES

Mohammed Latrèche

Mohammed Latrèche réalisateur

Né en 1973, Mohammed Latrèche a 19 ans quand il quitte sa ville natale Sidi Bel-Abbès. Il part rejoindre son frère à Paris. Il se passionne pour les sciences politiques et le cinéma et multiplie les stages et les petits boulots sur les productions françaises. Il apprend ainsi sur le tas les métiers de producteur et de réalisateur.
Mohamed Latrèche a été, entre 2003 et 2009, producteur et distributeur en Algérie au sein de la société SORA. Il a coproduit des courts métrages et des documentaires. Il a distribué dans les salles algériennes plusieurs longs métrages internationaux, d’Agnès Jaoui, Cédric Klapisch, Clint Eastwood, Costa Gavras, Claude Chabrol, Pedro Almodovar, Rabah Ameur-Zaimèche, Nanni Moretti, Olivier Dahan, Abderahmane Sissako ou Abdelatif Kéchiche. Il a dirigé le Festival du film européen en Algérie en 2006.

Filmographie


Zinet, Alger, le bonheur, 2023
Boudjemaa et la maison du cinéma, 2019
L’Ugema, 2014
L’Aide au retour, 2010
À la recherche de l’émir Abd El-Kader, 2005
Rumeur, etc, 2003

REVUE DU WEB

cinéma algérien : état des lieux

COURRIER INTERNATIONAL >>> Marqué à ses origines par le colonialisme et la guerre d’indépendance, le cinéma algérien a offert de grands films par le passé. Mais les récents succès ont souvent été produits à l’étranger. Le cinéma algérien est-il désormais en déclin ?
CONFLUENCE MÉDITERRANÉE >>> Le cinéma algérien a beaucoup traité de la guerre d’indépendance livrée contre la présence coloniale française. Cinquante ans après la fin de ce conflit, ce texte se propose de faire le point sur cette séquence d’histoire si importante dans l’imaginaire algérien.
LA PENSÉE DE MIDI >>> À partir d’une commande faite par la Ville d’Alger pour un documentaire, Mohamed Zinet, la détournant, signe une œuvre originale et poétique. En 1971, Tahia ya Didou fait une entrée fracassante. Extrait de Le cinéma algérien : de l'État tutélaire à l'état de moribond.
ALGÉRIE PRESSE SERVICE >>> Sorti en 2023, le film Zinet, Alger, le bonheur sera présenté en avant-première devant le public du festival et entrera en compétition dans la section des longs métrages documentaires, aux côtés de 11 autres films.
CINEÉMA ET POLITIQUE >>> Histoire du film de Gillo Pontecorvo, La Bataille d'Alger : de l'anticolonialisme à la lutte anti-terroriste.

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    réalisation Mohammed Latrèche
    image Yanis Kheloufi, Oussama Zouaoui, Yann Seweryn
    photographe Youcef Krache
    son Abd El-Aziz Latrèche, Joël Flescher

    montage Nico Peltier, Philippe Ramos
    montage son, mixage Christelle Louet
    étalonnage Pierre Bouchon
    voix off Tewfik Bensnoussi

    coproduction Sb Films, Centre Algérien de Développement du Cinéma
    avec le soutien de Ministère de la Culture et des Arts d’Algérie, Région Bretagne, CNC, Procirep-Angoa, Institut français d’Algérie

    Artistes cités sur cette page

    Mohammed Latrèche

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