La tragédie Schneider

image cover 3 jours a quiberon

3 jours à Quiberon est le portrait sobre et touchant d’une femme blessée, brisée même. Mais l’histoire que nous nous raconte Emily Atef est celle d’un autre portrait, celui que voudrait produire le Stern (sorte de Paris-Match allemand), qui dépêche un reporter et un photographe auprès de la star. Dès lors le film explore la béance entre mythe et réalité. Romy ne se reconnaît pas dans la manière dont la presse (people) raconte sa vie. Pourtant, elle continue à s’offrir, elle ne parvient pas à s’arracher à ce désir obscur, celui de plaire, de séduire à tout prix. Les dilemmes dans lesquels se débat cette femme sont déchirants : aime-t-elle son travail davantage que sa famille (une famille qui se délite) ? Aime-t-elle seulement sa vie (cette vie qui fait rêver des millions de fans) ? Elle est malheureuse, et le dit. Elle se tord de douleur, la douleur de la culpabilité (de ne pas être auprès de ses enfants).


Elle dit travailler pour ne pas devenir folle. Elle s’enivre pour la même raison probablement. À moins qu’elle ne travaille pour échapper à la ruine. Elle n’a rien épargné alors qu’elle a tourné dans plus de 50 films… Elle se sent mauvaise mère, de son fils David avec qui elle ne parvient plus à parler. Nous sommes au tournant des années 80, en plein avènement de la comm’. Romy ne cherche pas à contrôler son image, elle se confie avec une sincérité enfantine, confond interview et psychothérapie. Elle se perd, entre introversion et exhibition, surexposition et solitude. Cela lui sera fatal. En ce printemps 81, elle tente un dernier rebond. Le film s’arrête dans un éclat de lumière, où Romy rayonne devant l’objectif de Robert Lebeck, qui immortalise l’instant. Peu de temps après son fils David mourra dans des conditions atroces. Quant à elle, elle s’éteindra l’année suivante, à 43 ans. Aujourd’hui, avec la diffusion publique de 3 jours à Quiberon, ce récit est confronté au souvenir qu’a laissé Romy dans les mémoires, notamment celle de ses proches. Différent forcément. Quelques protagonistes sont encore en vie, et les archives du Stern témoignent d’une réalité. Le réel s’est quant à la lui évanoui, nous laissant hagards devant une tragédie, personnelle et théâtralisée par les médias. Ainsi, la vie des stars succède-t-elle dans le temps historique à celle des Saints, à qui l’on rédigeait déjà leurs récits légendaires.

LE FILM

3 JOURS À QUIBERON

un film réalisé par Emily Atef (2018)

1981. Pour une interview exceptionnelle et inédite sur l’ensemble de sa carrière, Romy Schneider accepte de passer quelques jours avec le photographe Robert Lebeck et le journaliste Michael Jürgs, du magazine allemand Stern , pendant son séjour à Quiberon. Cette rencontre va se révéler éprouvante pour la comédienne qui se livre sur ses souffrances de mère et d’actrice, mais trouve aussi dans sa relation affectueuse avec Lebeck une forme d’espoir et d’apaisement.
un film produit par >>>>
Karsten Stöter

INTENTION

Atteindre la vérité du personnage

par Emily Atef

J’ai rencontré plusieurs fois Robert Lebeck, avant sa mort en 2014. Il a été d’une aide précieuse. Sa femme et lui m’ont donné toutes les pellicules des photos prises à Quiberon. J’avais 600 photos que personne n’avait jamais vues, y compris des photos privées, des photos des autres personnages et des lieux bien sûr... Un matériau extraordinaire ! Michael Jürgs, le journaliste, s’est montré très disponible. Sa mémoire des événements était excellente, il était le plus jeune du groupe et d’ailleurs, il travaille toujours. J’ai gardé certains passages de l’interview mais j’en ai aussi écrit d’autres. J’avais besoin de cette liberté-là par rapport aux événements réels pour atteindre la vérité du personnage.


Je voulais raconter les quatre points de vue, montrer la perspective de chacun. Et aussi toucher les gens plus jeunes, qui peut-être ne connaissent pas encore Romy. Les problèmes de cette femme qui cherche à tout concilier, sa vie privée, son rôle de mère, son travail, tout ça est très moderne. C’est aussi un film sur l’éthique. Le journaliste est prêt à tout pour obtenir son interview mais au bout du compte, ces trois jours changent complètement sa vision des choses. Et il ne fera plus jamais son métier de la même façon.

J’ai pour habitude d’écrire des scénarios très détaillés. C’était aussi le cas pour 3 jours à Quiberon. Je veux qu’on sente les mouvements qui vont se mettre en place dès cette étape, qu’on puisse ressentir jusqu’au tempo de la séquence. Les scènes sont très décrites, et nous avons effectué un travail énorme avec ma chef décoratrice, Silke Fischer. Les textes sont eux aussi tout de suite très écrits. Mais tout ça ne se retrouve pas forcément au moment du tournage, et rien n’est figé. Lors du tournage, les choses vont se mettre en place naturellement, et jamais vraiment telles qu’elles étaient écrites au départ. Ce n’est pas de l’improvisation, mais une liberté qu’on se crée.

Très tôt, j’ai su qu’il fallait faire le film en noir et blanc. Je ne pouvais imaginer les scènes que comme ça, à cause des photos de Lebeck qui m’ont longtemps accompagnée. Et c’est comme un pont pour la fiction, de se détacher des innombrables images de documentaires et de reportages sur Romy. Avec Thomas Kiennast, nous avons cherché à traduire la sensualité qui se dégageait des photos de Lebeck. Très vite, nous avons su que c’est avec les mouvements de caméra, la durée des plans, tous ces détails qui nous ont nourris avant le tournage, que nous pourrions y arriver. Il était primordial pour moi d’arriver à traduire ce que j’appellerai un peu maladroitement un humanisme sensuel de Romy... cette manière d’accueillir le monde et les gens qu’elle côtoie, qu’ils soient ses amis ou de parfaits inconnus, avec une générosité teintée de son charme et de sa sensualité.

J’ai par ailleurs la chance de pouvoir tourner à l’ère du digital, où je peux laisser tourner la caméra sans exploser le budget du film... c’est précieux ! J’aime laisser durer les scènes, c’est souvent dans ces moments qu’on arrive à capter quelque chose d’autre, un imprévu magique qui va apporter une nouvelle lumière...

On a tourné les extérieurs à Quiberon, sur les lieux réels : l’hôtel, les rochers... tout était là, c’était très inspirant. Pour les intérieurs, on était sur une île de la mer du Nord.

Lors d’une de mes premières rencontres avec Robert Lebeck, je lui ai dit : quand même c’est terrible, elle est tellement en détresse et en plus elle se casse le pied lors de la séance photo !. Il m’a répondu : pas du tout, c’était parfait pour elle... Et il a ajouté : le jour où je suis venu à Paris lui apporter l’interview, je ne l’avais jamais vue aussi en paix avec elle-même, si belle, si sereine.

Je me suis dit : personne ne peut lui enlever ça. Quelle que soit la suite de l’histoire, personne ne peut lui prendre ce moment de grâce et de paix intérieure. Dans mes films, je vais souvent assez loin dans l’enfer intime, et j’ai à la fin toujours besoin d’une lueur d’espoir, même minuscule, un brin de lumière qui transperce les rideaux...

Je voulais finir avec cet espoir, quitter Romy dans un moment de lumière.

EXTRAIT

Glenmor, pêcheur dandy

Le personnage du poète, interprété par Denis Lavant, est inspiré de Glenmor. Le poème qu'il récite est un inédit d’Edith Azam jamais publié, qui s’intitule Le Paradis une fois.

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Romy et Glenmor dansent
Romy Schneider et Glenmor - Robert Lebeck, Quiberon ©1981
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Glenmor et Romy
Romy Schneider et Glenmor - Robert Lebeck, Quiberon ©1981

L'article du Stern a parlé d’un pêcheur dandy faisant irruption dans le bar où se trouvait Romy. Mais vous êtes Madame Sissi ! lui lance-t-il. Elle pourrait lui jeter un verre au visage... et puis non, elle a envie de s’amuser, de parler, de vivre, elle ne veut surtout pas rester seule avec ses démons, alors elle se jette dans la fête. La série de Lebeck sur cette soirée est dingue, c’est la plus fournie de tout le week-end, et sur ces photos le pêcheur dandy s'avère être le poète Glenmor (1931-1996), interprété dans le film par Denis Lavant.

Sur d'autres de ces photos, l'on voit que Romy échange avec un jeune homme. Ce n’est pas anodin, dit la réalisatrice Emily Atef, ce jeune garçon a plus ou moins l'âge de son fils, ce fils avec qui elle n’arrive plus à parler.


Alors elle veut tout lui donner. Les personnages que je montre sont tous inspirés de la réalité. Et cette base factuelle très riche, les photos de Lebeck et l’interview du Stern, m’a permis de me sentir plus libre dans mon inspiration, d’aller plus loin encore dans la fiction et l’invention. À chaque fois que j’y retournais, de nouvelles idées, comme des pulsions de fiction, arrivaient. C’est une scène essentielle pour moi. J’ai beaucoup pensé à toutes ces scènes incroyables de bar ou de restaurants dans les films de Sautet. On a l’impression d’en être, on sent presque les odeurs de cuisine. Dans ce bar à Quiberon, j’avais envie qu’on sente la fumée, l’alcool, que le spectateur sorte lui aussi épuisé de cette soirée, qu’il plisse les yeux au soleil du petit matin. J’ai passé mon adolescence dans le Jura. Les bars, la musique, l’ambiance des années 1980, je connais et j’aime ces atmosphères. Nous avons beaucoup travaillé cette scène en amont, chacun de ses détails, tant dans l’écriture du scénario que durant les répétitions. Et puis, sur le tournage, on a laissé les choses se faire d’elles-mêmes, et le tempo s’est imposé, le mouvement s’est lancé.

REVUE DU WEB

Désordre mental

BANDE À PART, rencontre avec la réalisatrice >>>

LE FIGARO, Julia Benarrous >>> Le film donne l'impression de voir Romy ressuscitée, note Jacques Morice. L'Obs acquiesce et applaudit un portrait bien senti, porté par de fines intuitions. Mieux qu'un biopic, Trois jours à Quiberon est un instantané au travers duquel se profile une vie entière, analyse Nicolas Schaller.

FILMS EN BRETAGNE, Pauline BURGUIN >>> Pour mettre en scène l’actrice allemande Marie Baümer, alias Romy Schneider, Emily Atef a imaginé un décor réaliste en tournant au Sofitel ( de Quiberon) et sur les plages de la petite cité balnéaire, avec des acteurs du cru. Sonia Larue, chargée du casting des seconds rôles pour le film raconte ...

ANGLE(S) DE VUE, Boustoune >>> La cinéaste est bien aidée par son actrice principale, Marie Baümer, qui, en plus de sa ressemblance physique avec Romy Schneider, a travaillé sur sa gestuelle, sa façon de sourire et de rire, de capter la lumière. Chose assez rare pour être soulignée, son jeu est dénué de tous ces artifices de comédien servant à tirer les larmes du spectateur ou épater la galerie. Sa performance est sobre, délicate, tout en finesse, à l’image du film et de sa mise en scène, enrobée dans un noir & blanc du plus bel effet.

MARIE-CLAIRE, Emily Barnett >>> Romy Schneider, le long d’un golfe clair. En 1981, un an avant sa disparition, l’actrice, à bout, fit une brève cure de repos dans le Morbihan. Une parenthèse que s’attache à restituer un film où se dessine le portrait d’une femme libre et engagée à la modernité tragique.

COMMENTAIRES

  • 10 octobre 2022 00:24 - Nicolas Anne

    Romy la seule actrice qui me bouleverse et Glenmor ma plus forte référence à ma Bretagne c'est dire.... mais là je me sens trahie cet acteur n'a vraiment rien à voir avec nôtre barde et de plus lui faire lire un texte qui n'est pas de lui fallait oser , suffisait d'y mettre ces moments improbables de leur rencontre tout simplement , par respect pour ces deux artistes et pour Glenmor ça va même au-delà vu ce qu'il représente pour nous bretons

CRÉDITS

interprètes principaux Marie Bäumer, Birgit Minichmayr, Charly Hübner, Robert Gwisdek, Denis Lavant

un film de Emilie Atef
d’après une idée de Denis Poncet, inspiré des entretiens avec Michael Jürgs et Robert Lebeck

chef opérateur Thomas W. Kiennast
ingénieur du son Jörn Martens
montage Hansjörg Weissbrich

musique Christoph M. Kaiser, Julian Maas
décors Silke Fischer
costumes Janina Audick
directrice de casting Sonia Larue
casting Anja Dihrberg

garçon du restaurant Mattéo Rolland
serveur du restaurant Lionel Monier

production déléguée France Michel ZANA, Sophie DULAC Productions

en coproduction avec Karsten Stöter (Rohfilm Factory/Allemagne), Danny Krausz (Dor Film/Autriche), Fred Prémel (Tita B Productions/France), Undine Filter et Thomas Král (Departures Film/Allemagne)
partenaires NDR/Arte, Aide à la production associée Région Bretagne, Eurimages, Creative Europe, ORF
première mondiale Berlinale 2018 – Compétition Officielle

Artistes cités sur cette page

Emily Atef

Emily Atef

glenmor guitare

Glenmor

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