La mélodie de l'honneur
28/02/2026
Emmanuelle Gorgiard exfiltre la pièce de Corneille des ors versaillais pour la ranimer dans un décor stylisé, où les hommes ont cédé la place à des insectes costumés. Un pari osé et réussi qui nous entraîne dans une atmosphère musicale andalouse, une mise en scène aux accents bibliques (le fruit défendu occupe constamment la scène) quand les insectes les plus carapacés n’évoquent pas des personnages de Star Wars.
Le Cid est une tragi-comédie, il n’y a donc pas de mal à tourner les personnages en dérision. En tête de liste, Rodrigue, l’amant qui manque peut-être de cœur mais surtout de mémoire, et dont la voix est jouée par un Sergi Lopez tout à son affaire en macho ridicule. Mention spéciale aux charançons qui jouent le chœur antique (à castagnettes), connaît le texte par cœur et prend parti contre l’absurdité criminelle des conventions sociales, dont il est ici question.
LE CID
LE CID
d'Emmanuelle Gorgiard (2006 - 25')
Chimène et Rodrigue s’aiment. Pour venger l’honneur de Don Diègue, son père, Rodrigue tue le Comte, père de Chimène. Chimène veut alors la mort de Rodrigue... mais craint de l’obtenir. Au milieu d’un entrelacement de feuillages, des insectes interprètent Le Cid de Pierre Corneille, excités par le texte, ses défis, ses appels au meurtre et à la vengeance. Si la mémoire des protagonistes est parfois approximative, l’esprit cornélien plane sur cette arène baroque. Mais la pièce dérape... Les duels chorégraphiés comme des corridas, les amours sévillanes de Chimène et Rodrigue, la musique d’inspiration flamenco sont autant de références aux origines castillanes du Cid Campeador.
>>> un film produit par Vivement Lundi !
Orgueil, honneur et sacrifice
Orgueil, honneur et sacrifice
par Emmanuelle Gorgiard
Le poème de Corneille, raffiné et cruel, est une somme de conflits et d’émotions extrêmes. Orgueilleux, les personnages du Cid incarnent des postures culturelles, historiques et sociales. Déterminés par un principe absolu, l’honneur, ces personnages font leur devoir en répondant par le sacrifice et la vengeance aux offenses qui leur sont faites. Au nom de l’honneur, Chimène, Rodrigue et son père sacrifient vie, amour ou progéniture, non sans conflits internes. Les insectes de mon film réalisent littéralement les enjeux du Cid. Ils offrent à l’homme un miroir horrifiant et précieux. Leurs yeux protubérants comme un signe de cérébralité, leurs membres agiles à fabriquer des abris, mais aussi à tuer, leur grande résistance, tout ceci nous représente notre part d’ombre. Privilégié par la mise en scène, le personnage de Chimène (auquel Judith Henry prête sa voix) expose son caractère versatile. Le choix cornélien de Chimène est déterminé par la présence ou l’absence de Rodrigue. Fondant d’amour dès qu’elle le voit, elle retrouve sa contenance et son orgueil criminel en son absence.
Orgueilleux, conscient, invincible, héros idéal en somme, le Cid est ici une chimère. Rodrigue, incapable de se souvenir de son texte, s’appuie sur un cafard-souffleur sans lequel il n’est qu’un criminel dépourvu de discours. Il sert l’intrigue sans se douter que son rôle véritable est de nourrir cette compagnie d’insectes. Puisque nous sommes dans une tragédie castillane, les duels sont chorégraphiés comme des corridas. Ainsi, le Comte, brutal, fonce sur Don Diègue comme un taureau déchaîné... Rodrigue sur ses hautes pattes gambade tel un picador, toréant avec une feuille en guise de muleta. Le duo final de Chimène et Rodrigue, à la fois combat et scène d’amour, se réfère aux danses sévillanes. Le port fier de la tête, le défi du regard, la cambrure affirmée, les membres agiles se mouvant en arabesques accentuent l’expression hispanique de ce couple racé. Dans ce ballet fébrile, érotique et vénéneux, Chimène affronte Rodrigue jusqu’au final mortel. Ma technique d’animation en stop motion est traditionnelle, les marionnettes évoluent sur leurs pattes. Les pas loufoques du bousier, la toilette extravagante de la mante religieuse et la fuite chaotique des fourmis ont été des repères pour le constructeur des marionnettes et les animateurs. La chorégraphe Cécile Apsâra a enseigné des rudiments de flamenco à l’équipe du film qui s’en est inspiré pour la conception des marionnettes et leur animation. Raffinée et populaire, la musique de Thierry Robin chemine du Rhajastan à la Hongrie en passant par l’Espagne et le Maroc. La musique gitane est pour lui un pont entre l’Orient et l’Occident. Il en a fait le cœur de son premier album, Gitans dont l’adaptation pour la scène a été jouée dans de nombreux pays. À la croisée des musiques orientales, arabes, andalouses, ses compositions accompagnent le parcours intérieur de Chimène, elles expriment son amour, sa colère, son désir… La sonorité étrange des instruments introduit de la gravité dans l’ironie du film, d’autres expriment l’agilité et la finesse des insectes. Frappées ou pincées comme dans un flamenco, les cordes intensifient la dramaturgie des événements.
Le Cid en insectes animés ?!
Le Cid en insectes animés ?!
par Jean-François Le Corre
Emmanuelle Gorgiard nous propose une petite troupe d’insectes prête à monter sur scène pour interpréter image par image un classique du théâtre français : Le Cid. Le Cid en insectes animés ?! À la lecture du scénario, le projet m’a semblé farfelu et... excitant. Emmanuelle y fait cohabiter son amour du théâtre et son plaisir à adapter le texte de Pierre Corneille. J’ai été séduit par la force de ses partis pris esthétiques, par son approche satirique et par l’originalité d’une telle production. Si, Outre-Manche, il existe une tradition d’adaptations cinématographiques d’œuvres théâtrales qui touche également au cinéma d’animation (je pense notamment à la série Animated Shakespeare), ce genre est plus rare en France.
Le Cid a connu des adaptations scéniques mémorables, mais ce texte incontournable du patrimoine littéraire français n’avait jamais été porté à l’écran. Notre projet a donc été une première et un moyen original de faire (re)découvrir ce classique à un public jeune. Comme en témoigne le générique de ce film, le temps de travail pour la production de ce court métrage d’animation s’apparente à celui que nécessite un long métrage : quatre mois pour la conception et la réalisation des marionnettes, deux mois de fabrication pour le décor et huit mois et demi de tournage. Un film produit entre Rennes, Bruxelles et Lausanne et qui n’aurait pu exister sans l’investissement des équipes et des coproducteurs qui l’ont porté pendant plus de trois ans.
Emmanuelle Gorgiard
Emmanuelle Gorgiard
Diplômée de l’école des Beaux-Arts de Rennes, elle a travaillé comme décoratrice sous la direction de nombreux metteurs en scène de théâtre français et suisses. Elle découvre l’animation en 1996 et réalise en 1998 la série Bêtes comme choux (5 x 3’) sélectionnée au Festival d’Annecy. En 2001, elle signe La Bisque du Homard, une fiction courte diffusée sur France 3. Avant de réaliser Le Cid, elle a collaboré aux décors de nombreux films d’animation et de fiction en marionnettes animées comme le court métrage Oh Willy... (plus de quatre-vingt prix internationaux dont le Cartoon d’or 2012) ou la série Dimitri. Elle a également collaboré en 2018 à la réalisation du Quatuor à cornes et présenté son travail pour la série Les Métiers du Cinéma.
Une pièce non conforme
Une pièce non conforme
TÉLÉRAMA >>> C’est une pépite de l’animation qui ressort sur la plateforme culturelle bretonne KuB. Le Cid, la tragi-comédie de Pierre Corneille, est réinterprétée avec dérision par des marionnettes animées, qui ne manquent ni d’orgueil ni d’honneur. Une scène animalière subtile aux rythmes arabo-andalous qui elle, ne manque pas de souffle.
VIVEMENT LUNDI >>> Extraits du documentaire de Céline Dréan Rodrigue as-tu du cœur ?
1. Ci-contre Sergi Lopez, qui prête sa voix au personnage de Rodrigue, raconte son Cid, celui qui vient d'Espagne.
2. La querelle du Cid où Corneille est accusé par l’Académie française d’immoralité, de scandale et d’invraisemblance alors que la pièce suscite un véritable engouement public.
LE MONDE >>> Pourquoi Le Cid est-il devenu la pièce française par excellence ? La jubilation de cette langue somptueuse a contribué à faire de Corneille le génie rénovateur du théâtre français. Le Cid est un festival de rhétorique, mais cette rhétorique n'est jamais gratuite.
ARTE >>> Rodrigo Díaz de Vivar, héros de la reconquête espagnole qui a inspiré à Corneille sa pièce, est encore honoré chaque année à Burgos.
17 avril 2022 22:15 - catherine Veillon-Guilloux
Ah, que c'est beau ! Que de scintillations merveilleuses, quelle Joie, merci !!!
7 octobre 2019 23:23 - Monique Lecerf
Fabuleux Cid! Marionnettes raffinées et un humour délectable. Ce court métrage est une pépite !