Night Commando
Comment s'approprier un espace quasi-mort ?
Night Commando se passe à Saint-Brieuc, une ville qui selon Albert Camus tourne le dos à la mer. Georges Palante, philosophe de notoriété costarmoricaine du début XXe, professeur et ami du jeune Louis Guilloux, prenait la ville comme objet d'étude afin de révéler les mécanismes sociaux rabaissant l'individu. Aujourd'hui il subsiste un esprit moqueur à l'endroit de la ville – esprit moqueur souvent balayé par les briochins : y'a pire… y'a Guingamp, à quoi les guingampais répondent t'as pas vu Lorient, etc. C'est qu'une étrange malédiction plane sur Saint-Brieuc et sur d'autres villes de moyenne envergure. La génération des 20-30 ans y disparaît. Le clip de Corrupt File, Night Commando, expose ce fait. Des jeunes partent, pourquoi et vers où, on ne sait pas bien, l'important est qu'ils « s'arrachent ».
Le clip réalisé et interprété par Yvan Lamy a une trame banale : un homme se réveille, ses comparses l'attendent pour monter un coup pendant que les forces de l’ordre veillent. Mais ce clip se révèle précieux par ce qui déborde du scénario. À Saint-Brieuc, comme partout en France, des jeunes et des moins jeunes rêvent d'ailleurs. Saint-Brieuc nous est donc présentée comme une ville fantôme où seuls s'activent les joyeux lurons du commando alors que s'opère un petit jeu du chat et de la souris avec la police.
L'ailleurs rêvé prend différentes formes. D'abord le fait de crier dans les rues et de balancer la sauce à la vue et au nez de... personne. Comment s'approprier un espace quasi-mort ? Au fil des images un petit rassemblement se constitue, ils sont peu nombreux mais ils en jettent : un leader/chanteur expressif et plein d'autodérision, un chauffeur patibulaire et improbable ganté de cuir, un DJ chevelu et déjà vedette dans le film briochin La Ville s'endormait – qui exposait aussi une ville déserte et en noir et blanc –, deux frères auto-stoppeurs à la gestuelle et aux moues de teufeurs hardcore, un homme torse nu ne sachant pas bien dans quoi il s'est embarqué, et un grand dadais énigmatique à lunettes noires. Ces hommes détonnent en comparaison des beaux gosses ultra lookés auxquels l'audiovisuel nous habitue. Enfin et littéralement, nos personnages s'en vont ailleurs, vers cette mer qui serait boudée à Saint-Brieuc.
Difficile d'interpréter l’ultime image du clip où le héros fait feu sur le soleil. Le port insistant de lunettes noires impliquerait-il que nous ayons affaire à des personnages qui chercheraient à se protéger du jour ? Les paysages désertiques citadins comme ruraux sont-ils plus supportables de nuit ?
Tuer le soleil pourrait également être compris comme une réminiscence d'un sordide « vive la mort ». Mais ce serait oublier l'humour et l'autodérision de cette vidéo, ces formes d'intelligence traquées par les fascistes et autres tristes sires. Alors restons-en là, restons sur cette simple envie d'ailleurs dans la bonne humeur, considérons ce geste irréaliste de mise à mort comme une simple aspiration à autre chose, une aspiration à un débordement renversant.
NIGHT COMMANDO de Corrupt File
NIGHT COMMANDO de Corrupt File
Réalisé par Yvan Lamy (2016 - 4'06)
Yvan Lamy : Corrupt File est un projet solo d'électro punk qui voit le jour en 2013. S'en suit une douzaine de concerts de 2013 à 2014. Après une année « sabbatique » je remets le projet en route début 2016 avec la sortie de l'EP Unplugged et la réalisation du clip Night Commando.
Un clip est aussi une oeuvre
Un clip est aussi une oeuvre
Yvan Lamy : J'ai suivi mes études à l'École Européenne Supérieure de l'Image de Poitiers. C'est là que j'ai découvert la vidéo. Par la suite, j’ai réalisé des petits films expérimentaux, des clips, puis j’ai intégré l’association Equinok en 2016.
Pour Night Commando, j’ai souhaité réaliser un clip qui rende compte des paroles. J’ai dû me résoudre à abandonner certaines idées faute de budget, comme tourner de nuit par exemple. Faisant face à un désistement important de figurants, j’ai été contraint de modifier mon scénario. Ce côté « à l’arrache » se ressent, mais je l’assume car en fin de compte, l’esprit de la chanson ressort.
J’adore réaliser des clips, et souligner le lien étroit entre musique et image. Pour moi, l’un ne va pas sans l’autre. Je trouve que l’on sous-estime le potentiel artistique des clips. Je consacre beaucoup de temps à l’élaboration d’un scénario et d’un story-board. Un clip est également une œuvre, au même titre qu’un court métrage par exemple.
10 juillet 2018 22:15 - Domallain Marie Claude
j'ai adoré, en plus je connais Yvan, donc cela ne peut qu'être fantastique, il faut continuer !!!
13 mars 2018 15:58 - yann ar born
Super traitement du Noir & Blanc