How come
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SOMMAIRE
L'adolescence ne laisse un bon souvenir qu'aux adultes ayant mauvaise mémoire. François Truffaut
Il y a deux semaines est parue une étude australienne annonçant que l'adolescence s'étendait potentiellement de 10 à 24 ans. Nous nous sommes tous rendus compte (sauf les lecteurs n'ayant pas encore 10 ans) des difficultés à trouver notre place dans la société ; prendre le recul nécessaire n'est de prime abord pas évident. Cela est d'autant plus complexe que les figures tutélaires ont parfois du mal à comprendre ce que l'on ressent durant cette (longue) période de transition : besoin irrépressible d'expérimenter, définir ses goûts et ses envies, etc. Le clip How Come nous parle justement de cela, de ce besoin d'expérimentation et de confrontation aux regards dubitatifs.
HOW COME de Kaviar Special
HOW COME de Kaviar Special
un clip réalisé par Damien Stein ( 4'09- 2018 )
Expériences psychotropes
Expériences psychotropes
par Johann Feillais
1- La voie de la liberté
Que ce soit en portant les cheveux longs (pratique masculine décriée de longue date), en faisant du skateboard de manière borderline, en se faisant piercer sans l'accord parental, ou même en écoutant du rock, multiples sont les possibilités de se démarquer du modèle présenté comme adulte par les aînés.
Durant ces âges, l’obsession du sexe (celui de l'Autre ou le sien) est forcément questionné. S'il est omniprésent dans les récits autobiographiques abordant la question de la jeunesse (au hasard André Gide dans Si le grain ne meurt lorsqu'il s'interroge à propos de son pénis : Qui de nous deux en avait instruit l'autre ? Et de qui le premier le tenait-il ? Je ne sais. Il faut bien admettre qu'un enfant parfois à nouveau les invente), on le retrouve évidemment également dans cette vidéo (On va faire une pure fête, y'aura que des meufs. Que. Que.).
Durant l'adolescence nous cherchons donc à cartographier notre territoire mais également ses limites et frontières. Vouloir accéder à d'autres mondes passe souvent dès cette période de la vie par la tentation d'expériences psychotropes.
2- La prise de produits
Lorsque cette thématique est abordée dans les vidéos musicales autrement que sous un angle sordide et par conséquent moralisateur, il y a généralement cohabitation d'univers parallèles permettant d'illustrer des failles spatio-cognitives.
Cela passe parfois par des hallucinations au psychédélisme lumineux comme dans le Shadows de Juan Trip (réalisé par l'artiste, 1999) ou plus largement décoratif comme dans le Mangez-moi, mangez-moi de Billy Ze Kick et les Gamins en folie (1994). Toujours dans le registre du décor halluciné il existe un exemple que l'on peut rapprocher de How Come : E Talking de Soulwax (Evan Bernard, 2005) dans la mesure où les deux vidéos proposent une forme de mode d'emploi, celle de Soulwax présentant 26 substances (certaines légales dans leur usage tels le viagra, le whiskey ou le Zoloft, un antidépresseur) pouvant amener à un état de dépendance.
Nous ne sommes pas ici dans la même démarche que la MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie) lorsqu'elle édita au début des années 2000 son fameux guide Drogues, savoir plus à destination des 10 à 21 ans ; le clip illustrant E Talking adopte néanmoins comme parti-pris l'illustration des effets de la plupart des produits composant cet abécédaire vidéo, plus critique que ce qu'un premier visionnage ne pourrait laisser penser.
Enfin, pour en terminer avec ce rapide survol du thème de la prise de psychotropes, il convient de mettre en valeur le clip Can't Sit Still de Wintergreen (Keith Schofield, 2007). Y sont condensées les thématiques de la prise de risques en groupe, du mode d'emploi (autant dans la re-composition chimique que le détail des effets ressentis) et enfin la visualisation, justement, de ces effets. Là où Schofield est aussi intelligent que pertinent, c'est qu'il présente sous le ton de l'humour des recettes inefficaces mais également qu'il fait l'économie d'effets visuels psychédéliques usés jusqu'à la corde et confinant au ridicule. Il se contente de montrer un point de vue extérieur de ces effets : comment les corps sous influence peuvent-ils s'inscrire dans l'espace et les visages s'altérer ?
3- Le double juvénile
Multiples sont les œuvres (en mouvement ou fixes) permettant au protagoniste d'être comparé à celui qu'il a été ou sera. Ceci a par exemple lieu dans Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994) lorsque Butch (Bruce Willis) rêve d'un moment de son enfance s'étant déroulé de manière effective (la fameuse scène de la montre avec Christopher Walken). Cela est encore plus vrai, plus délicat, plus subtile et diffus dans Les Fraises sauvages (Ingmar Bergman, 1957) lorsque le vieux professeur Isak Borg (Victor Sjöström) rêve à quatre reprises de son enfance et nourrit sa réflexion sur la vie au moyen de ces songes - jusqu'à établir une forme de dialogue avec celui qu'il aura été quelques décennies plus tôt.
Le refuge que peut représenter l'onirisme est possiblement à son paroxysme dans Eternal Sunshine of The Spotless Mind (Michel Gondry, 2004) lorsque Clementine (Kate Winslet) demande à son compagnon Joel (Jim Carrey) de se réfugier dans ses souvenirs d'enfance afin de calmer un certain mal-être. Baby Joel est alors alternativement incarné par un jeune acteur et par Carrey lui-même dans un pyjama aux motifs enfantins, aux réactions puériles et dans un décor anamorphosé... confronté autant à une certaine impotence qu'à une Clementine devenue dans ce rê-venir sa baby-sitter désirant le traiter comme un adulte sexualisé qu'il n'est momentanément plus (elle : My crotch is still here, just as you remembered it ; lui : Yuck! ).
Cette confrontation entre deux âges de la vie d'une même personne est évidemment présente dans des clips. Cela peut être représenté par le biais du montage alterné dans le Burnin des Daft Punk (Seb Janiak, 1997) où un pompier en mission se rappelle avec tendresse le premier feu qu'il a éteint enfant - un barbecue estival aux côtelettes un peu trop fumantes pour ne pas être carbonisées.
Cette dualité peut également s'exprimer sans avoir à emprunter un passage onirique ou strictement mentalisé, comme cela a lieu dans le Boys Don't Cry de The Cure (Tim Pope, 1986) où des musiciens pré-adolescents sont veillés par leurs ombres -chinoises- adultes aux yeux rougis – lesquelles auront avec l'expérience compris que les adultes avaient finalement le droit de pleurer.
4- La confrontation au passé
Si la présence d'un jeune double intérieur mis en sommeil peut être parfois invoquée, le fait de (re)sus-citer des pans de sa propre vie permet d'analyser celle-ci de manière apaisée. De faire le bilan, calmement.
L'apparition initiale dans le clip de How Com des dates «1998» et «2018» dans une typographie rétrofuturiste - aussi peu élégante que de l'acné juvénile - et l'alternance frappante de deux technologies de captation (les cassettes à bandes magnétiques - provoquant parfois l'apparition du signal nécrologique Tape End - au format carré versus des mémoires électroniques révélées par une meilleure qualité d'image ainsi qu'un écran large) permet ces allers-retours de manière fluide. Cette connivence avec le spectateur permet même l'ajout en post-production d'incrustations faussement maladroites aux accents kitsch ; il convient de toujours garder en mémoire la définition de Milan Kundera : Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde (in L'Insoutenable légèreté de l'être).
Les images à la patine vintage (le mot ayant pour origine étymologique l'expression vingt ans d'âge... comme l'écart entre les deux temps de captation constituant ce clip) inspirent naturellement notre confiance. Le fait qu'une image soit abimée (abîmée ?) -de la perte de signal, des rayures, etc.- ou portant les stigmates du passé -une vieille police d'écriture, des altérations vidéo, un format carré, ad lib- va provoquer en nous une certaine empathie, une tendresse, voire, en complément, une revisitation de notre passé déclinée en une forme d'amnésie où l'on se dira que c'était probablement mieux avant. Cette tendance protectionniste est en fait avant tout un réflexe protecteur voulant que plus on avance en âge et plus on préfère -de manière générale mais pas systématique- retenir des éléments positifs de notre biographie, comme cela a été clarifié par des études ayant amenées à la théorie de la sélectivité socio-émotionnelle de Carstensen.
Et dans le clip de How Come, l'un des deux protagonistes se rend compte à la fin (à 3m52s) qu'il était durant quelques minutes confronté autant à son ombre au fond de la caverne qu'à son propre reflet dans un écran de télévision.
Pour réaliser son documentaire Ce qui se joue la nuit (2017), le jeune réalisateur rennais Damien Stein a suivi pendant plus d'un an Jean-Louis Brossard -programmateur historique des Trans Musicales- et plonge le spectateur dans un revigorant bain de jouvence alimenté par le sujet -en verbe et en action- de son film. Dans son dernier clip, How Come, donc, il nous montre des jeunes se cognant au réel de la vie. La liaison entre les deux est on ne peut plus frappante.
Le clip est par essence iconophile et chaque nouvelle production s'inscrit dans la continuité d'une histoire du genre, reprenant sciemment -ou non- à son tour des motifs. Il faut bien admettre que chaque réalisateur, souvent, les invente à nouveau.
Vingt ans plus tard
Vingt ans plus tard
En 1998, année sportivement cathartique, nous avons découvert, un groupe de copains et moi, qu’un certain produit ménager respiré dans un sac plastique changeait votre rapport aux distances et aux contours. Ajouté aux drogues douces et à l’alcool bas de gamme, nous avons durant un mois éprouvé nos neurones et occiputs, pour finalement abandonner totalement cette pratique barbare.
Cette fin de décennie a aussi été marquée par l’avènement du numérique : soudain, on pouvait se filmer sans avoir à trimbaler la caméra VHS ou super 8 parentale. Seul hic, l’absence d’ordinateur permettant d’assembler les centaines d’heures accumulées sur ces petites cassettes qui nous coûtaient tout notre argent de poche. Faute de mieux, on s’est filmés sans cesse, comme assoiffés de sang, jusqu’à l’étourdissement, jusqu’à plus soif.
Loft story et ce qui devait s’en suivre était à nos portes.
Vingt ans plus tard, on s’est dit que notre catharsis à nous se trouvait probablement dans le traitement de ces images.
En voici le résultat, qui sera doublé d’ici quelques semaines d’un court métrage, quelque part entre fiction et documentaire, coréalisé avec Alexandre Ionoff, l’autre filmeur/filmé du clip.
Post-scriptum : idéalement, ma mère ne sera jamais tenue au courant de ce projet.
KAVIAR SPECIAL
KAVIAR SPECIAL
Le rock français, c’est comme le vin anglais persiflait John Lennon. Le plus rêveur des petits scarabées de la pop serait encore de ce monde, on lui prescrirait une mise au vert en Bretagne. Là où, sous les harangues fibreuses du label Howlin’ Banana, quantité de jeunes gens mal peignés (autant de fuzz, forcément, ça décoiffe), redonnent ses lettres d’ivresse au genre. Formé à Rennes en 2013, Kaviar Special regroupe les plus farouches. Quatre garçons se fichant d’être dans le vent qui, à l’instar de leurs modèles John Oh Sees Dwyer et Ty Segall, réécrivent la genèse réverbérée de la musique électrique (surf, garage, psyché...) d’un grand geste régressif – qui court des nanars terreux des années 80 aux happenings masochistes de la génération Jackass.
Bien que couchée sur deux albums salués par la nouvelle presse conductible (Gonzai, Noisey, The Drone...), puis le troisième début 2018, c’est évidemment sur scène que cette démarche imparable prend toute sa dimension. Fût-ce celle de rades périphériques, lors d’une tournée française fin 2016, ou celle d’événements de prestige: les Trans Musicales en 2015, Rock en Seine l’année suivante et le festival Inrocks Lab dans la foulée. Dans un cas comme dans l’autre, Kaviar Special avance à l’instinct, entre héroïsme et négligence. Mais toujours la bonne direction: celle où, quand la musique s’achève, le silence qui suit n’en est plus vraiment un.
DAMIEN STEIN
DAMIEN STEIN
Après avoir travaillé à différents postes du cinéma (de la technique à la production, de la série au long métrage), je me suis confronté à la mise en scène en commençant par le documentaire puis le clip, pour finalement sortir mon premier court métrage en 2013.
Je fais parfois de la musique, et de plus en plus souvent ça se termine en bande originale ou en sorte de clip.
Un album gonflé à bloc
Un album gonflé à bloc
Tsugi, Corentin Kieffer >>> Kaviar Special branche notre cerveau en mode psyché avec son nouvel album Vortex. Délicieusement givré, le groupe Kaviar Special est de retour pour un troisième album... Prêt à repartir pour une virée psychédélique ?
Les inrockuptibles, François Moreau >>> Les rennais de Kaviar Special font déjà figure de tauliers et livrent un troisième album gonflé à bloc, remettant au passage quelques pendules à l’heure dans un paysage musical français toujours plus éparpillé (et toujours aussi fascinant). Plus staffé, plus pro, mieux produit, les Kaviar s’offrent un disque à la hauteur de leurs ambitions, sans jamais renier l’urgence des débuts.
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