Hunvreoù merglet
Pérégrinations d'une voiture-balai récupérant une tribu de désaxés
La fusion du rap et de la langue bretonne a rarement donné lieu à d'heureux mariages. Alan Stivell, qui a teinté sa celtitude de musiques du moment, a davantage brillé en épousant le folk et la pop que des univers sonores plus urbains. Krismenn, quant à lui, réussit brillamment ce pari avec Hunvreoù merglet (des rêves rouillés en français).
Pour illustrer le morceau, les réalisateurs rompent avec les codes qui prévalent dans les clips de rap. Point de chaînes en or ou de pétards au bec, de banlieues crépusculaires ou de villas luxuriantes. Le flow nerveux de Christophe Le Menn habille une campagne sombre, un chaos rural en noir et blanc.
Ma musique est là pour dire qu’au bout du tunnel, il y a de la lumière. Krismenn
Le tableau n'est cependant pas si sombre. Y'a une route, comme le chantait Gérard Manset. Et nous suivons, sur ce macadam salvateur, les pérégrinations d'une voiture-balai récupérant sur sa banquette arrière une tribu de personnages interlopes, de désaxés, de laissés-pour-compte. Une véritable arche de noyés, que ce soit par les vapeurs d'alcool ou les souvenirs diffus.
Ce ramassage solaire nous permet notamment de faire la connaissance d'un Nicolas Le Riche du pauvre, hagard et déambulant en jean et tutu blanc. Et de ce qui semble être un dommage collatéral d'une fin de soirée épique, étendu dans les herbes d'un fossé, tel le dormeur du val de Rance.
La traduction des paroles nous confirme d'ailleurs cet univers de gueules cassées, vivant "à côté" d'une société dont ils ne comprennent pas les codes : Chacun est étrange à sa manière / Il n'y a que ceux qui ont l'esprit tordu qui peuvent tenir le coup / Quand on est malmené de tous les côtés, on s'en fout d'être pris pour un paumé.
Dans le Cheval couché, Xavier Grall affirmait que si tous les chanteurs bretons se levaient un jour, à la même heure, et s’ils s’accordaient pour célébrer le soleil d’un même chœur, ce serait un vaste chant matutinal et le soleil ne se coucherait plus. Krismenn peut désormais siéger en bonne place au sein de cette chorale armoricaine, afin d'ensoleiller les âmes désabusées des bords de route.
HUNVREOÙ MERGLET de Krismenn
HUNVREOÙ MERGLET de Krismenn
un clip co-réalisé par Powskii, Krismenn et Tangui Le Cras (2017 - 3’24)
Dans l’obscure campagne Centre-Bretonne, Krismenn et sa compagne écument les routes et récupèrent les abîmés de la nuit, ceux qui auront dormi dehors, dans le fossé, assommés par le vin.
Ce ne sont que des hommes. Un monde d’hommes, ruraux, célibataires. On y découvre un paradis perdu. Une ambiance post-apocalyptique, celle d’une culture qui paraît mourante. Beaucoup partent, fuient cet endroit. Mais quelques-uns passent et décident d’y rester.
Il faut être un peu étrange pour vivre là.
Le cadre est triste. La lumière sombre, des lieux abandonnés, l’humidité prégnante, une forêt inquiétante. Un environnement un peu revêche qui contraste avec la douce folie visible sur le visage des protagonistes.
Ils semblent heureux de vivre là, même si ça les tire vers la démence.
DES RÊVES ROUILLÉS
DES RÊVES ROUILLÉS
Krismenn a écrit les paroles de Hunvreoù Merglet dont voici la traduction :
Ça aurait été plus facile de marcher droit sans regarder derrière
mais nous voilà sur des chemins couverts d’orties
Loin du bruit des tambours
Le soleil ne traverse pas les pins
Le vin est notre morphine
Nous avons encore faim quand nous sommes pleins
nos esprits réclament encore du grain
nous avons choisi notre destin
pour éviter de sombrer
Seuls ou par deux
nous ne sommes pas de ceux qui cherchent à marcher droit
et même si cela doit prendre des journées entières
nous arriverons à passer le marais
Chacun est étrange à sa manière
Il n’y a que ceux qui ont l’esprit tordu qui peuvent tenir le coup
Quand on est malmené de tous côtés
on s’en fout d’être pris pour un paumé
Qui sont ces gens avec leur tignasse ?
On nous appelle les gars tralaleno
Il n’y a pas grand-chose dans nos valises
quand on arrive on entend les gens hurler
Il y a peu de gens qui nous suivent
Mais peu importe
On n’a pas besoin d’être nombreux pour trouver le temps court
Des rêves rouillés
Des bistrots fermés
La soif des sept péchés
Des cœurs desséchés
Des ivrognes damnés
De la peau affamée
Cherchant la chair comme des animaux
endiablés
XAVIER POMIAN-POMIANKOWSKI
XAVIER POMIAN-POMIANKOWSKI
Monteur, cadreur et réalisateur passionné de musique, Xavier Pomian-Pomiankowski (POWSKII) est fasciné dès le plus jeune âge par la force produite du rapport entre les images et les sons. Créateur d'impact émotionnel grâce à son approche rythmique et poétique du montage, il a pu mettre à disposition ses talents pour des films publicitaires (Head), films de mode (Tamara Fernando), concerts de jazz (A. Cohen, R. Del Fra), world (Pura Fé, Sirventès), classique (Rachmaninov, Les cloches dirigé par V. Jurowski) et autres projets expérimentaux en lien avec les musiques électroniques. Maniant les images avec maestria, son style est caractérisé par le soin et la surprise apportés à l'œil de son spectateur. Les images parlent d'elles m'aiment.
Une texture sonore contemporaine
Une texture sonore contemporaine
Le Monde, Patrick Labesse >>> Sous une pochette (la photo d’une nuée d’étourneaux), qui déjà, fait musique, Krismenn, accompagné de cinq complices (dont Nicolas Pougnand, avec qui il partage les programmations), invente avec brio une texture sonore contemporaine, bruitiste et minimaliste, dans laquelle sa voix et les instruments acoustiques (guitares, violoncelle et contrebasse, bandonéon ou biniou) sont habillés et incrustés de sons et de boucles électroniques. Habitée, parfois inquiétante, l’atmosphère reflète la noirceur de certaines des histoires aux allures de cauchemars écrites par le chanteur (la traduction française est accessible sur son site), rappelant le tragique de la gwerz, le chant profond de Bretagne.
90bpm, Subzéro >>> INTERVIEW DE KRISMENN
Dans mon apprentissage du breton, je m’intéressais vraiment à la musique de la langue. C’était important pour moi de travailler sur les accents et d’obtenir cet aspect musical dans ma façon de parler. Je passais mon temps à écouter parler les anciens. J’ai donc commencé à jouer de la musique traditionnelle. Et quand j’ai entendu rapper les rappeurs Québecois qui assumaient pleinement leur accent et qui se servaient de la musicalité de leur langue pour obtenir un style unique, je me suis dit que je pouvais faire pareil avec ma propre langue de manière sérieuse et sans faire folklorique.
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