Portique
Visage dissimulé derrière une fine cagoule, Orville intègre le clan des artistes masqués
Il fourmille à longueur d'année, au sein du superbe hôtel Continental de Brest, nombre de fortunes en mal d'embruns. Pour illustrer sa chanson Portique, Orville s’offre le luxe de privatiser les espaces feutrés du palace. En complice inspiré, le réalisateur Thierry Goron habille le morceau de séquences tant mystérieuses et fantaisistes qu’élégantes et esthétiques, qui ne sont pas sans rappeler, pêle-mêle, la Singing Sculpture de Gilbert & George, la série des Men in the cities de Robert Longo ou Cremaster, célèbre œuvre vidéo de Matthew Barney.
Pour ne pas perdre le fil de son univers, le bout d'une corde nous est proposé lors du plan initial, que nous ravit instantanément une gracieuse créature. Elle grimpe, virevolte, et dompte l'espace, ornée d’une combinaison turquoise et brillante.
L'unique témoin de ce spectacle aérien n'est autre qu'Orville lui-même. Visage dissimulé derrière une fine cagoule, il intègre le clan des artistes masqués, des Residents à Fuzati. Se camoufler pour offrir sa véritable nature ? Des libertins du début du siècle aux masques qu'Aragon arborait au crépuscule de sa vie, les interprétations sont légion.
Notre dandy secret sillonne l'hôtel, tantôt réceptionniste, tantôt accoudé au zinc du bar, prostré dans les zébrures d'un fauteuil club tropical, ou déambulant dans les couloirs. Grisé par les lieux, il va jusqu'à effectuer quelques plongeons olympiques depuis les étages.
La rencontre des deux protagonistes, façon Spiderman, a lieu et bouleverse les certitudes. Une gouvernante s’invite pour sonner la fin de la partie, par un roulement de tambour martial et de mauvais augure. L'agile acrobate s'effondre au sol, inerte, tandis que Monsieur X nous gratifie des traits de son visage et de son regard perçant dans un flou final et maîtrisé.
PORTIQUE d'Orville
PORTIQUE d'Orville
un clip réalisé par Thierry Goron (2017 - 4'21)
DÉAMBULATION POÉTIQUE
DÉAMBULATION POÉTIQUE
Déambulation poétique dans un hôtel, lieu de passage, où des scènes troublantes et oniriques entrent en résonnance avec les mots de la chanson. Je fais des longueurs au centre nautique / Avant de monter à bord du Titanic. Comme fil rouge, la présence obsédante d’une acrobate, qui glisse le long d’une corde dans un jeu sensuel qui rappelle à la fois le bondage et la pendaison… Un clip au service de l’univers d’Orville, personnage masqué, dandy amer classe et trash, derrière lequel se cache Yannick Lucéa.
ORVILLE, par Orville
ORVILLE, par Orville
Nul n’est orphelin en art, chacun est issu d’une lignée. Orville s’inscrit dans la tradition des musiciens masqués : les Pénitents, Kiss, The Residents, Buckethead, Daft Punk, Fuzati, King-ju, Lordi, Slipknot… Mais au-delà ?
Un personnage tout d’abord. Réel et imaginaire, comme tous les personnages, qu’ils soient faits d’air, d’images ou de papier (Sherlock Holmes existe, dans nos mémoires, plus que bien des vivants). Les rêves sont. Ils existent bel et bien. Et parfois, ce que l’on nomme réalité n’est que songe et mensonge…
Un personnage, donc.
Persōna nom féminin (latin)
1. Masque de théâtre.
2. Rôle d’acteur, personnage d’une pièce.
3. Personne en tant qu’acteur de sa propre vie, jouant un rôle social et toujours, peu ou prou, en représentation.
Yannick Lucéa dit : Je suis Orville, non du verbe « être » mais du verbe « suivre ».
Qui incarne qui ?
Orville enlève sa cagoule de temps en temps pour jouer la comédie sociale.
Superman didn't become Superman. Superman was born Superman. When Superman wakes up in the morning, he's Superman. His alter ego is Clark Kent.
(Quentin Tarantino).
Masquer pour mieux se dévoiler, comme ces libertins se livrant aux choses les plus délicieuses et impudiques… un loup sur le visage.
Un masque c’est pratique pour être enfin soi-même. Se délivrer du carcan de sa gueule, du spectacle continu de sa propre déchéance. On pense à Louis Aragon, masqué de blanc ou de rouge, à la fin de sa vie.
Contre la tyrannie de la jeunesse et de la beauté.
D’ailleurs, un visage ne serait-il pas finalement un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme ?
(Shan Sa)
Et puis, il s’agit aussi de refuser les fameuses 15 minutes de célébrité warholiennes, fermer le Livreduvisage, ne plus penser à cette horrible mode des selfies, de la téléréalité, etc. Ne plus voir de visages, ne plus en montrer. Ne plus être vu. Fermer les écoutilles.
THIERRY GORON
THIERRY GORON
Après un bac scientifique, mordu par le virus de l’image, Thierry Goron tourne d’abord des émissions sportives pour France 2 et France 3. Il voyage ensuite partout dans le monde, et notamment en Afrique, où il réalise des documentaires animaliers et ethnographiques. Démarre alors sa période « clip » qui lui permet de satisfaire son goût de la musique et des expérimentations scéniques et visuelles (il est réalisateur et chef opérateur). Il a notamment travaillé pour Dominique A, Philippe Katerine, Bernard Lavilliers ou encore Etienne Daho.
Thierry Goron vit actuellement dans le Finistère nord.
UN ALTER EGO
UN ALTER EGO
Sept jours à Brest >>> Yannick Lucéa rêvait d’autres contrées, loin des guitares rock et des réflexes presque grégaires liés au genre. Il a donc fait naître Orville, personnage énigmatique, cagoulé, au costard impeccable, aussi titre de l’album. Pour ce projet, il a mis les moyens, sur le plan technique, en faisant appel aux musiciens de son choix, mais aussi sur le plan graphique (clip de Thierry Gordon, pochette de Richard Niessen). Le musicien, aussi directeur de l’école des Beaux-arts de Brest, a fait de ce personnage aux mots acérés, un totem. C’est un alter ego, une sorte de paravent sous lequel je m’abrite, explique-t-il. Je dis des choses trop intimes, trop crues pour les dire à visage découvert. Pour pouvoir être sincère, je dois mettre une cagoule, c’est paradoxal, mais c’est la vérité.
Le Télégramme >>> Orville : Au début, je ne voulais pas qu'on sache que c'était moi, parce que je pense que ma petite gueule n'était pas forcément intéressante. Et puis c'était une réaction aux selfies, à cette mode de s'afficher partout. Je voulais l'inverse. J'aimais bien cette idée d'un masque neutre, un écran impersonnel où tu peux projeter ce que tu veux. Et l'album a été fait en pensant à ce personnage. Orville m'a permis de faire ce que je n'aurais pas réussi tout seul...
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