Les écoutants

Les écoutants - Lorang, Beautru - Banner - hd

Au bout du fil

Prendre l’écoute, tel est le défi que relèvent quotidiennement les bénévoles de SOS Amitié. Une vie en péril au bout du fil, une voix étranglée d’angoisse qu’il s’agit d’apaiser par le seul recours de l’écoute et de la parole. L'engagement dont doit faire preuve l’écoutant nous happe d’emblée et le dépouillement du dispositif choisi par les réalisateurs Dorothée Lorang et David Beautru est tel qu’on est directement mis en empathie avec les protagonistes.
Les écoutants, film nécessaire et intensément humain, articule une succession de portraits en miroir, celui/celle qui appelle au secours, et celui/celle qui accueille cet appel. Une vague émotionnelle nous soulève à l’écoute de ces détresses et de ce qu’elles suscitent sourdement chez ceux qui écoutent.
L’association reçoit près de trois millions d’appels par an, mais ne peut en traiter qu’un sur cinq. À notre tour d’entrer en résonance avec Les écoutants.

FILM

LES ÉCOUTANTS

de Dorothée Lorang et David Beautru (2022 - 52')

La sonnerie du téléphone retentit jour et nuit, chaque jour de la semaine, sans interruption. Derrière l’augmentation constante des appels, les écoutants entrevoient le mal-être dont souffre une partie de la population française.
Comment répondre au flot débordant de toutes ces détresses ? Ces hommes et ces femmes bénévoles ont accepté de dévoiler leur quotidien particulier et leur engagement profond au service des autres. Une exploration intime dans le monde de l’écoute.

>>> un film produit par Aurélie ANGEBAULT, Vivement lundi !

〝 Pouvoir confier sa souffrance parce qu'elle n'est plus tolérable.〞

Dorothée Lorang et David Beautru
À PROPOS

L'urgence d'être entendu·e

Dorothée Lorang et David Beautru expliquent la genèse de leur film, leurs choix de réalisation et les enjeux de l’écoute.

Les écoutants - Lorang, Beautru - gabarit

Comment est née l'idée de réaliser un film sur SOS Amitié ?

La solitude, nous l'avons intimement éprouvée lorsque notre famille a dû affronter la maladie de Lyme, il y a quelques années. Nous avons raconté cette histoire dans notre documentaire Axel au pays des malades imaginaires. À la suite des diffusions, nous avons reçu de nombreux messages et appels de malades. Pendant plusieurs semaines, nous avons écouté ces voix inconnues. Pour améliorer notre capacité d'écoute, jusque-là intuitive, nous nous sommes rapprochés de l'association SOS Amitié, pionnière en la matière, et qui propose une écoute anonyme, non directive, non confessionnelle et apolitique, accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Nous sommes allés à la rencontre des bénévoles du bureau d'écoute nantais. Ils nous ont confié leurs motivations à répondre chaque jour à tant d'anonymes. Nous avons pu mesurer la singularité de leur pratique et l'ampleur de leur investissement. Au-delà des conseils que nous espérions trouver, nous avons commencé à imaginer un film. Un film dans lequel ces personnes s'employant à recréer du lien, à réparer la société à force d'un engagement sans pareil, seraient au centre.


Vous avez filmé les écoutants dans cette intimité des appels, comment ont-ils accueilli le projet ?

Les portes ne s'ouvrent que très rarement à SOS Amitié. Les écoutants ont pourtant conscience qu'il faut témoigner de la nécessité de l'écoute, des maux qu'ils entendent, des violences et des angoisses qui vont bien au-delà de la solitude et du mal-être. Un jour, une nuit d'ailleurs, il nous a été proposé de faire une permanence à leurs côtés. Nous avons entendu les récits se succéder. Des nuances multiples nous sont apparues. Ces mises à nu, ces quêtes de vérité, l'accueil sans jugement et l'altruisme puissant des écoutants nous ont profondément émus. Nous sommes revenus plusieurs fois écouter à leurs côtés, d'abord sans caméra. Nous avons échangé plus intimement sur cette mission d'écoute et ce qu'elle vient convoquer en chacun.

Comment s'est déroulé le tournage ?

Nous avons passé plusieurs mois aux côtés des bénévoles de SOS Amitié dans les bureaux d'écoute de différentes villes. Il a fallu du temps pour intégrer notre caméra dans l'espace exigu du bureau d'écoute, pour que les écoutants se détachent de notre présence pendant les appels. Nous voulions un film en immersion, sans voix off, dans lequel la narration se construit au fil des appels.  

Le film se déroule en huis clos, les appels se succèdent, pourquoi ces choix formels ? 

Lorsque nous avons commencé à écouter auprès des écoutants de SOS Amitié, nous avons pu mesurer l'ampleur du travail effectué par les 1800 bénévoles répartis sur tout le territoire. Ils accueillent au téléphone toute une palette de paroles, des petits soucis du quotidien jusqu'aux révélations de souffrances étouffantes. Les appels que nous avons choisis témoignent de cette urgence au bout du fil, du besoin d'être entendu, de pouvoir confier sa souffrance parce qu'elle n'est plus tolérable. C'est à l'intérieur du lieu d'écoute que nous pouvions capter les moments où l’engagement des écoutants est mis à l'épreuve, où leurs émotions sont chahutées. Nous avons fait le choix d'une réelle économie de lieu et de mise en scène, afin de proposer une expérience et de questionner les limites intimes de chacun dans l'écoute.

Quels ont été les enjeux au montage ?

Notre désir de filmer les écoutants a rencontré l'envie de certains de sortir exceptionnellement de l'anonymat pour raconter leur vocation singulière. Certains disent que l'écoute les aide à s'inscrire dans le monde d'aujourd'hui, à mieux saisir les relations et enjeux intergénérationnels et sociétaux. D'autres se nourrissent des moments d'humanité partagés pour donner du sens à leur vie. Nous avions à cœur de raconter l'engagement fort des écoutants par le prisme documentaire, tout en préservant l'anonymat et la confidentialité des personnes qui appellent. Nous avons choisi de faire réinterpréter les voix des appelants pour tenir la promesse faite par les écoutants, que la confiance qui les lie ne soit pas rompue. Nous nous sommes tenus avec rigueur à l'authenticité des propos, mais nous avons changé les détails, brouillé les pistes pour écarter l'éventualité d'y reconnaître son histoire. Nous avons attaché une grande importance à l'intensité des mots choisis, au non-verbal, à la profondeur du discours. Le jeu et le choix des voix ont été cruciaux pour conserver l'émotion brute, non feinte des directs, qu'elles contiennent le même registre émotionnel que la voix d'origine. Il était essentiel pour nous de pouvoir conserver la réalité de cette intimité timide et profonde à la fois, de celle qui peut naître entre deux inconnus, hors de la sphère privée, sans images respectives préconçues, dans le respect et la sincérité.

Le film aborde des problématiques larges, certains tabous de notre société, le suicide aussi...

La tonalité de la majorité des appels reçus est lourde. Nous n'imaginions pas entendre tant de souffrance liée au manque de communication sur la sexualité, les transidentités, le suicide, la dépression, les drogues, la violence en général qu'elle soit physique ou psychologique, intra ou extra-familiale. Les situations rapportées aux écoutants racontent la rudesse de certains parcours et plus largement le morcellement de la société sous le poids des inégalités, le délitement du tissu relationnel, la mise à mal des solidarités familiales, la défiance vis-à-vis des institutions. Le suicide est souvent évoqué par téléphone (1 appel sur 5), davantage encore par tchat où les plus jeunes viennent se confier. L'augmentation récente des pensées suicidaires chez les jeunes constitue d'ailleurs un point d'urgence dans les services de pédopsychiatrie des hôpitaux. Cette situation alarmante rend les plateformes d'écoute comme SOS Amitié indispensables. Les écoutants affirment que l'écoute soulage, qu'elle desserre l'angoisse et les tensions, participe au soin, aide à supporter l'invivable, et qu'elle peut même sauver des vies en prévenant le pire. Ils sont convaincus qu'en parler, c'est souvent éviter de passer à l'acte. Nous avons voulu prêter l'oreille à cette qualité d'attention à l'autre, à ce qu'elle produit comme empathie et retour au calme. Le film témoigne de cet accueil sans jugement face aux pensées et à l'acte suicidaire. Malgré la volonté des écoutants de raccrocher l'appelant à l'envie de vivre, le droit de mettre fin à sa vie est une position qui fait la singularité de l'association.

Trois millions d'appels par an, comment expliquer qu'il y ait un tel besoin ?

Tout en respectant l'anonymat de ceux qui appellent, exigence incontournable du service, les écoutants de SOS Amitié sont amenés à noter certaines informations indispensables au suivi statistique de l'activité de l'association : durée de l'appel, sexe et âge estimé de l'appelant, thème de l'appel, etc. L'association peut alors faire état de la souffrance des appelants, dont presque la moitié appelle à cause de troubles psychiques (angoisse, dépression, troubles mentaux...). Cela permet aussi à l'association de communiquer sur le fait qu'un français sur dix n'a personne à qui parler. La crise sanitaire a encore ébranlé les relations sociales. Les jeunes, et plus particulièrement les étudiants, ont fait part à SOS Amitié de leurs difficultés de vie, du manque de projection dans l'avenir ; les plus âgés, dont certains étaient déjà fortement isolés, ont souffert de l'éloignement familial, des liens sociaux et amicaux gelés ; les actifs ont dû s'adapter entre précarité et télétravail. Entre 2020 et 2022, l'association a reçu 30% d'appels supplémentaires et la durée des échanges s'allongeait sensiblement. Résultat, ils ne prennent qu'un appel sur cinq, contre un sur trois deux ans auparavant. C'est cette urgence de prendre en charge une détresse en flot continu dont le film se fait témoin. Nous avons souhaité montrer combien le travail des bénévoles fait fonction d'asile.

BIOGRAPHIES

Dorothée Lorang

Lorang - portrait - Gabarit
Dorothée Lorang est réalisatrice, diplômée de l’École nationale des beaux-arts de Nantes. Ses recherches cinématographiques portent sur la relation à l’autre, l’enfermement, le rapport interne et externe des choses, la relation entre le réel et la fiction.
Pendant son cursus aux beaux-arts, elle participe au projet de résidence Hashiru Kanazawa au Japon. Elle expose alors dans différents lieux culturels français et japonais. De cette expérience naît City Lights, un film expérimental, sorti en 2010 et réalisé avec David Beautru, sur la jeune génération au Japon. S’ensuit du même duo Hikikomori, en 2013, un documentaire sur la resocialisation de cette génération perdue japonaise. Axel au pays des malades imaginaires, sorti en 2020, raconte leur traversée de la maladie de Lyme dont leur fils est atteint. En 2022 sort Les Écoutants sur les bénévoles de SOS Amitié.

David Beautru

Beautru - portrait - Gabarit
David Beautru est réalisateur, diplômé des beaux-arts de Nantes et d’un BTS communication visuelle.
Il travaille comme réalisateur et monteur pour des installations d’art contemporain et des spectacles vivants. Il collabore également avec la réalisatrice Dorothée Lorang sur des documentaires, des courts métrages et des vidéo-live. Ils coréalisent notamment City Lights, un film expérimental, sorti en 2010, sur la jeune génération au Japon. S’ensuit du même duo Hikikomori, en 2013, un documentaire sur la resocialisation de cette génération perdue japonaise. Axel au pays des malades imaginaires, sorti en 2020, raconte leur traversée de la maladie de Lyme dont leur fils est atteint. En 2022 sort Les Écoutants sur les bénévoles de SOS Amitié.
REVUE DES MÉDIAS

Quelle prise en charge pour la souffrance ?

FRANCE CULTURE 🎧 (2024-12') >>> Au téléphone avec SOS Amitié en 1962. Alors que l'association existe depuis deux ans, ses membres se confient sur leur mission au téléphone, à l'écoute de personnes souffrant de solitude.
CRÉATION COLLECTIVE 🎧 (2024) >>> Quatre épisodes pour découvrir le travail invisible et nécessaire de celles qui reçoivent les appels des victimes de violences sexuelles
PUF 📝 (2021-462 p.) >>> De si violentes fatigues : Les devenirs politiques de l'épuisement quotidien de Romain Huët

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    réalisation, image Dorothée Lorang, David Beautru
    montage Denis Le Paven
    mixage Tudi Le Nedic

    étalonnage Didier Gohel
    musique Gaël Desbois
    illustration Jean Julien

    production Aurélie Angebault, Vivement lundi !
    coproduction  France 3 Pays de la Loire
    avec la participation de TVR, Tébéo, Tébésud
    avec le soutien du CNC, de la Région Bretagne, de la Région Pays de la Loire et de la Procirep-Angoa

    Artistes cités sur cette page

    David Beautru

    David Beautru

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    Dorothée Lorang

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