Inconsolables
Dodo l’enfant do, L’enfant dormira bien vite, Dodo l’enfant do, L’enfant dormira bientôt.
Tout parent garde le souvenir de cette berceuse dont le propos est assez explicite : Il est temps que tu t’endormes mon bébé, que je puisse retourner à ma vie d’adulte.
Le nourrisson ne voit pas forcément les choses ainsi. Il se peut même qu’il ait l’intuition qu’on veuille se débarrasser de lui. La mère est sa cible privilégiée, elle qui l’a déjà expulsé de sa grotte originelle tout confort.
Avec L’enfant do, Sonia Larue nous fait entrer dans ce qui peut devenir un enfer, quand le bébé inconsolable épuise sa génitrice au point qu’elle puisse regretter de l’avoir mis au monde. Elle explore avec finesse ce qui se joue pour la maman, si bien incarnée par Julie Henry : l’étiolement de sa féminité, le réveil d'angoisses existentielles... Une histoire qui forcément nous parle et nous ébranle.
L'ENFANT DO
L'ENFANT DO
de Sonia Larue (2009 - 21')
Claire, une jeune mère célibataire, vit avec désarroi le tête-à-tête avec son bébé. Malgré la présence de son amie Juliette, elle sombre peu à peu dans l’isolement
>>> un film produit par Olivier Bourbeillon, Paris-Brest
On ne naît pas mère, on le devient
On ne naît pas mère, on le devient
par Sonia Larue
Le rapport à la maternité comme matière première d’un film, j’y pensais depuis longtemps. Et ce désir de film s’est inscrit dans la continuité d’un travail qui tourne largement autour du lien familial et sur son rôle essentiel dans la construction de chacun d’entre nous. Parallèlement à mon intérêt pour la question maternelle, le traitement médiatique de l’infanticide, notamment lorsqu’il est commis par la mère, m’a durablement questionnée. C’est l’image de ces femmes, surtout, qui m’a marquée : des femmes-monstres aux visages parfaitement communs. Notre voisine, notre amie, notre sœur. Des femmes dont l’entourage s’accorde presque toujours à dire que rien ne laissait présager un tel drame.
Qu’est-ce qui se joue entre une mère et son nourrisson, derrière les murs des chambres ? Et si nous étions toutes des mères potentiellement infanticides ? Ce sentiment est né au cours d’échanges avec des amies, des années après que nos bébés aient grandi, quand nous avons réalisé, toutes étonnées, que nous étions devenues de vraies mères, puisque nous ne nous posions plus la question. Alors la parole s’est déliée, alors nous pouvions évoquer comme un souvenir peu reluisant mais tenu à distance, la difficulté des nuits en tête-à-tête avec les cris, ces corps à corps avec un morceau de soi devenu autre à part entière. Et la honte d’être si peu endurantes.
Le personnage de Claire est aux antipodes des mères infanticides mythiques. Claire, c’est l’anti-Médée. Une jeune femme discrète, normalement déséquilibrée, la petite fêlure propre à chacun, dans laquelle s’engouffre son mal de mère, qui bientôt la fait tanguer. C’est quoi, être mère ? Claire ne se satisfait d’aucune des réponses qui lui sont faites. Pédiatre, amie, géniteur absent, mère en rupture, personne ne parvient à combler le manque. À quoi bon être mère si ce n’est pas pour être une bonne mère ? Claire ne sait pas encore que l’on ne naît pas mère. On le devient.
Je désirais avant tout m’attacher à peindre des impressions, qui sont autant de questions : l’impuissance de Claire face aux pleurs de son bébé. Sa volonté, malgré tout. Sa culpabilité, forcément. Finalement, son débordement. Sentir les peaux, les filmer de près, parce que la maternité est faite de chair et de lait. Épouser le regard que Claire porte sur les choses, en laissant les autres personnages à sa périphérie. Même Juliette, la presque amie, évolue dans une autre dimension, qui la rend aveugle à ce qui crève les yeux. Une Claire bien vivante, toujours en mouvement, à l’image de ses marches forcées en guise de berceuse.
Par des focales plutôt longues, sentir plus que voir la présence de la ville, Lorient et sa lumière blanche, les lignes de fuite de son architecture d’après-guerre, les grandes artères peuplées de voitures fuyantes, le grand immeuble qui surplombe l’entrelacs des rues, comme une vaste fourmilière. Dans cette fourmilière, un cocon en plein ciel, le petit appartement de Claire, ouvert sur la ville. Et sur le pont entre deux rives.
Adossés à la ville, la nature et ses éléments ponctuent le récit de ce qui ne se raconte pas en mots : l’inquiétante pleine lune, les aubes salvatrices, les forêts labyrinthiques, les roses blanches et noires, comme autant de signes de notre part d’ombre et de lumière. Et l’eau qui coule sous les ponts. Autant de signes posés çà et là qui racontent notre rapport au monde par-delà notre raison sociale.
Sonia Larue
Sonia Larue
Sonia Larue est née et a grandi à Saint-Denis. Elle quitte Paris pour la Bretagne en 2004, après avoir passé plusieurs années à assister des réalisateurs tels que Tony Gatlif (Transylvania), Pierre Jolivet ou Diane Bertrand. Elle commence à écrire ses propres films, ancrés dans ce nouvel environnement. Ainsi sont nées plusieurs fictions (Rosalie s’en va, 2007 ; L’enfant Do, 2010 ; Du grain à moudre, 2014), un film expérimental (Lettres Rebelles) et un documentaire (Travailleuses, travailleuses ! - 2018). Elle a également travaillé aux castings de longs métrages tournés en Bretagne et à de multiples collaborations dans l’écriture de scénarios, la photographie et le théâtre.
Retrouvez la fiche artiste ici.
Là où la logique ne règne pas
Là où la logique ne règne pas
FRANCE INTER >>> Une naissance est généralement considérée comme un heureux événement, mais l’arrivée d’un bébé peut provoquer chez la mère une déprime passagère.
L’HUMANITÉ >>> Le Dr Jean-Marie Delassus analyse en tant que psychanalyste, philosophe et fondateur de la maternologie, les difficultés de la maternité : déni de grossesse, dénégation, infanticide...
COMMENTAIRES