Corps et espaces sensibles
La pièce de Thierry Micouin et Pauline Boyer invite à une méditation sur Nature et Culture ; comment l’une peut innerver l’autre, comment l’Homme n’est somme toute qu’un transformateur de ce qu’il voit et prélève dans la nature, via la technique.
Faille reprend les choses depuis le début : écouter et regarder la nature, la décrypter puis en restituer un langage. Humain, forcément humain. Durant un an, KuB a suivi le processus de création chorégraphique : captation de sons de la nature qui virent en pièce musicale, réinterprétation d’algorithmes issus des morphologies de la faune et de la flore... toutes choses qui permettent d'avancer que Faille a été co-construit avec Dame Nature, pour y être ensuite interprété devant des spectateurs assis dans le sable, dans l'humus, ou encore sur des aiguilles de pin.
Vous pouvez suivre le processus de création de cette pièce à travers deux sujets, l'un sur le processus à proprement parler, l'autre sur le terreau de départ, cette notion d'Espace naturel sensible.
une page KuB en coédition avec Golfe du Morbihan Vannes agglomération
FAILLE, PROCESSUS DE CRÉATION
FAILLE, PROCESSUS DE CRÉATION
de Hervé Portanguen (2019 - 13’)
Une expérience visuelle à partir de certains tableaux du peintre Tal Coat, ainsi qu'une expérience sonore à travers la mise en place d'un processus progressif de captation de multiples lieux, espaces naturels sensibles du Morbihan.
Le bruit du silence
Le bruit du silence
par Thierry Micouin et Pauline Boyer
À l’évocation du site de Kerguéhennec comme lieu de résidence du projet Corps et espaces sensibles, c’est en premier lieu la collection des œuvres du peintre Tal Coat qui a résonné. Tal Coat est le peintre des éléments, qu’il restitue dans ses peintures, ses aquarelles et ses dessins. Chez lui toute chose peut être destinée à l’oubli, au silence.
Mais au milieu du silence, il y a du bruit. De la tectonique des plaques au rayonnement cosmique, notre univers continue de bruisser de ses activités quand l'anthropocène a intensifié ses vocalisations. La première manifestation du vivant est sonore et notre perception s'ajuste à l'intensité de nos milieux. Lorsque John Cage invite les sons du quotidien à pénétrer l'auditorium, il nous engage à considérer la valeur silence corrélativement à son contexte et ainsi, à reconfigurer notre approche du musical en nous impliquant dans la matière brute de nos milieux.
Nous souhaitons proposer au public une expérience immersive au contact des environnements naturels. Expérience à la fois visuelle à travers l’évocation chorégraphique de certains tableaux de Tal Coat, mais également sonore à travers la mise en place d’un processus de captation progressif des multiples états de lieux.
La recherche chorégraphique sera menée en résonance avec certains tableaux de Tal Coat où, par la confrontation d’aplats colorés, la forme surgit de la matière.
Chez ce peintre-dessinateur, il s’agit de faire naître la forme contenue, de la laisser apparaître de se laisser porter dans les trajectoires de ses figures mobiles et nous conduire plutôt que de la mettre à jour. Rendre visible un invisible là.
La série des passants et celle des profils sous l'eau seront des sources d'inspiration pour la matière chorégraphique. Dans la série des passants, le mouvement de l'homme qui marche et l'ouverture de l'espace semblent constituer un seul et même évènement. L'évènement d'une traversée. L'homme ouvre l'espace dans lequel il marche et par lequel il est traversé.
Dans celle des profils sous l'eau apparait une étroite interpénétration entre le corps, la matérialité mouvante de l'eau fouettant le corps et la résonance de la cavité rocheuse d'où sort la cascade. Par incorporation du paysage, la figure s'ouvre largement à l'espace dans lequel elle s'inscrit et par lequel elle est, elle aussi, traversée.
Nous proposons de composer une mémoire acoustique des événements, des situations, des rencontres avec un environnement singulier. Cette accumulation de mémoires instantanées formera un tissu complexe, un palimpseste d’empreintes sonores croisant les différentes aspérités des terrains arpentés, et pourra révéler l’hétérogénéité des vivants à l’œuvre sur ce territoire.
C’est par le geste dansé que pourront s’élaborer les modes de circulations acoustiques dans cet atlas. En mettant peu à peu au jour les sources sonores, en les installant sur leur surface d’action, en les croisant comme en les dispersant, les deux protagonistes vont révéler les contours de cette mémoire et, fragment par fragment, en faire émerger les différents récits. Superposées avec les événements sonores naturellement émis sur le temps de la performance, ces traversées composeront cet hybride au croisement de l’actuel et du passé, une navigation hic et nunc et a posteriori dans les possibilités d’émergence des paysages sonores du lieu.
Envisager le mouvement de nos environnements, c'est également s'attacher à ce qui s'y déplace, à ceux qui l'habitent. Les vibrations émises par ces trajectoires du vivant forment la densité de nos environnements sonores. Stridulations, claquements ou sifflements, ces bruits, généralement considérés comme résidus de ce qui anime un lieu, peuvent au contraire nous révéler la richesse et l'hétérogénéité de nos environnements et participer de nos relations avec ce qui agit et nous entoure.
Du ténu au tonitruant, c'est tout le corps qui vibre au rythme de ces modulations, s'investit dans une situation d'écoute et s’inscrit dans la dynamique mobile de lieux en mutation. Cette immersion construit notre perception et notre implication dans un milieu pour en dessiner les possibles paysages sonores.
Se laisser traverser par le son
Se laisser traverser par le son
Je serais plutôt fait par la ligne que moi je ne fais la ligne. Pierre Tal Coat
Durant un premier temps, la résidence a été consacrée à l’enregistrement de sons dans différents espaces sensibles. Durant la performance cette collection sonore retravaillée en partition électro-acoustique est diffusée sur plusieurs enceintes autonomes amplifiées placées et déplacées par les deux danseurs. Cet espace sonore mouvant se superpose aux événements sonores en direct. L'enjeu est de se laisser traverser par la matière sonore. Comme chez Tal Coat, cette volonté de ne pas agir mais de se laisser agir, est le matériau de départ du geste chorégraphique qui suggère dynamique, forme, contour, taille, espace.
Au fur et à mesure des temps de résidence et des prospections, les expériences de terrain rencontrées ont été mises en récit sur une page internet dédiée qui réunit une collection de captations sonores réalisées in situ et donne la possibilité de naviguer dans la multitude des configurations. À travers un assemblage de fragments sonores saisis dans l’instant, il s’agit de proposer :
- une documentation sur l’existant et le quotidien de ces environnements
- un partage du processus créatif en place et de la démarche engagée
- un répertoire du matériel sonore à partir duquel est élaborée la composition musicale de la performance
- un espace de circulation dans ces territoires à l’échelle du numérique, en préalable ou en prolongement du moment de la performance chorégraphique.
Envisagée comme chambre d’écho aux explorations dans les espaces naturels sensibles du Morbihan, cette page numérique permet de suivre les méandres des configurations de terrain et d’en envisager les possibles modalités d’expression.
Amener la culture dans les espaces naturels
Amener la culture dans les espaces naturels
À l’origine de Faille, un appel à projet du Département du Morbihan qui vise à susciter une offre culturelle dans des espaces naturels, des créations inspirées, connectées dans leur essence-même à la nature. Christine Bonfiglio et Marie Caër s’en expliquent.
T.M. Project
T.M. Project
Créée en 2008, T.M. Project développe des projets chorégraphiques dans lesquels la notion d’installation tient une place centrale. La vidéo, la projection, le paysage sonore sont les matières de recherche du danseur et chorégraphe Thierry Micouin. Depuis 2013 la plasticienne sonore Pauline Boyer est associée à T.M. Project. La compagnie affirme aussi la volonté de transformer l'expérience artistique et humaine, reliant danse et recherche sur l’image, avec des projets de sensibilisation et de transmission auprès des différents publics.
Thierry Micouin s'est formé au théâtre puis à la danse après avoir obtenu une thèse de docteur en médecine. Interprète pour Philippe Minyana, Mié Coquempot, Valérie Onnis, collaborateur de Catherine Diverrès en tant qu’interprète et vidéaste.
La spécificité de son travail repose non seulement sur la technique mais aussi sur la perception de l’espace, la matérialisation du temps et l’exploration profonde de la mémoire et de l’imaginaire.
En 2006, il créé et interprète un premier solo, W.H.O. Mêlant danse, vidéo et restitution de récits de vie, il y aborde la question de l’identité sexuelle et de la réalité d’un monde contemporain traversé par la violence des stéréotypes de genre. En 2009, lauréat du programme Culturesfrance (Villa Médicis), il choisit New York comme ville de résidence pour créer un projet autour de la prostitution masculine mêlant installation vidéo et performance: Men at work, go slow ! Cette création s’inscrit dans le prolongement de ses recherches initiées avec W.H.O. tout en évoquant l’exposition stéréotypée de ces corps-clichés et les liens existant entre l’escorting et la performance.
La même année, sa rencontre avec Boris Charmatz marque un nouveau jalon dans son parcours artistique. Il conçoit Le Petit musée de la danse, et est interprète dans deux de ses pièces : Levée des conflits et Enfant. En 2012, il est interprète dans Tragédie, pièce pour 18 danseurs d'Olivier Dubois qu'il rejoindra à nouveau en 2016 dans Auguri, pièce pour 22 danseurs.
En 2014, il créé Double Jack, en collaboration avec la plasticienne Pauline Boyer. Ce projet aborde le thème de la masculinité. Il est conçu pour deux interprètes et une installation interactive de cinq guitares électriques. La pièce Synapse pour trois danseurs et une installation visuelle et sonore d’arcs électriques est également réalisée avec elle.
Thierry Micouin a été artiste compagnon au Manège, scène nationale de Reims (saisons 2016-2018) où il crée Backline. Depuis 2018, il est artiste en résidence au Conservatoire Edgar Varèse de Gennevilliers.
En 2019, il crée Eighteen un duo avec sa fille Ilana âgée de 19 ans.
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