Le compte à rebours
La clôture, c’est à la fois ce qui enclôt et ce qui clôt. Réclusion et terminaison. Des vaches et des hommes. Clôture s’attache à regarder dans les yeux des vaches qui passent avec appréhension des seuils… et trépassent. Mais au-delà de l’implacable mécanique de la filière bovine, le film saisit les derniers sursauts d’un temps révolu, celui de la paysannerie, des étables en granit où cohabitent quelques bêtes, des chemins creux, des troupeaux gardés par les grands-mères et les écoliers.
Le film est construit comme un compte à rebours, il procède par boucles temporelles, d’un inéluctable rituel qui commence par la marche arrière du camion à bestiaux dans la cour de la ferme, l’ouverture des portes, l’arrivée de la bête, et pour finir, la lame du boucher qui dépèce sa carcasse. Cycle des vacances scolaires pour l’enfant, cycle de l’abattage pour chacune des vaches du troupeau. L’étable finit de se vider, et la maison avec, malgré la réticence des vaches, de la vieille et de l’enfant.
CLÔTURE
CLÔTURE
de Mickaël Ragot (2007 - 12')
Une cour de ferme. Un enfant s'amuse à courir après les poules pendant qu'une vieille femme gueule après ses vaches. Plus tard, ce sera moi qui m'occuperai des vaches, affirme l'enfant. Les années passent, rythmées par le passage du maquignon attendu par la vieille, toujours plus vieille, et le petit, qui va grandir.
>>> un film produit par Les Films Sauvages, Jean-Christophe Soulageon
PALMARÈS
International
13e Barcelona International Television Festival (2009)
36e Festival des Nations de Ebensee en Autriche (2008)
3e Festival Romand Visages (Suisse)
1er Festival Slowfood (Bologne, Italie)
Prix
Prix spécial du 15e Festival Européen cinéma et monde rural de Lama (Corse - 2008)
Autres sélections
26e Festival International du Film d’Environnement de Paris
8e Festival des Conviviales de Nannay (Nièvre)
1er Festival du film court Partie(s) de Campagne, d’Ouroux en Morvan (Nièvre)
31e Festival de Cinéma de Douarnenez
12e Édition du Festival de Court Métrage de Sainte-Marie (Ile de la Réunion)
25e Festival du premier film d’Annonay (Nouvelles Images)
24e Rencontres Cinéma de Gindou (2008) (Lot)
Festival Travelling de Rennes (Programme Estran) (2007)
Marché du film du 30e Festival international du Court métrage de Clermont-Ferrand (Projection Estran)
22e Festival Européen du Film Court de Brest
IDÉAUX ET RÊVES D'ENFANT
IDÉAUX ET RÊVES D'ENFANT
par Mickaël Ragot
Que deviennent nos rêves d’enfants ? Quel regard, une fois adulte, porte-t-on sur les espoirs qu’ils transportaient ? Rétrospectivement, comment juge-t-on les réalités qui peuvent alors nous avoir détournés de ces rêves, peuvent-ils encore avoir un sens et une influence, sur notre vie quotidienne ?
Nous avons tous dans nos souvenirs d’enfance, de grands évènements ou de petites anecdotes, qui restent ancrées à jamais dans notre mémoire. La réminiscence de ce type de souvenirs, (ici, ceux d’un élevage de vaches fascinant pour le héros du film) nous interroge sur leur vivacité, leur persistance, le sens de leur présence dans nos consciences. Probablement parce que la perception de la réalité n’est pas la même pour un enfant que pour un adulte, et que seule l’enfance permet des rêves que nous ne nous autorisons plus, une fois devenus adultes.
J’aime me dire que quelquefois nous retrouvons dans nos pensées la vision du monde que nous avions enfants. La puissance de ce transfert mental et virtuel me replonge alors dans mes espoirs d’enfant, dans la naïveté et la pureté d’envies innocentes mais tenaces et brillantes. Ces désirs, réveillés à l’âge adulte, nous redonnent alors le désir de grandir, d’avancer, de découvrir... de vivre.
C’est ce désir, éveillé par la mémoire d’un homme qui ressasse ses souvenirs et rêves d’enfance, dont Clôture fait un enjeu.
Au départ du projet, le souvenir de ma grand-mère. Elle était paysanne et avait quelques vaches qui lui causaient bien du souci. Ma grand-mère a vieilli, ses vaches sont parties les unes après les autres, les soucis aussi... Alors sa vie s’est retrouvée bien vide... Et elle s’en est allée à son tour. Cette histoire peut paraître triste, mais est-ce si triste de se consacrer à un travail qui vous accapare tant, qu’il en devienne raison de vivre ?
J’aime l’idée de confronter le spectateur aux contradictions que l’on trouve en chacun de nous et dans les situations de la vie apparemment les plus simples. La vieille, qui a pourtant trouvé un équilibre de vie, ne semble pourtant guère épanouie. Le petit qui prend conscience des difficultés d’être paysan ne rêve lui que de le devenir. Plus encore, la vieille qui gueule tout le temps, rassure le petit. Elle crie sur ses vaches, mais dans ses gestes, on la verra faire preuve d’une grande attention envers elles. Le maquignon, toujours plein de bonne humeur, fera peur au petit. Il sera, pour lui, le symbole de la vie qui s’en va et en même temps le seul représentant d’une vie sociale pour la vieille.
Le petit, mon anti-héros, comme beaucoup de jeunes ruraux aujourd’hui, travaille dans l’agro-alimentaire : un abattoir, loin de ses aspirations d’enfance. Son travail répétitif lui permet de voyager dans ses souvenirs, nous le cueillons à ce moment-là… Il pense à cette vieille femme qui l’a tellement influencé par le passé, et qui aujourd’hui porte des valeurs qui l’interrogent d’autant plus qu’il n’en assure plus la pérennité… Nostalgie, regret, simple pensée qui s’échappe un instant volé au temps… ? Que provoque ce souvenir ?
La construction du film paraît d’abord chronologique : on suit l’histoire du troupeau. Le petit et la vieille prennent soin des vaches (première séquence). Le maquignon vient chercher une des bêtes pour les mener à l’abattoir (2ème séquence) où on la découpe (3ème séquence). Et cette construction se répète alors d’époque en époque, jusqu'à ce que la dernière vache parte. Pourtant le spectateur va se rendre compte que sa vision du temps dans le récit n’est pas la bonne… C’est la découverte du visage du boucher qui va éclairer le film sous un nouvel angle. En effet, ses mains qui ponctuent tout le récit, sont depuis le début, celles du petit devenu boucher, et situent là le vrai présent réel du film, nous faisant comprendre que le statut des images de la vieille et du maquignon, sont les siennes, et vues à travers le prisme de sa mémoire, qu’ils soient des flash-back réalistes, ou qu’il s’agisse de souvenirs fantasmés… Et que tout le film est en réalité une évocation du passé de cet homme, dont le destin n’est pas celui dont il rêvait.
Pratiquement, la durée, valeur et mouvement des plans serviront à trancher entre la réalité et le rêve. Les séquences de la vieille et du petit seront un mélange de visions subjectives du petit et des mouvements lents et amples de la caméra. Les séquences avec la bétaillère seront, elles, en plans fixes, très découpées, symboles d’une systématisation de l’action. Enfin les séquences d’abattoir seront des plans serrés, fixes et sans son. Exceptées la première séquence d’abattage, qui sera en mouvement avec le son de la radio très présent, et la dernière séquence où nous découvrirons le boucher en travelling arrière avec la réapparition progressive du son. J’ajoute que dans ce découpage, les vaches seront présentées comme des personnages à part entière du récit. Ce sont bien ces bêtes qui font le lien entre les personnages.
La musique très présente servira de contrepoint à l’action, lorsqu’à la fin on comprend à priori le renoncement du Petit devenu grand, elle devient gaie. Ainsi, au final, elle contrebalance l’aspect sordide du fait qu’il soit devenu boucher. Car c’est au moment où on découvrira que c’est à travers sa conscience, que nous avons revécu avec lui ses rêves d’enfance, que la musique s’emballera sous forme d’envolée festive.
Il ne s’agit pas de vouloir manipuler le spectateur : dès le début le film se place dans la boucherie, dont la texture et la lumière des images seront légèrement différentes de celles des autres séquences. Ce qui m’importe est certes de jouer sur l’ambiguïté du temps qui est montré à l’image, mais avant tout de ramener chacun à la vision de son propre passé, dans la révélation finale. Le personnage finit par quitter son poste de travail, mais sans heurts, il pose sa blouse, et on le suit partir sur une musique de plus en plus entraînante : est-ce que ses souvenirs l’ont décidé à se rebeller et à quitter définitivement son travail, est-ce qu’il craque, est-ce qu’il sort faire juste faire une pause… ? Est-ce qu’il vit cela comme un échec, l’assume-t-il… ? À chacun d’interpréter ce que son départ signifie, je veux laisser la fin ouverte. C’est ici que le spectateur peut refaire le chemin du film et si possible s’interroger sur son propre parcours.
Ce qui m’importe au-delà du destin du héros et de son devenir, est bien de provoquer une réflexion chez le spectateur : le petit devenu boucher , réagira finalement de façon plutôt énigmatique au souvenir de ses ambitions d’enfance, mais vous, aujourd’hui, où en êtes-vous de vos rêves d’enfants, de vos idéaux… ?
Joséphine superstar !
Joséphine superstar !
par Sylvain Le Cann
Où l’on découvre la personnalité truculente de Joséphine, la grand-mère bretonnante de Clôture, le film de Michaël Ragot. La ferme avait été repérée par le régisseur du film, les vaches étaient là, la fermière aussi. Pourquoi aller chercher plus loin ? À 83 ans, Joséphine apprend les ficelles du métier d’actrice tout en mettant sa connaissance de la psychologie bovine au service du tournage. Sur les planches, les vaches, le making-of de Sylvain Le Cann est un beau témoignage de ce qu’était la vie paysanne, aujourd’hui quasi-disparue. En 2017, Joséphine a 92 ans, et elle continue à vendre son beurre à Saint Renan et à s'occuper de ses animaux (pas les vaches et les veaux mais tous les autres !). Mikaël Ragot et Sylvain Le Cann continuent à passer la voir de temps en temps. C'est vraiment elle qui m'a donné envie de faire le making-of, d'emblée j'ai vu qu'elle s'intéressait à tout le monde. Elle qui n'a quasiment jamais voyagé à plus de 20 km de sa ferme, allait voir l'équipe technique, accueillait tout le monde, n'était jamais dérangée par le dérangement (et il y en a eu !). Elle aimait discuter notamment avec le responsable de la déco, iranien, qui a transformé sa ferme, ce qu'elle trouvait très drôle. Sacrée leçon de vie...
Joséphine est décédée le 14 mai 2022 à l'âge de 98 ans.
MICKAËL RAGOT
MICKAËL RAGOT
Clôture est le premier film de Mickaël Ragot, monteur de formation et de métier. Il est le lauréat 2006 du concours ESTRAN organisé par l’association Côte-Ouest / Festival du court métrage de Brest
LA FIN D'UNE ÉPOQUE
LA FIN D'UNE ÉPOQUE
Le Télégramme >>> J'ai vu des gens pleurer dans les salles, car ils revivaient un épisode douloureux de leur vie, raconte le réalisateur. Certains spectateurs avaient encore en mémoire le drame de la vache folle. C'était très éprouvant.
Le Télégramme >>> Cinq scénarii ont été sélectionnés pour le concours estran 2007 de l'association brestoise Côte Ouest. Parmi eux, celui de Mickaël Ragot, de Ploudiry. Le jeune cinéaste cherche une fermière bretonnante, entre 60 et 75 ans, des enfants et une petite exploitation des années soixante-dix pour son film.
Le Vendelais >>> Le réalisateur Mickaël Ragot nous présente son film Clôture
5 novembre 2022 17:21 - FRIANT Marie-Noëlle
Beau !
14 octobre 2022 10:18 - Anne Boissel
Beau !
12 décembre 2017 10:45 - DIDIER M
Clôture
J'ai bien aimé, l'ambiance, le réalisme et la vérité, la temporalité...