Interdit aux chiens et aux Italiens
15/12/2025
Alors que sort en salle le film d'Alain Ughetto, Interdit aux chiens et aux Italiens, KuB vous donne la possibilité d'enrichir la découverte de cette œuvre au cinéma en regardant le premier long métrage du réalisateur : Jasmine.
Avec ce documentaire, nous voilà embarqués aux côtés des artisans du stop motion (marionnettes animées) dans la fabrique de ce film, entre Rennes, Valence (dans la Drôme) et Marseille. Alain Ughetto et le producteur Alexandre Cornu reviennent sur la genèse du film et l'on voit Ariane Ascaride et Gérard Meylan, deux fidèles de la filmographie de Guédiguian, enregistrer les voix des personnages.
Dans Interdit aux chiens et aux Italiens, il est question de l'intégration des migrants en France, celle des grands-parents du réalisateur, qui ont franchi les Alpes pour refaire leur vie en travaillant sur les innombrables chantiers de modernisation de notre beau pays. Une histoire qui n'est pas sans entrer en résonance avec celle des migrants d'aujourd'hui, qui franchissent mers et montagnes pour les mêmes raisons.
Récompenses :
Prix du meilleur film d'animation aux Prix du cinéma européen (2022)
Prix du jury au Festival international du film d'animation d'Annecy (2022)
INTERDIT AUX CHIENS ET AUX ITALIENS
INTERDIT AUX CHIENS ET AUX ITALIENS
de Alain Ughetto (2022 - 20')
Début du XXe siècle, à Ughettera dans le nord de l’Italie, berceau de la famille Ughetto. La vie dans cette région étant devenue très difficile, les Ughetto rêvent de tout recommencer à l’étranger. Selon la légende, Luigi Ughetto traverse les Alpes et entame une nouvelle vie en France, changeant le destin de sa famille tant aimée. Son petit-fils retrace leur histoire et nous livre les secrets du tournage.
>>> un film coproduit par Alexandre Cornu des Films du tambour de soie, Jean-François Le Corre de Vivement Lundi !, Ilan Urroz de Foliascope, Manuel Poutte Lux Fugit Films, Enrica Capra de Graffiti Films, Luis Correia d'Ocidental filmes et Nicolas Burlet de Nadasdy Film
Remonter le cours du temps
Remonter le cours du temps
par Alain Ughetto
Mon enquête a commencé il y a neuf ans, quand je me suis rendu à Ughettera, le village familial dont mon père m’avait tant parlé. Dans ce territoire de montagne, le Val Chisone, austère, rude ; terre de châtaigniers majestueux, d'énormes rochers, de cours d'eau généreux. Mais aussi, je l'apprendrai plus tard, territoire pauvre, misérable même, de paysans autrefois affamés, de charbonniers. Et surtout terre qui a subi une véritable hémorragie d'émigration au siècle dernier. Dans le cimetière, je n’ai trouvé ni la tombe de mon grand-père Luigi, ni celle de ma grand-mère Cesira. Que s’est-il passé ?
Les témoins des années 1870 ont disparu, les toits des maisons se sont effondrés sur leur passé de paysans ; les arbres ont repoussé sur leur vie de charbonniers ; d’eux, il ne reste plus rien. Le cadeau de ce film a été la découverte du livre de Nuto Revelli, Le Monde des vaincus. Cet écrivain et partisan italien a enregistré les témoignages de paysans et de paysannes du même âge que mes grands-parents et qui vivaient dans le même endroit du Piémont. Des témoignages poignants sur la faim, la misère, les guerres…
Ce qui m’intéressait, c’était de remonter le cours du temps pour lier mémoire intime et évocation historique. J’ai fouillé dans ma mémoire, puis dans celle de mes cousins, de mes cousines, de mes frères et sœur. Entre guerre et migration, entre naissances et décès, un récit s’est tracé. Au-delà du chagrin que procure l’histoire personnelle, j’ai découvert un parcours étonnant. Luigi, mon grand-père, j’aurais aimé le connaître, mais je ne l’ai pas connu. Mais ma grand-mère Cesira, elle, je l’ai connue… J’avais douze ans quand elle est morte, je l’appelais mémé. Pour moi, mémé était née comme ça, à côté de la gazinière, vêtue de noir, les mains dans la polenta. Elle voulait être plus française que les Françaises, aussi, je ne l’ai jamais entendue parler italien.
Dans les ateliers de Vivement lundi ! à Rennes, nous avons construit les personnages : Luigi, Cesira, Vincent mon père ainsi que les nombreuses poupées qui les accompagnent. Cesira est devenue une figurine de 23 cm de haut. En la questionnant, elle m’a raconté son histoire, sa vie en Italie, sa rencontre avec Luigi, le voyage avorté en Amérique, pourquoi la France ?
Il me fallait maintenant m’intégrer à ce récit… Le thème qui m’a intéressé, c’est la transmission de main en main. Les mains de mon grand-père ont transmis leur savoir aux mains de mon père, les mains de mon père m’ont à leur tour transmis leur savoir et aujourd’hui je m’en souviens ; aussi je me devais de témoigner. La main, ma main, est devenue un personnage, un personnage qui agit sur ce monde et dans l’atelier, la main travaille, questionne et intervient.
Entre confinement, Covid et tempête de neige, le film a été en grande partie tourné dans les studios de Foliascope dans la Drôme, entre janvier 2020 et juillet 2021. En écho avec aujourd’hui, je voulais témoigner de comment, à cette époque, on accueillait tous les étrangers. J'ai travaillé sur ce film pendant neuf ans et j’en aime toutes les images. C’est un film unique où chacun a apporté son savoir, ses connaissances, ses compétences, sa mémoire. Un film témoignage, mais avant tout un film d’amour.
Une histoire de transmission
Une histoire de transmission
par Alexandre Cornu
Je viens, avec Alain Ughetto, de vivre une aventure incroyable, j’allais dire carrément romanesque. Jasmine, premier long-métrage d’Alain, est sorti en salles en 2013. Il a connu une belle carrière en festivals et un succès critique. Nous avons bâti ensemble une relation solide, fondée d’abord sur la confiance, forgée par l’amitié ensuite, et nous savons désormais comment bien travailler ensemble. Alors que nous étions dans l’accompagnement en festivals de Jasmine, Alain a commencé à me glisser quelques mots... Il travaillait à un nouveau projet. Et puis un texte est arrivé sur ma boîte mail. Un premier jet, mais déjà une ambition affichée. Imaginer une narration qui irait du singulier (l’histoire personnelle et familiale du réalisateur) à l’universel (l’immigration italienne en France au XXe siècle). Et continuer avec l’animation.
L’animation, c’est le moyen d’expression d’Alain, il a commencé par là au tout début des années 1980. En 1985, son troisième court-métrage, La Boule, a remporté le César du meilleur court-métrage d’animation. À partir de là, tout le monde attendait son premier long… qui n’est jamais venu ! Black-out, silence total, il a travaillé comme réalisateur de documentaires à France 3 Marseille pour faire bouillir la marmite comme il dit… avant de renouer avec ses premières amours et la sortie de Jasmine, un film d’animation sur son histoire d’amour avec une Iranienne, prise dans les tumultes de la révolution de 1979 en Iran.
L’animation fait partie de sa vie, mais elle fait également sens dans le récit de ce nouveau projet. Dans cette histoire de transmission entre un grand-père, un père et un fils, le travail manuel est au cœur de la narration. D’ailleurs, le premier titre d’Interdit aux chiens et aux Italiens était Mano d’opera, qui signifie main d’œuvre en français. Luigi, le grand père, construisait des routes, des ponts, des barrages. Vincent, le père, bâtissait ses maisons les unes après les autres et faisait surgir comme par magie des oiseaux sculptés dans la croûte du Babybel. Quant à lui, Alain, il a résisté à la pression familiale qui le voyait réussir une carrière de fonctionnaire aux PTT pour manier la pâte à modeler et animer ses personnages.
La technique que nous avons utilisée devait garder un côté fait main, car il est toujours question de mains dans ce film, notamment celles de Luigi, qui étaient si belles selon Cesira. Nous voulions une approche artisanale, puisque sa matière première est celle que l’on pouvait trouver dans le Piémont natal de la famille Ughetto. Du charbon pour figurer les montagnes, des morceaux de sucre qui deviennent les briques d’un mur, les châtaignes de la polenta comme les pierres qui balisent les chemins et les brocolis qui deviennent des arbres.
Alain Ughetto
Alain Ughetto
Alain Ughetto a hérité de son père et de son grand-père un goût prononcé pour le bricolage, qu'il infuse dans son cinéma par l’animation, un vecteur pour explorer l'intime. En 1985, Alain Resnais lui décerne le César du meilleur court-métrage d'animation pour La Boule. Il devient ensuite journaliste et documentaliste pour de nombreuses chaînes de télévision. Puis, en 2013, il renoue avec sa passion du cinéma d’animation et réalise Jasmine, où se joue son histoire d’amour dans le tumulte de Téhéran à la fin des années 1970. Son dernier film d’animation, Interdit aux chiens et aux Italiens, retrace l'histoire de son grand-père et, à travers elle, celle de nombreux immigrés italiens.
Ritale sans mémoire, ou l'Italie enchantée
Ritale sans mémoire, ou l'Italie enchantée
par Bérangère Portalier
L’Italie, c’est le pays dans lequel on arrive quand on grimpe aux branches de mon arbre généalogique. Si mon nom n’a rien d’italien, c’est qu’il est rattaché à la seule lignée française, celle du père de mon père. Mais la vérité, c’est que tous les autres chemins mènent à Rome, enfin par là-bas. Pourtant, à part une vague sympathie pour les ritals, rien n’a été transmis, alors quand je m’assois dans le fauteuil en velours du cinéma pour voir Interdit aux chiens et aux italiens, je ne me sens même pas concernée.
La projection démarre, et je m’installe confortablement dans le récit. Les personnages ont des trognes terriblement attachantes. Le film fourmille de trouvailles visuelles et narratives, et la voix d’Ariane Ascaride est si douce que c‘est un régal. Je passe un excellent moment.
C’est à quelques minutes de la fin que c’est arrivé.
Berthe Sylva chante Les roses blanches. Luigi meurt. Et moi je pleure toutes les larmes de mon corps. Un fleuve inarrêtable de gros sanglots qui perdure bien après la fin de la séance. D’y penser, les larmes me montent encore et je m’interroge : sur quel bouton de ma psyché appuie cette histoire ?
Je le sais vaguement : la famille de ma grand-mère maternelle vient du mont Viso, qui se trouve être un personnage central du film. Il est le point d’ancrage de la narration, le refuge rugueux mais chaleureux dont les personnages doivent s’arracher pour émigrer en France.
Le réalisateur Alain Ughetto est un sentimental. Pour raconter son histoire, il choisit de donner la parole à sa grand-mère Cesira. Il lui ramène une poignée de terre du mont Viso et l’interroge pour obtenir ce dont il a besoin, le récit de ses origines. Par son évocation gorgée d’amour, Cesira fait revivre l‘épopée familiale et ranime le souvenir de Luigi, le grand-père, initiateur de la migration vers la France.
Ce récit ne peut plus advenir pour moi. Tous les témoins sont morts et si peu de choses ont été racontées, la faute à des décès précoces et à cette volonté intransigeante de s’assimiler à la France. Ce fut une intégration par occultation. L’interdiction faite aux enfants de parler italien même en famille. Les prénoms français, les goûts français. La stratégie fut payante. Deux générations plus tard, il ne me reste même pas le sentiment d’être le fruit d’une immigration, et je mesure en regardant Interdit aux chiens et aux italiens, l’énormité de cet impensé. Je sens presque physiquement, à l’endroit du cœur, un gros rocher noir que je contournais constamment sans réaliser qu’il trônait au milieu de mon paysage intérieur.
Ce qui me relie à Alain Ughetto, ce n’est pas seulement cette provenance géographique et sociale. C’est aussi que son film répond à ma nécessité de recréer un lien un peu magique et mythique avec mes origines. Sautant la génération des parents, et donc m’épargnant les règlements de comptes avec l’adolescente qui reste en moi, je peux raccrocher les bouts de ce qu’Ughetto m’offre, des figures aimantes, loyales, de belles personnes à la vie modeste mais digne, pour tisser ma propre mythologie familiale. Je peux aimer ces aïeux de l’ombre et me réclamer d’eux. Leur misère n’est plus crasse, elle est sublimée par la tendresse.
Tiens, je repleure. Alors je crois que j’ai trouvé. Ce que les histoires de migration oblitèrent, c’est non seulement l’identité, mais très concrètement, c’est de l’amour en moins.
Merci Monsieur Ughetto de m’avoir offert de nouvelles personnes à aimer. J’ai à présent dans le cœur une adorable arrière-grand-mère et un arrière-grand-père à chérir.
Un article à retrouver dans le dossier complet de Films en Bretagne dédié au film Interdit aux chiens et aux italiens.
L’immigration Italienne
L’immigration Italienne
FRANCE CULTURE >>> Retour sur l’odyssée de l’immigration transalpine en France depuis le XIXe siècle jusqu’aux années 1980 : ses différentes vagues, ses drames et ses apports culturels et musicaux.
YOUTUBE >>> Le réalisateur Alain Ughetto revient sur la création de son film Interdit aux chiens et aux Italiens lors du Festival du film d'animation d'Annecy, où il a reçu le prix du Jury.
TV5 MONDE >>> Le musée de l’Immigration a dédié, en 2017, une exposition sur la diaspora italienne en France durant le XXe siècle. Jouant des clichés et préjugés de l’époque et rappelant la xénophobie dont ils étaient victimes, l’exposition s’attache à retracer le parcours des immigrés italiens en France.
RADIO FRANCE >>> L’auteur de BD Baru est au micro de Tewfik Hakem pour parler de sa série Bella Ciao, qui retrace en trois tomes l’histoire d’une famille italienne qui vient s’installer en France.
OUEST FRANCE >>> Les coulisses du film. Tout commence dans le petit village du Piémont où la terre fait vivre les paysans, mais la nourriture manque. Et chaque année avant la neige, la moitié des habitants part en France pour travailler, comme saisonniers ou sur les chantiers.
19 février 2023 17:00 - MULLER
il faut aller voir ce très beau film
23 décembre 2022 14:50 - annick Madouas
Magnifique, touchant, je trouve les bouilles et les costumes très beaux, même avec des racomadages...
Et le thème résonne avec l'actualité : les migrants d'aujourd'hui qui peuvent faire peur, dont on va se méfier . Bravo