Reconstruction
Dans une demeure du 17e siècle où Casanova avait ses habitudes, un homme concrétise une utopie. Grand amoureux lui aussi, épicurien, musicien et luthier, il fait vivre ce lieu et ses vingt-deux chambres où résident temporairement des créateurs en recherche.
La réalisatrice Mali Arun est également un personnage-clé de cette histoire. Elle fait partie de la famille et s’est construit ici son identité d’artiste en même temps que se construisait le projet fragile de sauver, sans aucun moyen financier, cette maison de la ruine.
La Maison est un film plein de délicate humanité, une revanche de la marginalité sur le grand capital. En effet, ce lieu fut dans sa splendeur une station thermale avec casino, et pour finir une unité de production d’eau minérale pour le groupe Nestlé, avant que celui-ci n’abandonne le site en le sabordant.
Le film s’ouvre et se conclut par deux réflexions concernant le cinéma documentaire :
1. Tout organisme vivant se modifie et donc se construit sous le regard d’un autre
2. L’enregistrement et le montage des images et des sons ne parviendra jamais à se substituer au réel.
Excentrics, une collection en partenariat avec la
LA MAISON
LA MAISON
de Mali Arun (2016 - 72')
Ce film raconte le quotidien d'un homme en marge, qui se bat pour continuer à vivre dans une maison, la sienne, qu’il souhaite conserver à l’état de ruines. C’est le portrait d’une vie et d’un espace en perpétuelle reconstruction, en perpétuels mouvements. C’est l’histoire d’un combat. Contre la réhabilitation à tout prix, contre la rénovation clinquante et la bienséance paresseuse.
>>> un film produit par Marie-Odile Gazin, The Kingdom
Un regard
Un regard
par Mali Arun
Un cinéma de la présence
J'essaye de toucher simplement les choses que je filme, je tente de faire exister un regard qui se contenterait d’être présent. Faire un cinéma de la présence. Regarder, filmer pour apprendre et pour construire. Mes travaux me portent à questionner les lieux en métamorphose, les lieux abandonnés, vides, les banlieues, les friches et la façon dont les hommes transforment un paysage en territoire. Je suis fascinée par la Maison parce qu’elle ne sera jamais terminée et réhabilitée. Fascinée par la nécessité de laisser cet espace et la vie de Jacques tels qu'ils sont, de respecter cet état d’être en perpétuelle reconstruction. Parce que c’est dans le chantier, dans le mouvement, que le vivant trouve son souffle.
Une question traverse tous mes projets : comment trouver un centre, une stabilité, son identité, au cœur du mouvement ? Comment s’enraciner dans une errance perpétuelle ? Comment Jacques fait-il pour vivre dans une maison en ruine depuis plus de dix ans ? Et comment ce choix de vie est-il devenu une revendication et un combat ? Ces ruines sont pour Jacques le support de ce combat, son abri, sa cachette. La maison de Jacques, c’est un autre de ces lieux que j’explore, qui tente de placer ses repères dans un combat et un espace incertain.
Ma place, un regard
En tant qu'intime de la Maison, membre de la famille, mon regard est chargé d'amour mais aussi d'une haine liée à de vieilles blessures. D'emblée, la question d'une juste distance, en tant que cinéaste et protagoniste du film, a été une tension lors de l'écriture et des repérages. Le fil rouge et la narration dépendaient de cet équilibre entre distance et intimité. Le point de vue est le mien, je connais tous ceux que je filme et ils me connaissent. Cette intimité m'invite à me méfier de la complaisance. Il ne s'agit pas de faire un éloge de la marge, mais bien d'en présenter le beau, comme le cru. Le spectateur est à ma place, proche d'eux, face à eux, tour à tour susceptible de se choquer ou de s'attendrir. Ma caméra, à proximité ou à distance, lui donne les clés. Les personnages s'adressent souvent directement à moi dans les séquences tournées à l'intérieur de la Maison, quand je suis au plus près des choses. Avec Jacques, quand il n'y a que lui et moi, nous sommes tous les deux rassemblés autour de la caméra, souvent en hors-champ. A contrario, quand je filme en plan large à l'extérieur, je suis silencieuse derrière ma caméra, mon regard simplement présent, observant les personnages qui travaillent dans la cour ou au jardin, ou qui attendent que le temps passe, assis au soleil à ne rien faire, buvant du café, fumant. Observant cette fourmilière grouillante ou paisible, comme on peut observer la nature et y découvrir à chaque instant un nouveau détail. Mais parfois je craque, j'abandonne mon poste de cinéaste et j'apparais à l'image, heureuse ou en colère, parce que le réel est plus important que le film, parce que tout le monde se contrebalance du film et qu'on doit l'oublier pour laisser le vivant s'échapper... Et la caméra est toujours là, captant ces moments de vie parfois exacerbés.
Faire ce film, c'est tenter d'accepter toute la marginalité de ce lieu, de Jacques, de son entourage et finalement d'un bout de mon histoire et de moi-même. C'est peut-être simplement accepter l'autre comme il est, en racontant son histoire, notre histoire commune. En se tenant à la lisière de ce monde et en le contemplant, il s'agit de faire l'humble constat de l'irréversible, du travail du temps. Nous n'avons pas de prise sur les choses. Chaque personnage apprend à devenir modeste sous les lois de la Maison. Je ne connais pas encore la résolution mais en arpentant cet espace, en m'y perdant, j'y trouve un chemin de réconciliation. Ce film réalise le deuil de la norme, il est le prélude à l'acceptation, comme une sagesse. Le personnage de Jacques, avec toute sa grandeur, son ambivalence, permet à chacun de se retrouver dans ce qu'il est. Il a la capacité de maintenir en vie les plus errants et sa maison leur donne l'occasion de se retrouver à travers de petits chantiers, d'avancer pas à pas, peu importe le résultat final.
Peut-être que le spectateur y trouvera également une nouvelle façon de voir l'autre et lui-même, une nouvelle tendresse pour les membres les plus curieux et peut-être les plus sincères de notre communauté humaine.
Mali Arun
Mali Arun
Mali Arun fait ses études aux Beaux-arts de Paris, de Tianjin (Chine) et de Bruxelles. Son travail se situe entre la fiction, le cinéma documentaire et la vidéo d’art qui questionne à la fois les espaces en marges, en métamorphoses et en conflits. Elle interroge la façon dont l’homme déraciné arpente des zones de passages et de frontières, transforme l’espace, le paysage en territoire en se l’appropriant. Elle explore également les croyances, les rituels et les mythes dont les hommes se nourrissent pour vivre et survivre.
Elle présente ses films dans de nombreux festivals de cinéma, dont le festival Tous courts d’Aix-en Provence où elle reçoit le Prix du jury, le Coup de cœur du jury au festival Point doc ou encore la Mention spéciale au Festival de Contis. Elle vend ses films à Arte et au programme Le Radi. En 2019, elle présente son long-métrage documentaire La Maison à Visions du réel, à Nyon, film lauréat du Sesterce d’or Canton de Vaud, meilleur film de la compétition internationale Burning lights. Elle obtient le Grand prix du jury du Salon de Montrouge.
Œuvre plurielle
Œuvre plurielle
VIMEO DE MALI ARUN >>> Extrait de Paradisus, où Mali Arun puise dans un imaginaire biblique pour raconter en quelques brèves minutes rien de moins que L'histoire de la terre.
SITE DE MALI ARUN >>> Portrait d’une maison communautaire en Alsace, ce film splendide qu’est La Maison offre en 1h10 une épaisseur stupéfiante de sujets et de regards.
ORCHESTRE NATIONAL DE JAZZ >>> Mali Arun est la réalisatrice vidéo du programme Rituels de l’Orchestre National de Jazz.
ZUT MAGAZINE >>> La réalité virtuelle et ses capacités immersives bouleversent notre perception de l’art, ce qui n’effraye pas l’artiste, qui profite de cette nouvelle opportunité pour créer avec un médium peu développé par les artistes.
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