Outrenoir

scène de maquillage la nuit qu'on suppose

Avec La nuit qu’on suppose, Benjamin d’Aoust nous plonge dans une réflexion sur l’écriture filmique. En s’attelant à rendre compte de ce que perçoivent les aveugles, il réinitialise notre rapport au cinéma : des images, des sons qui se côtoient, se relaient, se complètent pour une représentation subjective de la vie dans laquelle, chaque spectateur, ouïe et regard aux aguets, se fraie son chemin.

Comment donner à voir aux non-voyants ? Comment produire une image avec seulement des mots ? Comment nos sens se combinent pour nous livrer notre perception du réel ?
Des aveugles nous confient leur expérience de vision altérée où subsiste seulement des formes, des zones d’ombre et de lumière, leur perception d’eux-mêmes et du monde qui les entourent, mus par une curiosité exacerbée par le handicap.

Tout cela est délicatement filmé et monté, et nous met dans un état d’attention particulière, un état de quiétude très éloigné des angoisses que peut éveiller l'idée qu'on se fait de la cécité.

LA NUIT QU'ON SUPPOSE

de Benjamin d’Aoust (2013 - 73’)

Retrouvez ici la bande annonce de cette oeuvre (les droits de diffusion sur KuB sont arrivés à échéance).

A quoi ressemble le monde pour ceux qui ne le voient plus ? Qu’y-a-t-il dans cette nuit sans fond que l’on imagine tous ? Brigitte, Danielle, Hedwige, Bertrand et Saïd ont perdu la vue à différents stades de leurs vies. En explorant leurs univers, le film pose la question du regard et du lien que nous établissons avec nos sens, le monde et les autres.

>>> un film produit par Hélicotronc

INTENTION

Dépasser cet apriori du noir

femme cigarette - la nuit qu'on suppose

par Benjamin d’Aoust

On dit qu’un enfant, pour comprendre le monde, l’appréhender, utilise ses cinq sens à part égale jusqu’à ses deux ans, puis peu à peu la vue prend le dessus jusqu’à ce qu’il ait six, huit ans et qu’elle lui ait donné accès à la notion de distance. Distance dans l’espace, mais aussi distance par rapport à la matière, par rapport aux objets, aux formes... par rapport aux autres. Distance visuelle qui donne accès au monde dans l’instant. C’est par la vue principalement que nous nous orientons et que nous interagissons avec le monde. Perdant alors progressivement leurs qualités intrinsèques, pour ne plus être que des informations secondaires de l’information principale qu’est l’image, les autres sens deviennent plus intuitifs, inconscients. Ils apparaissent dès lors moins rationnels, moins réels. Une fois passée la petite enfance, la vue n’est plus juste un sens parmi les autres, elle donne du sens aux autres. Elle devient la base de nos représentations mentales sur laquelle viennent s’agglomérer nos autres perceptions. Elle devient un sens totalitaire.


Comment dès lors imaginer la cécité ? L’a priori commun, inconscient et collectif, voudrait que les aveugles vivent dans le noir parce que dans le noir, nous perdons nos repères visuels, nos repères spatiaux, nous perdons nos yeux. Le monde nous apparaît dès lors illisible, effrayant. Mais celui qui ne sait pas ce que voir veut dire ne sait pas que le noir existe. Pour représenter cela, il fallait à mon sens parvenir en premier lieu à dépasser ce noir, et à dépasser les apriori que nous avons construits autour de lui.

Impliqués à différents niveaux dans des activités créatives et artistiques (danse, peinture, sculpture, littérature, musique), Brigitte, Danielle, Hedwige, Bertrand et Saïd ont développé des rapports sensoriels forts avec ce qui les entoure et des imaginaires denses, poétiques... profonds. En interrogeant leur cécité personnelle pour dépasser cet apriori du noir, je voulais non seulement retranscrire la richesse de leurs univers mais aussi questionner notre regard, au propre comme au figuré. Je voulais que l’exploration de cet archipel amène le spectateur à réfléchir à la manière dont lui-même perçoit le monde et s’en construit des représentations.

L’objectif du film n’a jamais été de traiter du handicap comme une fin en soi. Je voulais filmer la perte de la vue comme possible renaissance... comme dans une forêt dévastée par un incendie où quelques mois plus tard la vie a repris le dessus : autre, mais tout aussi vive, puissante, complexe. Je ne voulais pas filmer des aveugles, des impossibilités, des manques, mais filmer des personnes, des richesses, des découvertes. Je ne voulais pas faire un film sur eux mais un film avec eux. Un film où ils me retourneraient la question de mon propre regard, où ils le questionneraient. Un film où ils questionneraient également avec humour, avec dérision parfois, leur propre image. Un film qui dédramatiserait nos aprioris et les peurs associées à la perte de la vue, et qui replacerait au centre l’idée d’altérité comme source de richesse. En filmant leur résilience, je voulais montrer qu’en acceptant nos limites, en leur donnant leurs justes places, on peut parfois les dépasser.

De nos absences, de nos manques, de nos impossibilités naissent parfois d’autres beautés, d’autres savoirs.

BIOGRAPHIE

Benjamin d'Aoust

portrait Benjamin d'Aoust

Né à Bruxelles en 1979, Benjamin d’Aoust suit des études de journalisme et d’analyse et écriture de scénario à l’Université libre de Bruxelles, puis réalise deux courts métrages de fiction : Mur (2006) et Point de fuite (2011), qui font le tour du monde et obtiennent plusieurs prix. En parallèle, il écrit des critiques de films, anime un atelier de montage et collabore à différents projets en tant que scénariste/script-doctor, assistant réalisateur ou encore monteur. En 2012, paraissent chez Dargaud les deux premiers tomes de Shrimp, une bande-dessinée dont il est co-scénariste. La nuit qu’on suppose est son premier documentaire, pour lequel il obtient le Magritte du meilleur documentaire. Depuis 2014, il s’intéresse principalement à l’écriture et la production de séries, tel que La trêve ou plus récemment Des gens bien.

REVUE DU WEB

La cécité au quotidien

RADIO FRANCE >>> Aveugle de naissance, Laetitia Bernard n'en est pas moins devenue championne de sauts d'obstacle de handisport et journaliste. Au micro d’Anne Revillard elle revient sur son parcours et son quotidien dans le monde du travail.

FRANCE 3 >>> Tout un art pour donner à voir sans déflorer, sans charger et sans perturber. Rencontre avec Benjamin Kling, audio-descripteur, qui raconte son métier dans le film Le cinéma intérieur de Benjamin Kling.

FRANCE INTER >>> Un passionné de numérique et de jeux vidéos a mis au point un casque qui transforme le quotidien des aveugles en devenant leurs yeux de substitution.

PRENDRE PLACE >>> Quelle place pour les publics handicapés dans les musées ? Le podcast produit par La Villette revient sur l’accessibilité de tous dans les lieux culturels et les expositions.

COMMENTAIRES

  • 5 décembre 2022 19:13 - Marie Diagne - L'Oeil Sonore / Le Cinéma Parle

    La grande intelligence de Benjamin d'Aoust est d'avoir fait de la perception une intention de réalisation, le creuset dans lequel sons et images ont été mis en scène pour questionner le spectateur.
    Le cinéaste néerlandais Johan van der KEUKEN (1938-2001) avait pris ce chemin en 1964 (L'Enfant aveugle 1) et 1966 (Herman Slobbe - L'Enfant aveugle 2), en faisant du geste cinématographique lui-même (les choix de mise en scène, les partis pris esthétiques) le lieu de la rencontre entre perception du monde et ce que l'on appelle mal et non voyance.
    DOCUMENTAIRE SUR GRAND ECRAN propose sur l'année 2023 de redécouvrir 4 films de J. v.d. Keuken dans leur version audiodécrite, dont L'Enfant aveugle 1 et L'Enfant aveugle 2. C'est en travaillant sur ces adaptations qu'une nouvelle fois j'ai vérifié le sentiment suivant : l'audiodescription, ou plutôt la version audiodécrite des films témoigne de la démarche artistique d'un auteur. Elle est un véritable dispositif de transmission du cinéma.
    Merci, Benjamin.
    Marie DIAGNE - Le Cinéma Parle

CRÉDITS

avec Saïd Gharbi, Hedwige Goethals, Brigitte Kuthy Salvi, Danielle Montet, Bertrand Verine

réalisation et voix audiodescription Benjamin d’Aoust
image Virginie Surdej, Benjamin d’Aoust

son Aline Huber, Benjamin d’Aoust

montage son Aline Huber, Jean-François Levillain

montage image Cédric Zoenen

mixage Philippe Charbonnel

bruitage Olivier Thys

étalonnage Thomas Bouffioulx

production Anthony Rey

coproduction RTBF, CBA

avec le soutien du Centre du Cinéma et l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de Voo, de la région Bruxelles-Capitale, du Tax Shelter du Gouvernement Fédéral Belge et de la société Filmik.

Artistes cités sur cette page

portrait Benjamin d'Aoust

Benjamin d'Aoust

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