The Living Dead
Laetitia Shériff nous montre encore qu’elle garde bien six pieds sur terre avec ce tube à réveiller de jolis morts.
Dans la forêt, c’est l’heure opportune d’un rendez-vous improvisé sous la lune entre les morts, les vivants et Laetitia Shériff. Avec ce clip en stop-motion, la chanteuse nous invite à un périple macabre à la douceur gothique, où les morts se mêlent à nous le temps d’un morceau ; the Living Dead ou une vidéo de Marie Larrivé, où la vengeance est un plat qui se mange chaud avec un bon goût de feu de bois, où les morts sont de curieux squelettes avec encore des choses à dire, où les fantômes viennent nous prouver que l’on a beaucoup à apprendre d’eux.
Laetitia Shériff regarde seule, dans la pénombre, la projection d’un film de morts-vivants. Et nous plongeons avec elle au cœur de l’écran, et le film dans le film devient la réalité du clip. Au volant d’une belle américaine, elle parcourt une route de forêt, tandis que les morts se réveillent au son de sa voix, avec la synecdoque toujours efficace d’une main squelettique qui sort de terre, annonce d’un retour d’entre le royaume des ombres. Une rencontre s’amorce alors entre ces deux mondes, où les « non-morts » (les undead des paroles) sont toujours debouts, animés d’une flamme, une lueur dans les yeux et une main sans chair tendue vers les vivants. Une araignée vient brouiller les frontières entre la vie et la mort, entre le film et la réalité, pour qu’in fine les rôles s’inversent, et que tous ces spectres paraissent bien plus incarnés que les hommes.
Le clip utilise la technique du stop-motion pour ranimer les morts, et ces créatures damnées reprennent vie image par image ; un artifice à l’esthétisme poétique, qui nous ramène aux squelettes de Ray Harryhausen dans Jason et les Argonautes, voir à ceux, plus absurdes, de Sam Raimi dans Evil Dead III pour ne citer qu’eux. Le clip de The Living Dead est en effet un véritable hommage aux films de genre, ainsi qu’au très culte Thriller de Mickael Jackson – ce qui ne vient en rien entacher le plaisir que l’on prend à suivre cette voiture à travers une forêt qui nous emmènerait presque au château du Rocky Horror Picture Show. Sur cette route éclairée par tous ces codes que l’on retrouve avec entrain, Laetitia Shériff est devenue marionnette, se laissant mener par le bout des fils à travers cette nuit de pleine lune, entre effroi et tendresse d’outre-tombe, et son rôle d’inconnue égarée contraste avec notre position de spectateur, absolument conscient de l’univers dans lequel nous nous trouvons.
Un clip hommage, balisé de références, avec des films dans le film, des clips dans le clip, des morts dans les vivants et des vivants parmi les morts, entre désespoir et fête… Des morts bien plus vivants que bien des vivants, qui fument des clopes, boivent des bières, dansent, débordent encore d’une humanité qui les fait rester parmi nous – jusqu’à remettre en cause l’existence si désincarnée que l’on peut parfois mener. Laetitia Shériff nous montre encore qu’elle garde bien six pieds sur terre avec ce tube à réveiller de jolis morts.
THE LIVING DEAD
THE LIVING DEAD
par Marie Larrivé (2014 – 3’32)
Living dead est intégralement réalisé en stop motion. Une partie du film est tournée avec des marionnettes animées évoluant dans des maquettes créées spécialement pour le tournage. Une de ces marionnettes représente Laetitia Sheriff. La chanteuse apparaît également en personne et comme elle est mêlée à des marionnettes (les morts-vivants grandeur nature) ses mouvements et ses déplacements ont aussi été enregistrés image par image. La lumière et l’atmosphère générale s’inspirent de films de zombies et du clip de Mickael Jackson Thriller. D’un point de vue narratif, un certain nombre d’éléments rappelleront au spectateur cette inspiration.
Laetitia, une voyageuse égarée
Laetitia, une voyageuse égarée
Un couple, Laetitia et un jeune homme, dans une salle de cinéma. Le film raconte l’histoire d’une voyageuse égarée (Laetitia) dans une ville ouvrière habitée par des morts-vivants. Ils sont habillés de bleus de travail, comme des ouvriers, et se réunissent devant leur usine textile pour protester contre l’arrivée d’araignées mécaniques tisseuses qui les met au chômage. Le directeur lâche ses chiens. La voyageuse se rallie à leur cause. Les zombies-ouvriers brûlent l’usine… et redeviennent poussière. Le directeur parvient à s’enfuir en se métamorphosant en araignée. La salle de cinéma se vide mais Laetitia reste assise face à l’écran. Une araignée passe sur le sol. Elle l’écrase. Elle sourit face à la camera et pendant une fraction de seconde, son visage est celui d’un zombie.
Laëtitia Shériff
Laëtitia Shériff
Contrairement au patronyme qu’elle s’est choisi, Laetitia Shériff n’est pas du genre à (faire) respecter la loi. Elle serait même plutôt de ceux qui la transgressent avec gourmandise, comme en atteste la liste de ses collaborateurs par le passé, tous des vandales de la bien-pensance musicale (l’immense saxophoniste de jazz François Jeanneau, la diva punk Lydia Lunch, le producteur de musiques électroniques Robert Le Magnifique, l’expérimentateur Noël Akchoté ou encore le guitariste polymorphe Olivier Mellano…).
En dix ans, sans aucun plan de carrière réfléchi à l’avance, la chanteuse/bassiste a su laisser son empreinte indélébile sur une poignée de disques exigeants, sous son nom ou bien sous un autre (Trunks), mais également dans des BO de documentaires, au cinéma, au théâtre ou dans des spectacles de danse.
Néanmoins la véritable performance de Lætitia Shériff, c’est de réussir à justement canaliser cette soif de liberté, à formater son audace formelle. Son dernier disque, Pandemonium Solace and Stars, est ainsi une petite merveille de rage lumineuse, de désespoir fertile, qui l’autorise désormais à marcher dans les pas d’illustres ainés comme Scott Walker, Neil Young ou Nick Cave. Bien sûr, dans sa discothèque personnelle, on imagine que les disques de Sonic Youth, Dominique A ou The Breeders tiennent également une place de choix. Elle en partage les obsessions en tout cas. Et l’art de la mélodie sournoise, comme par exemple celle du refrain de The Living Dead qui vous poursuit toute la journée.
Epaulée par son vieil ami Thomas Poli (guitariste de Montgomery et collaborateur de Dominique A), le batteur Nicolas Courret (Eiffel) ainsi que la violoniste Carla Pallone (Mansfield.Tya) invitée sur trois titres, Lætitia Shériff voyage ici entre la Daydream Nation de Sonic Youth et le Hips And Makers de Kristin Hersh, quand le son clair des guitares voudrait ignorer encore un instant le grondement inquiétant de la basse. Mais qu’elle vous attrape par le colback et vous crache son Wash au visage ou qu’elle vous bouleverse par l’intensité de son A Beautiful Rage II, la Shériff vous remue toujours de l’intérieur. Parce qu’au grain de sa voix, au son de ce disque équilibriste, on sent qu’elle ne triche pas. Qu’elle ne peut pas.
Elle enchaîne ensuite en sortant le EP The Anticipation en 2015, toujours avec Thomas Poli, et Nicolas Courret derrière les fûts.
Kalcha
Marie Larrivé
Marie Larrivé
Marie Larrivé sort en 2013 de l’ENSAD Paris avec un film d’animation de fin d’études – Mélodie pour Agnès – aussitôt sélectionné en compétition aux Festivals de Clermont-Ferrand et de Bruz. Il obtient le prix du Centre national Photographique d’Ile-de-France.
Toujours à l’ENSAD, elle coréalise le clip officiel Try to be yourself de The Games, un court métrage en marionnette animée et papiers découpés. Dès sa sortie de l’école, elle coréalise le court métrage Les oiseaux du souci, en marionnettes animées et vidéo projection d’après un poème de Jacques Prévert. Produit dans le cadre de la collection En sortant de l’école, le film est diffusé sur France Télévisions et sort en salles. C’est à ce moment-là qu’elle réalise le clip The Living Dead pour la chanteuse Laetitia Sheriff. En 2022 elle réalise Noir soleil un court métrage d'animation sélectionné pour les César 2023.
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