Un monde pluriel

liberté égalité fraternité par Obey

L’individu dans la nation, sa singularité confrontée aux forces normatives de la société, cherchant sa liberté dans le mille-feuille identitaire qui s’offre ou s’impose à lui… Voici les thématiques sur lesquelles l’Abbaye de Daoulas nous propose de réfléchir à travers une exposition au titre provocateur : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, DIVERSITÉ. Comme si la FRATERNITÉ n'était accessible qu’à condition d’avoir d'abord embrassé la diversité de nos pairs.

La Bretagne est une terre d’accueil, un point de chute pour des migrants volontaires ou contraints, cette exposition vient à point nommé pour sonder le tissu social enrichi de ces destins venus côtoyer, se mêler aux Bretons natifs.

Nous retenons de cette exposition six diptyques associant la parole d’un•e intellectuel•le et l’œuvre d’un•e artiste, autour de l’interprétation et de la représentation de cette diversité dont il nous appartient de faire notre miel.

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EXPOSITION

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, DIVERSITÉ

La France est l’aboutissement d’une construction qui a duré des siècles. Son histoire est faite d’annexions, de colonisations et de décolonisations de territoires lointains, d’accueil et de brassage de populations. Comment la France a-t-elle construit son unité tout en préservant cette diversité, source de rayonnement et d’enrichissement ?
Tout lieu est différent d’un autre, qu’il s’agisse d’un pays, d’un département, d’une commune. Pour autant, la France ne peut pas être définie par ses territoires. De la même manière, tout Français est différent de tout Français, et tout Breton de tout Breton. Sauf à céder à une caricature comme celle du petit homme râleur coiffé d’un béret, une baguette de pain sous le bras, il est impossible de définir le Français.
Cependant, les habitants de la France forment une communauté que cimentent nos institutions républicaines, nos représentations collectives et notre désir de vivre ensemble.

1. Visages de la France

Christian Grataloup, géohistorien

Tout pays est divers, mais pour beaucoup, la France l’est plus que d’autres. L’historien Fernand Braudel écrivait qu’elle était le seul pays d’Europe où, pour des raisons géographiques, les civilisations du sud et du nord s’étaient rencontrées et mêlées.
Qu’il s’agisse de bocages, de plaines, de bords de mer ou encore de sommets enneigés, la diversité des paysages français est presque infinie.


Tout comme les manières d’habiter ou les modes de vie diffèrent d’est en ouest et du nord au sud, les coutumes familiales, les pratiques religieuses, la vie sociale ou professionnelle peuvent être aussi variées que les territoires sur lesquels elles s’expriment.

oeuvre Malala Andrialavidrazana Figures 1908

Malala Andrialavidrazana, artiste et photographe

Figures 1908, International communications, 2018

En associant divers éléments tels que des atlas régionaux et mondiaux, des billets de banque et des pochettes d’albums qui ont marqué sa génération, les compositions de l’artiste recadrent la connaissance que nous pensons avoir du monde.


Pour aller plus loin : entretien avec l'artiste : Figures combine ces différents domaines en utilisant des matériaux tels que des cartes précoloniales et des billets de banques. Nous devons toujours nous rappeler que la cartographie faisait partie des outils politiques et idéologiques les plus puissants au cours du dix-neuvième siècle.

2. Des langues et une histoire

Mona Ozouf, historienne et philosophe

Bien que le français soit la langue nationale, nous la partageons avec de nombreux autres pays : la Belgique, la Suisse, le Canada, les nations d’Afrique francophone. D’autres langues sont aussi présentes dans nos régions : breton, alsacien, occitan, créole, basque, catalan notamment, et certaines sont officiellement reconnues dans les pays voisins.


Elles témoignent des étapes de construction de notre pays, dont les frontières se sont étendues ou resserrées à de multiples reprises, de l’annexion de provinces à la conquête de colonies, puis à leur décolonisation.

Zineb Sedira, artiste

Mother tongue, 2002

Zineb Sedira met en scène trois conversations entre trois femmes d’une même famille, la mère, la fille et la grand-mère, qui s’expriment dans des langues différentes, en l’occurrence la langue maternelle de chacune. Elle seule parvient à communiquer avec la génération qui la précède et la succède. Par le biais de la langue, l’artiste aborde la question de la pluriculturalité, celle de la transmission et celle de la perte d’identité.


Pour aller plus loin, Écoutez Zineb Sedira sur France Culture, et découvrez son exposition au Jeu de Paume (jusqu'à janvier 2020).

3. Un État pour faire nation

Hervé Le Bras, démographe

Si la France est diverse, elle le doit largement à sa construction. Dès le Moyen Âge, un État de plus en plus puissant a rassemblé des principautés et des provinces très différentes. Sous la République, il les a unifiées par des lois qui s’appliquent également sur tout le territoire. Cet État repose aujourd’hui sur des frontières incontestables, sur des citoyens dont l’identité est reconnue, sur une constitution et sur des lois stables, sur une justice, une police et une administration.


Mais la France est aussi une Nation, symbolisée par la Patrie qui exprime émotionnellement l’unité de l’ensemble des citoyens. À la différence de nombreux pays, la superposition parfaite de l’État et de la Nation, autrement dit l’État-nation, réunit dans la France, raison et sentiment.

Carte de séjour, oeuvre de Barthélémy Toguo

Barthélémy Toguo, peintre et sculpteur

Carte de séjour, Mamadou, France, clandestin, 2010

Entre ces tampons surdimensionnés et leurs empreintes, la décision concernant l’avenir du migrant est laissée en suspens et peut se reconstituer uniquement dans l’imaginaire du spectateur. C’est au fil des empreintes, sur les pages d’un passeport fictif, que se retrace et se dessine l’identité complexe des migrants.


Pour aller plus loin : conversation avec l'artiste. L’important pour Barthélémy Toguo est de permettre les échanges, de créer des liens que ce soit entre les formes, les disciplines, les hommes, les pays ou les continents. Pour lui, l’artiste contemporain se doit d’être en prise avec la société et plus largement avec le monde.

4. Un peuple en mouvement

Abdellatif Chaouite, ethnopsychologue

Au cours des millénaires, la France n’a cessé de vivre d’intenses flux et reflux de populations : sans remonter à la préhistoire, Gaulois, Romains puis, plus récemment, nos voisins, Belges, Italiens, Espagnols, et aujourd’hui des personnes originaires du monde entier, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique.


Les Français, de leur côté, ont colonisé des territoires, tissant, malgré la violence et l’oppression, des liens créant une histoire commune avec plusieurs peuples. Aujourd’hui, vivent en France 6 millions de personnes nées à l’étranger, dont 3,5 millions sont restées des étrangers, tandis que 3 millions de Français résident hors de leur pays.

Présence Panchounette oeuvre Bateke

Présence Panchounette, collectif d'artistes

Bateke, 1985

En faisant appel à l’humour, cette œuvre mélange différents éléments ethniques, modernes et quotidiens. Chargée de l’histoire coloniale, elle met en jeu le regard que nous portons sur les productions culturelles d’Afrique, une des sources majeures de renouvellement de l’art moderne. Les trois valises qui servent de socles à cet assemblage évoquent les migrations et invitent à s’interroger sur le mouvement des peuples.
Cliquez ici pour en savoir davantage sur le collectif.

5. La République, entre principes et tensions

Patrick Weil, politologue

Fidèle à sa devise, la République a œuvré, tout au long de son histoire, pour accroître les libertés publiques, l’égalité des citoyens et la solidarité qui, ensemble, favorisent la vie en société. Dès la fin du 19ème siècle, la République a institué l’enseignement gratuit pour tous. Avec la loi de 1905, elle a instauré la liberté religieuse grâce au principe de laïcité. En 1945, la création de la Sécurité sociale a généralisé le système de retraite, l’assurance maladie, les allocations familiales et l’indemnisation du chômage.


De tous les pays de l’Union européenne, la France est devenue celui qui consacre la plus forte proportion de son revenu national aux prestations sociales. Ces avancées sont largement dues aux luttes sociales qui ont façonné la République actuelle. L’État-providence, qui s’ajoute ainsi à l’État-nation, est cependant fragile et il paraît menacé par des intérêts multiples que la mondialisation des échanges exacerbe.

Mehryl Levisse oeuvre l'espace révolutionnaire

Mehryl Levisse, artiste transdisciplinaire

L'espace révolutionnaire, 2014

Dans une caisse de transport de musée, Mehryl Levisse compose un environnement où s’entremêlent références artistiques et historiques, symboles de la République, décors et ornements d’un art de vivre à la française. Dans ce lieu, un corps singulier, morcelé, celui de l’artiste, est comme atomisé par le poids des symboles et de l’ornement, comme soumis à la difficulté d’incarner une histoire héritée.


Découvrez cet article pour en savoir plus sur la pratique de l'artiste.

6. Culture, une histoire de relations

Daniel Maximin, romancier, poète, essayiste

La circulation des cultures ignore les frontières et les langues. Sans vouloir occulter les méfaits de la colonisation, la France a rayonné dans le monde et le monde l’a influencée. Cela est évident pour les sciences qui ont une vocation universelle, mais aussi pour les arts, dont les sources d’inspiration et de renouvellement viennent du monde entier et retournent au monde entier.


Grâce à la liberté qu’elle défend et à l’universalité de son message, la République, par l’intermédiaire de l’État, protège les créations artistiques locales et favorise la mise en contact des unes avec les autres et avec les cultures étrangères. Elle encourage ainsi le métissage vers ce Tout-monde dont parle le poète Édouard Glissant.
L’artiste, qu’il soit musicien, plasticien, cinéaste, peintre, est un passeur pour qui la mondialisation est une évidence et une mission. Par ses œuvres, il promeut vers l’extérieur sa culture, qu’elle soit locale ou nationale, et simultanément, il facilite l’accès des Français aux cultures des autres pays.

Taysir Batniji oeuvre wallpaper la marche

Taysir Batniji, artiste et photographe

Wallpaper, la marche, 2015

Taysir Batniji a dégagé des motifs symboles qu’il a retravaillés et agencés de manière à les reproduire sous forme de papiers peints. Collant à l’actualité (en 2015, la marche ayant suivi les attentats de Charlie Hebdo, ndlr), l’artiste donne ainsi à voir – ce qui n’est pas visible de prime abord, chaque motif étant perdu dans une composition d’ensemble neutralisante, quasi décorative – différentes facettes de l’actualité.
Pour aller plus loin, écoutez l'entretien avec l'artiste sur France Inter.

REVUE DU WEB

Une République en mouvement

FRANCE CULTURE >>> L'invité des matins : Racisme, féminisme, violences policières, représentation des minorités, islamophobie, Rokhaya Diallo interroge la société française et ses identités depuis plus de dix ans.
FRANCE CULTURE >>> Le pouvoir imaginaire : Que faut-il penser de l’assimilation républicaine ? Est-ce un racisme antiraciste, ou bien la nécessité de partager un socle commun de valeurs ? Mais si la république, se résumant à l’état de droit, ne présupposait aucune appartenance culturelle, ne devrait-elle pas les accepter toutes ?
LE TÉLÉGRAMME >>> D’autres, des visions singulières, voire poétiques de cette diversité en expansion dans une République toujours en mouvement.
MARIANNE >>> Entretien avec Édith Joseph, chargée des expositions à l'Abbaye de Daoulas et co-commissaire de l'exposition : L'idée républicaine à la française réside dans le mélange, le métissage, le fait de vivre ensemble tout simplement.

COMMENTAIRES

    CRÉDITS

    LIBERTÉ, ÉGALITÉ, DIVERSITÉ

    une exposition des Chemins du patrimoine en Finistère

    commissariat général Philippe Ifri, Marianne Dilasser
    commissariat scientifique
    Hervé Le Bras
    cheffes de projet
    Édith Joseph, Isabel Nottaris, Agnès Levillain
    production
    Pierre Nédélec
    scénographie
    Pauline Phelouzat
    graphisme
    Pauline Gruffaz

    Cette exposition a bénéficié du prêt exceptionnel d’archives de la Bibliothèque de l’Assemblée Nationale.

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