Di-vision
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Processions immobiles
La vie n’est qu’une ombre qui marche ; C’est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. (Shakespeare, Macbeth) C’est à cette sentence que le film d’Elvira Martinez et Emmanuel Piton doit sont titre.
Si leur œuvre, De bruit et de fureur, et celle de Sarah Balounaïck, Di-Vision, se trouvent co-exposées sur KuB, c’est parce qu’elles convoquent la même icône : celle de la femme en costume traditionnel, avançant d’un pas cérémonieux dans ce qui semble être une procession religieuse. Autre point commun, cette marche sera contrariée par la volonté des cinéastes, leur besoin de retenir le mouvement, de ramener ces modèles à leur point de départ. Aller-retour, endroit-envers.
Où vont-elles ces femmes ? Nulle part en apparence. Les trois auteurs évoquent l’insignifiance, la rêverie, voire un acid-trip, pour dire sans doute que les explications ne viendront pas d’eux.
Films psychotropes : musiques, son et images hallucinatoires, vertigineux. Est-ce une plongée dans le sacré ou sa subversion ?
DI-VISION
DI-VISION
un film de Sarah Balounaïck (2015)
Des femmes costumées avancent solennellement, convergeant dans un effet de miroir vers le centre de l’écran. Images en mouvement, fusionnel d’abord, avancée dans la matière, amas de pixels fluorescents… Puis le processus fait machine arrière, par disjonction. Division cellulaire recommencée à l’infini ? A vie ?
Sarah Balounaïck : C’est l’été 2014, je suis au Boom Festival, au Portugal. Autour du lac, je repose mes sens. C’est sans compter ces danseuses indiennes qui semblent surgir du sable pour nous offrir en spectacle leur cérémonial. Je vis l’expérience de l’intérieur. De retour chez moi, je me mets face aux images enregistrées et j’essaye de retrouver l’état particulier dans lequel cette danse m’a mise. Je cherche dans la décomposition de l’image à faire ressurgir ce quelque chose d’invisible. Je recompose jusqu’à ce que ça me fasse quelque chose. Cette vidéo me fait beaucoup d’effet. C’est comme une expérience de gestation.
musique de Di-Vision : Old dreams waiting to be realized (sample) album Shaking the habitual
DE BRUIT ET DE FUREUR
DE BRUIT ET DE FUREUR
un film d’Emmanuel Piton et Elvira Martínez (2013 - 4’10)
Court métrage tourné durant la Semaine Sainte à Grenade, pour revivre la Passion du Christ et l’accompagner au sépulcre. Roulements de tambour et timbales, pour une procession de femmes vêtues de mantilles. Cela, c’est le réel dans lequel sont saisis quelques fragments, qui sont ensuite passés au crible du montage. Au final, ces femmes n’en finissent pas de lever les yeux au ciel et d’avancer sur place. A l’endroit, à l’envers, en positif, en négatif (ce qui toujours s’annule).
De bruit et de fureur a fait une impressionnante tournée des festivals ! Traverse Vidéo de Toulouse – L’œil d’oodaaq de Rennes – Cinema wordless (Australie) – Cinespana de Toulouse (France) – Cine al Margen de Granada (Espagne) – Art media de Sydney (Australie) – Festival International de super 8 (Hongrie)
PITON RACONTE
PITON RACONTE
Ce film a été tourné en super 8 durant la Semana Santa de Granada de 2013. Les deux pellicules utilisées pour ce film ont été développées à la main, une en positif et l’autre en négatif. Avec Elvira, nous voulions filmer une procession sans trop savoir pourquoi, sans doute fascinés par le phénomène et tout de même très critiques du poids de la religion. Il y avait ce bruit assourdissant. Au montage, nous nous sommes rendus compte que les images et les sons enregistrés étaient devenus terrifiants. Et, nous avons découvert cette femme…
Franck H. Perrot (festival Traverse Vidéo, Toulouse) écrit :
D’abord l’icône – une femme regardant hors champ. Elle baisse les yeux. Sa deuxième apparition nous avertit déjà, elle fixe l‘objectif puis se détourne. La séquence se répète de nouveau mais cette fois, un flash en négatif du visage – souvenir numérique révèle l’empreinte première de la pellicule super 8, négatif fantôme / des fantômes. En écho à la phrase de Méliès Ce n’est peut-être pas un hasard si image est l’anagramme de magie. La mise en abyme ici, bat son plein. Du défilement répétitif survient le déchirement ou plutôt l’usure, un chaos lumineux formant un entre-deux, un espace-temps incertain où la pellicule se fait chair : la cérémonie peut commencer.
La Semaine Sainte à Grenade, ses cortèges, ses processions – les acteurs de ce rituel, automates dématérialisés par le ralenti, jouent la Passion et la mort. Emmanuel Piton enfonce le clou et cite Shakespeare : La vie n’est qu’une ombre qui marche ; C’est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. Tout est dit, le regard d’abord appuyé puis fuyant de la femme nous le rappelle tout au long du film. De Bruit et de Fureur – bruit des images – (recherche visuelle), notre fureur reste enfouie devant le spectacle d’un rituel cyclique, scène d’une disparité inévitable : memento mori.
ELVIRA MARTÍNEZ & EMMANUEL PITON
ELVIRA MARTÍNEZ & EMMANUEL PITON
Elvira Martínez est diplômée en psychologie. Installée en France, elle entre en contact avec des collectifs de création dirigés surtout vers le cinéma expérimental et alternatif. C’est grâce à cela qu’elle commence, en autodidacte, à réaliser ses premiers films en super 8 et 16 mm. Pendant ses études de Master en Production et recherche en art, elle crée le Labo Tuerto, un laboratoire indépendant pour des pratiques de cinéma expérimental.
Emmanuel Piton est diplômé en études cinématographiques. Il a réalisé de nombreux courts métrages au format celluloïd. En même temps il crée la Asociación de Educación a la imagen / Zéro de Conduite et participe activement à différents collectifs dédiés au cinéma expérimental. Il a créé Labo Tuerto avec Elvira Martínez.
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