Karel Fracapane
Rien ne bouge ou presque, mais tout est vibrant : la couleur, le grain, le trait.
Timo Hateau et Gérald Fleury n’ont pas seulement donné vie au chaos musical – contrôlé, mais chaos quand même – des Elements de La Terre Tremble !!!. Leur clip pour Karel Fracapane des rennais Mermonte a aussi réussi à me faire aimer un groupe qui, d’habitude, me laisse un peu de marbre.
Justement, point de marbre dans ce bijou, mais des cristaux de sel, des brins d’herbe, des nuages, des dunes, des animaux. Un scarabée, une plage aux allures de désert. Une allumette à demi consumée. Des galets, des bulles d’eau, ou des méduses peut-être. Des cactus. La Lune. Un phare. Et deux personnages qui ont l’air de se demander ce qu’ils font là, qui soupirent un peu et qui s’ennuient beaucoup. Enfin, une plume rare tombée d’un oiseau quelconque.
A la fin du siècle précédent et au début de celui-ci, on a parfois (souvent, trop) eu la mauvaise idée de qualifier la musique de certains groupes de cinématographique. « Post-rock », ça n’était pas beaucoup moins pire, mais enfin, c’était toujours mieux que « cinématographique », qui lui ne voulait et ne veut toujours rien dire du tout. Adjectif paresseux pour dire qu’un morceau était à la fois instrumental, mélancolique, un peu énervé aussi, et généralement long.
Quand un groupe fait un morceau sans paroles, et qu’il faut en faire un clip, on peut vite être tenté de lui coller un récit de force et dans le dos. Hateau et Fleury, eux, font tout l’inverse : d’abord, leurs personnages ne font rien, ne racontent rien, ils sont perdus sur cette plage où ils n’ont rien à faire qu’observer ce qui les entoure, en fumant et en soupirant, en se mettant les mains dans les poches. Ensuite, ils ont choisi la voie de l’abstraction. C’est l’autre écueil qui guette le rock instrumental, et c’est l’autre écueil que le réalisateur à deux têtes et quatre mains évite allègrement, c’est à dire avec allégresse. Il a pris des images de petits bouts de choses qui vont et viennent sur un petit bout de plage, et il les a simplement, tranquillement, sérieusement, joyeusement coloriés.
Karel Fracapane s’ouvre sur un tintinnabulum qui rappelle davantage Steve Reich ou Tortoise que les basiliques chrétiennes, et le clip, lui, s’ouvre sur une série de plans faussement immobiles. Rien n’y bouge ou presque, rien ne s’y passe vraiment, mais tout y est vibrant, la couleur, le grain, le trait. C’est le programme minimal, mais efficace en diable, que tiendra le film la plupart du temps : pas une illustration de la chanson (puisqu’il n’y a rien à illustrer), mais comme un devenir-gribouillage du monde, un surplace émouvant qui dans la couleur saisit ce qui fait fond commun au cinéma comme en musique : un je-ne-sais-quoi-et-un-presque-rien, qui touche en nous une corde impossible à nommer. L’infini vibrant dans une chambre close, comme disait Valery à propos du cinéma.
Sur le velours de ce fond discrètement mobile, la pop des rennais peut enfin briller. Il y a des voix, mais elles sont sans paroles et franchement, qui en voudrait, dans le silence de cette plage ?
Et enfin, parce qu’il faut le dire même si ça ne fait pas une conclusion valable : les plans les plus beaux sont vraiment ceux qui saisissent les ondulations des algues. C’est toujours fascinant, les grandes algues, parce que quand on les voit s’agiter, comme ça sous l’eau, on a l’impression que sous la surface le monde marin est au ralenti, que son temps n’est pas le nôtre, qui passe trop vite. Ça, Jean Epstein, le plus grand cinéaste qui ait jamais mis les pieds en Bretagne, l’avait bien compris. Je ne sais pas si Timo Hateau et Gérald Fleury ont vus les films de Jean Epstein, mais visiblement ils l’ont compris aussi. Et ils m’ont incités à aller réécouter un peu Mermonte. Ils sont vraiment talentueux.
Eric Thouvenel
KAREL FRACAPANE de Mermonte
KAREL FRACAPANE de Mermonte
réalisé par Timo Hateau et Gérald Fleury (2014 - 3'46)
Film d’animation tourné en stop motion & coloriages sur photocopies N&B
Mermonte est né il y a quelques années dans la tête de Ghislain Fracapane, avec l’envie d’écrire des chansons pop, inspirées par les Beach boys, Tortoise, Steve Reich… Il enregistre le premier album en assurant la quasi totalité des instruments et sur scène il réquisitionne quelques amis venus d’horizons divers, de la musique classique au death metal en passant par le punk ou le gospel. Leur premier concert a lieu au Jardin moderne à Rennes devant une salle comble.
En 2012, les Mermonte partent en tournée pour une cinquantaine de dates, raflant au passage les tremplins INROCKLabs et Jeunes Charrues. Ce premier album de Mermonte reçoit les éloges des médias, et mène le groupe hors des frontières, à Paléo festival en suisse ou le FME au Québec. En 2013 sort un deux-titres joué en live sur France Inter. En mai 2014, sort Audiorama, le deuxième album, sur le label parisien Clapping music et Friend of mine au Japon. La release party au Point FMR affiche complet. Fraîchement lauréat du FAIR, le groupe repart en tournée européenne. Toujours en 2014, la Blogothèque propose de produire un film avec Mermonte. Entre le documentaire et la fiction, Onamission montre le groupe de Rennes déambuler dans la campagne bretonne et recréer certains de ses morceaux dans un film de vingt-huit minutes où l’œil du réalisateur sublime le collectif. Après une série de concerts qui se termine en septembre 2015 devant plus d’un millier de spectateurs au parc du Thabor à Rennes, Ghislain FRACAPANE décide une fois de plus de s’enfermer dans sa maison de campagne afin d’écrire de nouvelles chansons, dans lesquelles il collabore avec quelques amis rencontrés sur la route ou des musiciens que le compositeur admire.
TIMO HATEAU ET GERALD FLEURY
TIMO HATEAU ET GERALD FLEURY
Le film d’animation est un champ d’expérimentation très large. Il existe quasiment autant de techniques d’animation que d’animateurs. L’équipe de Mizotte & Cabecou s’emploie à développer ses propres techniques et ses propres outils (machinerie spécifique, logiciel…). Pour donner vie à des objets inanimés, l’animateur dispose d’une palette de techniques presque illimitée : en studio ou en décor naturel, à l’aide d’objets, de personnages réels ou de papiers découpés, en utilisant un banc-titre, des maquettes etc.
Tout ce qui peut se photographier peut s’animer.
Timo Hateau est photographe et plasticien ; il se tourne rapidement vers la vidéo et l’animation de manière autodidacte : marionnettes, papiers découpés…
Il anime de nombreux ateliers autour du film d’animation dans différentes structures, le plus souvent avec un jeune public. Il réalise des clips, des installations vidéo dans différents festivals, ainsi que des projections monumentales numériques (mapping) et analogiques. Il collabore avec plusieurs compagnies de théâtre pour qui il réalise des films d’animation destinés à la scène.
Responsable du storyboard, du design et des décors, Gérald Fleury est llustrateur et plasticien formé aux arts appliqués, il découvre le film d’animation avec Timo Hateau. Il collabore avec le monde de la musique : des groupes, des salles, des labels, mais aussi des institutions ou des revues.
Une folk qui ménage des ambiances paisibles
Une folk qui ménage des ambiances paisibles
Ils sont quatre ou onze ou sept, et ils sont Bretons. Mermonte a trouvé un joli nom pour emmailloter sa musique venue du large, une folk qui ménage des ambiances paisibles et cinématographiques pour mieux laisser le vent de leurs mélodies les emporter.
la suite sur >>> Libération
On a reçu le deuxième album de Mermonte, Audiorama, annoncé par le littéralement éclatant premier morceau Karel Fracapane, il y a une grosse poignée de semaines déjà. On n’a, depuis, jamais cessé de l’écouter. Les jours de pluie et les jours de joie, sous le ciel bleu ou les lunes rousses, dans les nuits noires ou pendant les nuits blanches, en pleine tempête ou dans la pétole, on l’a écouté, écouté encore, écouté toujours.
la suite sur >>> Les Inrocks
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