À voix nue
J'ai souvent parlé de mon immense admiration pour la personne et l’œuvre de Mona Ozouf. La façon unique dont elle a toujours cherché à s'extirper, au plan des valeurs et du féminisme, des alternatives obligées façonnées par le débat public et médiatique, pour faire entendre une autre voix, et dessiner une autre voie. Je pense que l'une des clés pour comprendre pourquoi la subtilité de Mona Ozouf ne se borne pas à un art de la nuance, mais dessine un autre chemin, propose une autre lecture de l'histoire de France, et en son sein de l'histoire des femmes, est l'universalisme inclusif qu'elle a défendu dans Composition française à propos du rapport entre le français et le breton, et dont la portée est bien plus générale. On comprend en écoutant ce bel À voix nue que c'est aussi le cœur de sa façon de penser le rapport entre le commun et le singulier, entre le social et l'individuel, en prenant toute la mesure du poids d'un milieu, d'une société, d'une époque d'appartenance, tout refusant le déterminisme en vogue dans une certaine sociologie ramenant tout au rapport dominant-dominé. Refuser de réduire les femmes du passé à des victimes, comme si elles n'avaient pas été, elles aussi, des individus à part entière, autrement dit des êtres capables de hiérarchiser leurs priorités, leurs valeurs, y compris dans leur façon d'agir en référence et/ou en contradiction, voire en combat, avec le statut féminin subordonné inscrit dans le droit civil et politique, et qui a perduré jusqu'aux années 1970, et ce faisant donner la mesure du changement du monde qui s'est joué avec l'avènement de la valeur d'égalité de sexe. Tel est l'horizon de sens dans lequel le retour de Mona Ozouf sur sa propre vie nous concerne très directement, très intimement, quel que soit notre sexe, notre genre, notre âge, notre couleur de peau ou notre origine sociale.
À voix nue une série de podcasts proposée par
MONA OZOUF, L'ART DE LA COMPOSITION
MONA OZOUF, L'ART DE LA COMPOSITION
Mona Ozouf revient sur cette enfance bretonne qu’elle qualifie de perplexe du fait de cet inconfort persistant résultant de trois régimes de croyances désaccordés : la maison, l’école et l’église.
2 : DANS LES TOURMENTS DU SIÈCLE
Mona Ozouf a passé sa prime adolescence dans un pays en guerre. Elle raconte ses souvenirs, et le lien qu’elle fait avec son engagement au Parti communiste français au début des années 1950.
3 : À L'ÉCOLE DE LA RÉPUBLIQUE
Les premiers souvenirs heureux de Mona Ozouf sont des souvenirs d’école, cette école républicaine qu’elle a ensuite étudiée.
4 : PENSER LA RÉVOLUTION
Mona Ozouf revient sur la querelle des historiens à propos de la Révolution française et sur son travail avec François Furet pour le Dictionnaire critique de la Révolution française, qui a fait date.
5 : LA PATRIE LITTÉRAIRE
Pour ce dernier épisode, il est question de livres et de littérature, la véritable passion de Mona Ozouf.
Mona Ozouf
Mona Ozouf
Mona Sohier est née à Plourivo (pays Briochin) en 1931. Elle est la fille de Yann Sohier (Loudéac, 1901 – Plourivo, 1935), très grande figure du mouvement culturel breton. Cet instituteur progressiste originaire de Haute-Bretagne avait appris le breton et il fonda en 1933 le bulletin Ar Falz (La Faucille) pour défendre et promouvoir la langue bretonne à l’école publique, dans un milieu qui ne lui était a priori guère favorable. Ardent militant de la cause bretonne, son père fut emporté très jeune par une septicémie alors que Mona n’avait elle-même que quatre ans. Elle fut élevée en breton par sa mère et sa grand-mère maternelle, originaires du Léon, dans la vénération de ce père qu’elle n’avait guère connu. Elle eut une enfance austère, tiraillée entre le haut idéal breton qui avait été celui de son père et de beaucoup de ses amis, et l’idéologie qui imprégnait l’enseignement public qui fut le cadre de sa jeunesse. Elle a retracé cette période avec une émotion retenue dans son dernier livre, Composition française : retour sur une enfance bretonne.
Brillante élève au lycée de Saint-Brieuc, elle fut ensuite élève de l’École normale supérieure de Sèvres et, comme la grande majorité des jeunes intellectuels au lendemain de la guerre, elle milita naturellement au Parti communiste, avec lequel elle devait prendre plus tard une certaine distance. Après avoir obtenu l’agrégation de philosophie, elle commença une carrière d’enseignante, mais s’orienta bien vite vers l’histoire et entra au C.N.R.S.
Mona Sohier épousa un autre historien, de trois ans son aîné, Jacques Ozouf, né à Alençon en 1928. Jacques et Mona partageaient une commune passion pour l’histoire de l’éducation en France et ils écrivirent ainsi ensemble La République des instituteurs, livre publié en 1992. Une terrible épreuve frappa leur couple : Jacques Ozouf, qui était directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, fut victime d’un accident cérébral qui le priva de la parole. Dans un livre d’entretiens avec Philippe Van Eeckhout, Le Langage blessé : reparler après un accident cérébral (Albin Michel, 2001), Mona Ozouf a évoqué ce drame avec beaucoup de lucidité et de délicatesse. Elle devait s’occuper de son époux avec un dévouement admirable jusqu’à sa mort en 2006. Jacques et Mona Ozouf étaient très liés avec un très grand intellectuel français : François Furet (1927-1997), dont ils partagèrent largement l’itinéraire. Mona, directrice de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), travailla étroitement avec lui durant des années, principalement sur l’histoire de la Révolution française. Cette période est une des grandes spécialités de Mona Ozouf, également connue pour ses travaux sur l’éducation et particulièrement sur l’École républicaine, ainsi que sur l’histoire des femmes.
Depuis quelques années, la production de Mona Ozouf, devenue membre éminent du jury du Prix Fémina, a pris des orientations plus délibérément littéraires, avec Les Mots des femmes, essai sur la singularité de la place des femmes dans la tradition française, un essai sur Henry James et les pouvoirs du roman, La Muse démocratique et encore un essai sur la littérature du XIXe siècle entre Ancien Régime et Révolution, Les Aveux du roman. Elle s’est intéressée dans ces livres au statut du roman de l’univers démocratique en analysant comment était posée à travers cette forme littéraire la question de la place de la singularité et du principe de distinction dans le monde de l’égalité des conditions. Avec Varennes, la mort de la royauté, paru en 2005, Mona Ozouf a confirmé à la fois sa maîtrise de l’histoire de la Révolution et son exceptionnel bonheur d’écriture. Membre du Centre de recherches politiques Raymond Aron, Mona Ozouf signe aussi régulièrement des articles dans le Nouvel Observateur.
Restée attachée à la Bretagne, Mona Ozouf a écrit plusieurs fois des textes de grande qualité à propos de la langue et de la culture bretonnes dans divers journaux et revues. Elle a aussi préfacé en 2001 le livre Les Aventures extraordinaires du citoyen Conan, traduit du breton par Poalig Combot et publié par Skol Vreizh. Elle a également préfacé le livre courageux de Jean-Jacques Monnier, Résistance et conscience bretonne 1940-1945, publié en 2007 par Yoran Embanner.
Elle a reçu le Collier de l’Hermine en 2009 à Guérande.
Source : INSTITUT CULTUREL DE BRETAGNE
Depuis, Mona Ozouf a également publié La Cause des livres chez Gallimard en 2011, puis Jules Ferry : La liberté et la tradition, en 2014, De Révolution en République : les chemins de la France, en 2015 , et enfin L’autre George: À la rencontre de George Eliot en 2018.
Début 2019, sur invitation du romancier Patrick Deville et emmenés par l'historien Antoine de Baecque, des historiens, des chercheurs et des auteurs de tous horizons conversent, échangent autour – et en présence – de l'historienne. Avec complicité, ils abordent avec Mona Ozouf son ancrage breton, ses années étudiantes, ses amitiés et son parcours intellectuel.
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