Les travailleurs de la nuit

Une nuit avec des ramasseurs de volailles

En 2005, bien avant les caméras de L214, Jean-Jacques Rault dévoile les coulisses de l’élevage industriel de volailles. Ex-paysan en reconversion, il porte un regard sur le monde dont il est issu, un monde pris dans la spirale du productivisme, sujet qu’il continuera à explorer par la suite.

Ce qui frappe dans Une nuit avec des ramasseurs de volailles, ce n’est pas tant la dégradation de la condition animale que celle des hommes. Les ramasseurs sont le sous-prolétariat d’une industrie qui sait optimiser ses profits. Trimballés d’un poulailler à l’autre, ruisselants de sueur et pris à la gorge par l’âcreté de l’odeur des fientes et les poussières duveteuses, ces travailleurs sont privés de toute dignité, réduits à gérer leur survie entre un salaire dérisoire, des horaires impossibles et un corps épuisé. Un esclavagisme soustrait à nos regards, jusqu’à ce qu’un réalisateur en formation et sa complice Gaëlle Douel n’entrent dans ces ténèbres armés de leur caméscope pour simplement relater ce qui s'y passe.

Un témoignage dérangeant pour le système en place, qui n'a guère évolué depuis.

UNE NUIT AVEC DES RAMASSEURS DE VOLAILLES

de Jean-Jacques Rault (2005 - 27')

Toutes les nuits, des hommes et des femmes ramassent manuellement des milliers de volailles pour assurer l’approvisionnement des abattoirs. Dès 20h00, ils partent d’élevage en élevage jusqu’au petit matin, parcourant certaines nuits plus de 400 km. Dans chaque poulailler, ils devront mettre en caisses plus de 20 000 poulets. Agenouillés dans les fientes, ils attrapent les volailles par les pattes, puis les mettent en caisses. Celles-ci sont aussitôt acheminées vers l’abattoir. Véritable lien entre les élevages et nos assiettes, ces ouvriers de l’ombre, partent plus de 60 heures par semaine pour un salaire mensuel brut de 970 €. Au-delà de leurs conditions de travail, ils nous racontent leur vie de tous les jours, une vie faite d’espoirs mais surtout de fatalisme face à la place qui leur est accordée dans la société. Au rythme des transports, des ramassages, des pauses, le film retrace leurs vies au travers d’une de ces nuits.

INTENTION

S'intéresser à la condition humaine des paysans

Pause cigarette après ramassage de volailles

par Jean-Jacques Rault

2003. Je rentre en DESS de réalisation documentaire à Poitiers. Pour mon film de fin d’étude, j’ai l’envie de filmer l’agriculture industrielle. Pour la dénoncer, pour mettre en lumière les désastres qu’elle engendre. Ce qui m’intéresse alors, c’est principalement la condition humaine, les paysans qui ne vivent pas de leur travail, ceux qui doivent quitter leur terre, les emplois induits que ce modèle propose… Le sujet est tellement vaste.
Je tente alors de l’aborder par la petite porte : la condition des ramasseurs de volailles. Personne, ou si peu, ne connait l’existence de ces travailleurs, comme si tout à chacun occultait le temps entre le moment où le poulet est dans l’élevage et celui où il arrive dans notre assiette. Et pourtant, dans cet espace temps, il y a ces métiers que nous ne voulons pas voir, les ramasseurs mais aussi les ouvriers d’abattoirs. Il y a des hommes et des femmes qui se détruisent petit à petit en essayant de garder leur dignité.

Au delà de la rémunération, qui certes est scandaleusement basse dans leur cas, est-ce que la dignité humaine est respectée dans ce genre de métier ? Bien évidemment que non, et même s'il y a pu y avoir des évolutions salariales, l’argent ne peut compenser de broyer physiquement et moralement des hommes et des femmes.

Je les regarde vivre et travailler et une question me taraude : Nous avons le même âge pour certain, nous sommes fabriqués pareil, alors pourquoi, moi, j’essaye de choisir ma vie et eux, la subissent ?

BIOGRAPHIE

Jean-Jacques Rault

Jean Jacques Rault

Issu d’une famille paysanne, Jean-Jacques Rault a commencé par travailler la terre, à Mellionnec (Centre Bretagne). Sa rencontre avec la cinéaste Manuela Frésil provoque un déclic et le met sur la voie de la réalisation. Il travaille à ses côtés puis se dirige vers un master spécialisé dans le documentaire à Poitiers. Il en résulte Une nuit avec des ramasseurs de volailles, son film de fin d'étude, qui sera primé au festival de Douarnenez. Il a réalisé plusieurs autres documentaires sur la vie paysanne et le devenir de l'agriculture, tels que Vague à l’âme paysanne et Mille et une traites, ou encore Au risque d'être soi, à retrouver sur KuB. Il a cofondé Ty Films avec Gaëlle Douël, association qui organise depuis 2007 les Rencontres du film documentaire de Mellionnec.

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REVUE DU WEB

Travailleurs de l'ombre

LE TÉLÉGRAMME >>> L'élevage intensif en images et en questions samedi à Poullan : l'Ulamir du Goyen, Daoulagad Breizh et le Festival de cinéma s'associent pour ouvrir le débat sur l'une des réalités du monde agricole d'aujourd'hui.

AGENCE BRETAGNE PRESSE >>> Jean-Jacques Rault, un cinéaste paysan à la parole juste : Ce film a permis de faire prendre conscience aux responsables de l'urgence d'améliorer leur condition.

COMMENTAIRES

  • 10 décembre 2023 22:58 - Bloss

    ces monstrueux élevages de volailles ne devraient plus exister depuis belle lurette, ce ne sont pas les ramasseurs que je plains, ce sont ces pauvres bêtes qui sont traitées comme de vulgaires choses, accepter d'y travailler c'est perpétuer un modèle mortifère et indigne de notre supposée 'humanité' !

CRÉDITS

réalisation Jean-Jacques Rault
assistante réalisation Gaëlle Douël
image G Douël, JJ Rault, Aurore Sanguinetti
son Guillaume Fournier

montage Mélanie Le Clech
mixage Guillaume Fournier, Charles Gasté, Johann Boos

production DESS réalisation de documentaires (Poitiers)
avec le soutien de la Région Poitou-Charentes

Artistes cités sur cette page

Jean Jacques Rault

Jean-Jacques Rault

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