Pascaline et Klara
Pascaline et Klara sont des archétypes et des modèles. Deux personnages de choix pour voir concrètement comment est vécu l’accès aux études supérieures pour des jeunes issus de classes défavorisées.
Le financement des études est une question cruciale de notre démocratie, sa privatisation peut conduire une société à la faillite, comme les États-Unis le démontrent avec des frais de scolarité multipliés par vingt en trente ans et une dette étudiante dépassant les mille milliards de dollars.
À l’histoire des deux filles, tournée par Céline Dréan sur l’année universitaire 2011-12, se mêle l’actualité de la campagne des présidentielles. La question de l’engagement politique de cette génération est donc aussi au programme de Pascaline et Klara. KuB a voulu savoir où elles en sont, cinq ans plus tard.
PASCALINE ET KLARA
PASCALINE ET KLARA
par Céline Dréan (2012-52')
Pascaline et Klara sont étudiantes à Rennes, elles ont 22 ans et sont amies. Elles viennent de milieux populaires et doivent travailler pour financer leurs études. Elles sont à l’âge où l’on s'affranchit des origines familiales pour choisir seule la route à prendre. Entre leurs petits boulots, le mémoire à écrire, le militantisme, les copains et la famille, elles se construisent en se cognant au monde qui les entoure. Sur fond de campagne présidentielle, Pascaline et Klara cherchent leur avenir.
un film produit par >>> Gilles Padovani .Mille et Une.films
Entrer dans l'âge adulte
Entrer dans l'âge adulte
Automne 2018 : plus de six ans après la fin du tournage de Pascaline et Klara, la réalisatrice Céline Dréan leur demande ce qu’elles sont devenues depuis, où en sont leurs rêves. Elles ont étonnement suivi le chemin qu’elles s’étaient tracé toutes les deux, chacune à sa manière. Klara est revenue récemment à Rennes après des années de voyages et d’expériences diverses et Pascaline vit à Paris. Je leur ai demandé quelques nouvelles, à l’aube de leurs trente ans.
Qu'avez-vous fait depuis que je vous ai filmées ?
Klara : Après mon master je suis partie vivre à Tournai en Belgique dans une maison d’artistes. C’était super, riche, intense… Mais au bout d’un moment, j’ai eu envie de faire autre chose, alors je suis partie faire une saison dans les Alpes, et là, j’ai vraiment appris des tas de choses. C’était intense parce que j’avais deux boulots : réceptionniste dans un grand hôtel - où j’ai progressé à fond en anglais - et assistante pédagogique dans un collège, c’est-à-dire que je prenais des petits groupes d’élèves pour les aider à travailler.
Après cette période de travail quasi permanent, j’avais suffisamment d’argent pour m’acheter un appareil photo, et je suis partie faire un tour d’Europe. C’était formidable, un moment très important pour moi. J’ai fait des rencontres, des rencontres et encore des rencontres…
Un fois rentrée, après un bref passage en Bretagne, je suis allée vivre trois ans à Bruxelles, tout en faisant des allers/retours en Serbie où j’avais vraiment créé des liens forts pendant mon périple. À Bruxelles, j’ai travaillé pour Greenpeace, donné des cours particuliers, assisté un avocat pour la réédition d’un livre... Et en janvier 2018, je suis partie en Serbie où j’ai passé 6 mois à travailler dans une école, avec des enfants et des adolescents, encore un voyage incroyable !
Pendant ces six années, évidemment le féminisme a toujours été présent ! Quand je bossais au collège dans les Alpes, j’avais organisé un groupe de discussion qui s’appelait Paroles de filles après avoir vu un garçon insulter une adolescente dans la cour en toute impunité. Et puis plus tard, à Bruxelles, j’ai monté un fanzine qui s’appelle Soromance, avec une amie. Enfin, c’est plutôt entre le fanzine et le livre d’art. Chaque numéro explore un thème en l’observant sous plein de perspectives différentes.
Et puis l’an dernier, ma mère a eu des problèmes de santé et je suis revenue un peu plus tôt que prévu. Cet été, j’ai décidé de revenir vivre à Rennes, notamment pour me rapprocher de mon ami et de ma famille.
Pascaline : L’été 2012, je m’apprêtais à refaire une année universitaire pour terminer mon mémoire, et puis un jour, mon téléphone a sonné - je me souviens que j’étais avec Klara - et c’était France Culture qui m’annonçait que ma demande de stage avait été acceptée ! Alors je suis partie à Paris et j’ai commencé à travailler comme assistante stagiaire de production pour l’émission La Dispute d’Arnaud Laporte. Je m’occupais de la programmation, de la documentation, du web. Et en parallèle, je rédigeais mon mémoire ! Je l’ai bouclé en deux mois avec une mention très bien ! C’était une période hyper intense, j’avais vraiment l’impression de renaître après une année très dure. J’avais une sensation d’adrénaline pure.
Depuis, j’ai travaillé sur de nombreuses émissions comme attachée de production ou collaboratrice spécialisée, dont Du côté de chez soi d’Ali Rebeihi ou Continent Musiques de Matthieu Conquet entre autres, en cherchant toujours à être au plus près du cinéma et de la musique. Passée l’euphorie de la première année, ce n’était pas toujours simple, parce que les collaborateurs qui ne sont pas en CDI à Radio France ont des statuts précaires qui peuvent s’éterniser. C’est assez étrange d’écrire une lettre de motivation pour postuler à un CDI dans une entreprise dont on fait partie depuis plusieurs années, mais c’est ce que j’ai fait quand l’opportunité s’est présentée l’an dernier. Et fin juillet 2018, six ans presque jour pour jour après le fameux coup de fil de 2012, j’étais de passage à Rennes, en route pour retrouver Klara, et j’en ai reçu un nouveau : celui qui m’annonçait que j’étais embauchée !
Qu’est-ce qui vous préoccupe à présent ?
Pascaline : C’est un peu paradoxal parce que comme tu mets des années à obtenir un statut, quand ça arrive tu n’es plus dans la même énergie par rapport à ton projet de départ. C’est une temporalité un peu perverse parce que je devrais être contente, avoir un sentiment d’accomplissement ou de tremplin, mais en réalité cette précarité m’a sans doute un peu usée et la vie parisienne me pèse. Cette année, je travaille pour Juke Box d'Amaury Chardeau, Plan Large d'Antoine Guillot et Une Vie, une Œuvre coordonnée par Christine Bernard. Le nombre de tâches liées à mon poste fait que je n’ai plus le temps de faire des reportages ou des interviews, ce que j’aime par-dessus tout ! Du coup, l’ambition que j’avais en arrivant, cette adrénaline, me semble désormais un peu loin. Par contre, ce CDI me permet, si je le souhaite, d’envisager des perspectives sur le moyen terme pour la première fois, sans cette précarité de l’emploi qui était paralysante et me maintenait dans le court terme. Et puis, peut-être que les vieux démons reviennent. J’ai toujours cette sensation de ne pas être à la hauteur,
que je ne pourrai pas aller plus loin, même si je sais que je suis une bonne collaboratrice. Par contre, il y a une chose que je revendique, c’est mon master de cinéma et je tiens beaucoup à ce que soient reconnues mes compétences dans ma spécialité. Nous ne sommes pas interchangeables, c’est quelque chose que je défends ! Sur le plan privé, un an après mon arrivée à Paris, j’ai rencontré mon ami, avec qui je vis aujourd’hui. Nous venons tous les deux de la campagne et Paris nous stresse et nous fatigue. Et puis mes parents vieillissent aussi, ils continuent de s’abimer dans leurs boulots respectifs, ma mère est toujours peintre en bâtiment, avec une prothèse de hanche, mon père se lève à 4h30 et après une pause l’après-midi, il ne termine sa journée qu’à 20h. J’aimerais bien ne pas être trop loin d’eux. S’ancrer quelque part, acheter quelque chose, avoir des enfants, ce sont des questions qui se posent et qui sont compliquées en ce moment pour nous.
Klara : Depuis mon master, j’ai beaucoup bossé dans le domaine de l’éducation et ça me plait, alors j’ai commencé à me dire que c’était peut-être une voie à suivre. J’aime bien les publics un peu en marge, mais je sais que travailler dans l’éducation spécialisée peut être très difficile, t’atteindre un peu trop ou même t’envahir, alors j’ai d’abord cherché un contrat court. J’ai envie de tester si j’ai la capacité de distanciation nécessaire pour que ce soit faisable à long terme. Depuis la rentrée, je travaille donc à l’EREA à Rennes (Établissement Régional d'Enseignement Adapté), j’y suis surveillante. C’est une structure publique qui accueille des collégiens en grosses difficultés scolaires ou comportementales. Ils ont bien souvent des histoires très dures. Pour l’instant, je trouve ça passionnant mais dur. Et j’observe le fonctionnement de tout ça. En ce moment, je me pose beaucoup de questions sur la manière dont je veux vivre les années qui arrivent. Est-ce que je m’engage dans un travail qui rejoint mes combats (l’éducation, le féminisme), ou est-ce que je choisis un métier tout autre, en continuant de militer et de mettre en œuvre mes valeurs au quotidien ? J’ai lu un livre de Simone Weil récemment, L’enracinement, qui m’a bien interpelée parce qu’elle y parle des racines. Et moi qui aime tant voyager, j’en ai retenu que le militantisme, ça peut aussi être de s’ancrer dans un endroit, et d’y rester pour en comprendre le sens, les enjeux.
Quel souvenir as-tu de cette époque du tournage ?
Klara : À l’époque du film, j’ai l’impression qu’on était en pleine mutation. Entre le moment où on s’est rencontrées, le moment où tu as tourné et quand il a été fini, on changeait vachement. Je trouve que c’est un moment où Pascaline comme moi, on sortait de nos zones de confort ; on était habituées à des fonctionnements et on était sur le point d’en changer complètement.
Pascaline : C’était une période difficile émotionnellement, une année d’angoisse dont je garde une sorte de flou. Si j’ai envie d’en garder un souvenir, c’est le coup de fil de France Culture ! Mais ce qui est drôle, c’est qu’à l’époque, j’avais l’impression d’être déjà dans l’âge adulte. Alors qu’en partant à Paris travailler, finir mon mémoire, changer d’environnement, j’y suis réellement entrée. Et d’ailleurs aujourd’hui, avec les nouvelles questions qui se posent, les nouveaux choix à faire, c’est encore un moment charnière.
Les rêves et les combats
Les rêves et les combats
par Céline Dréan
Klara et Pascaline sont nées en 1989, l’année de la chute du mur de Berlin. J’avais quatorze ans et je me souviens très bien des images télévisées de l’époque. Cet événement a été une véritable prise de conscience pour moi : je faisais partie d’un monde qui bougeait, j'étais de fait un être politique. Pour Klara et Pascaline, ce sont le 11 septembre, la guerre en Irak, ou le 21 avril 2002 qui ont fait office de chocs. Nous n’avons pas tout à fait une génération d’écart et pourtant, en les écoutant, je me rends compte de ces quinze années qui ont passé depuis mes années fac. Et je vois déjà que nos jeunesses différent.
Comme elles, j’ai étudié le cinéma à l’université de Rennes, mais pour moi, c’était dans les années 90. Et puis, je suis intervenue au sein de ce département pour animer des ateliers de réalisation entre 2001 et 2008. Au fil de ces années, j'ai eu le sentiment que les étudiants s’assombrissaient, perdaient de leur énergie et de leur joie à faire des films, de leur saine insolence aussi. Il y avait ceux qui travaillaient à côté, trop pour pouvoir suivre leurs études correctement, et puis surtout, ceux qui ne comprenaient pas ce qu'ils faisaient là. La dernière année de mes interventions, j’ai été frappée par leur manque de foi en l’avenir.
Et puis j’ai rencontré Pascaline et Klara, deux étudiantes-salariées.
Elles sont volontaires, débrouillardes, motivées dans leurs études, mais aussi angoissées et plutôt désabusées par le monde qui les entoure. Face à cette inquiétude, elles ont décidé de se battre sur tous les fronts. Elles sont militantes, féministes, elles travaillent, s’organisent, s’engagent. Je les trouve belles et émouvantes, dans ce temps qui n’est plus celui de l’adolescence, mais qui n’est pas encore tout à fait celui de l’adulte.
Faire un film sur Pascaline et Klara, c’est d’abord regarder cette réalité souvent réduite aux statistiques : celle des étudiants précaires. L’université a changé, ses occupants aussi. Il ne s’agit pas seulement de sociologie, mais d’une réalité très concrète. Au-delà (ou en-deçà ?) des débats politiques sur la place des jeunes et leur statut, je voudrais prendre le temps de regarder ces deux jeunes femmes. Comment font-elles pour concilier leurs deux vies, quelles contraintes subissent-elles, mais aussi quelles forces en tirent-elles ? Cette manière différente de vivre leurs études agit sur leurs relations à la famille, au travail, au groupe.
L’itinéraire de Pascaline et Klara n’est pas un conte de fée, mais elles ont toutes les deux fait le choix de se battre pour une voie difficile. Ces dernières décennies, la place du rêve a sans doute changé en même temps que celle du travail, de l’argent et de la famille. Faire un film sur ces deux jeunes femmes, c’est aussi questionner ce qui agit de manière souterraine dans la quête d’une réussite. Ce qui pétrit une aspiration, dans quelle mesure l’héritage social est à l’œuvre dans un parcours individuel, et comment la place dans la famille construit aussi une route.
Pascaline et Klara ne pourraient pas être mes filles. Elles sont comme des petites sœurs, avec tout ce que cela implique de parenté et de différences. Je voudrais les regarder avec bienveillance et sans complaisance ; tenter de donner à voir ce moment de bascule, cet entre-deux des études que j’avais vécu comme sur une île, et qui semble prendre l’eau.
A quoi rêvent-elles et pour quoi se battent-elles ?
Céline Dréan
Céline Dréan
Elle vit à Rennes où elle a fait ses études d’Arts du spectacle à l’Université Rennes 2. Elle a réalisé son premier film en 2004, La Mémoire d’Alan sur le travail du dessinateur Emmanuel Guibert. En 2010, elle réalise Le Veilleur qui reçoit une Étoile de la SCAM l’année suivante et est sélectionné par le Festival international du film sur l’art de Montréal en 2012…
Les jeunes boudent le militantisme traditionnel
Les jeunes boudent le militantisme traditionnel
FRANCE 24, Gallagher Fenwick et Philip Crowther >>> Aux États-Unis, des millions d'étudiants sont contraints de s'endetter lourdement pour pouvoir financer leurs études supérieures. Seuls ou avec leur famille, ils empruntent des dizaines de milliers de dollars sur plusieurs années, mais ils ne parviennent pas toujours à rembourser leurs dettes à leur sortie de l'université et sont contraints de démarrer leur vie active déjà endettés.
LE FIGARO, Hugues Lefèvre >>> S’ils sont prêts à s’investir dans le milieu associatif, les jeunes boudent l’engagement politique traditionnel.
29 janvier 2019 20:02 - Jean-Claude LE BORGNE
Très bon reportage, avec 2 belles personnes auxquelles on ne peut que souhaiter une très belle vie. La réalisatrice a beaucoup de talent, on se croirait dans une fiction... en mieux.