Ici, avant
Se voir confier un fond d’archives cinématographiques sur un territoire donné, et en tirer un récit historique sur le caractère de ses habitants, c’est ce que Xavier Liébard a entrepris avec la Cinémathèque de Bretagne, à propos des Monts d’Arrée, où il venait de tourner un road movie documentaire.
Épargnée par les Trente glorieuses, la Bretagne intérieure a gardé une connexion au passé : Ici rien n’a été effacé. Paysage âpre et grandiose, terre aride, acide, cette montagne, il faut du courage pour oser y rester. À travers sa narration, le réalisateur exprime son admiration pour un peuple qui fait courageusement face au dénuement, déployant une force collective, une capacité à résister à l'adversité.
En nous faisant rencontrer ces sauvages qui ont échappé à l’embourgeoisement, Xavier Liébard et la Cinémathèque nous rappellent à point nommé où nous en étions, avant que ne s'impose la société de consumation.
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TERRES DE LUTTE
TERRES DE LUTTE
de Xavier Liébard (2012 - 20')
Les Monts d'Arrée se trouvent au beau milieu du Parc régional d'Armorique, une terre ingrate longtemps restée victime de préjugés, une terre de luttes où la pauvreté et la dureté de la vie ont ancré des principes de survie et de résistance face aux éléments. À base d’images d’archives amateurs déposées à la Cinémathèque de Bretagne, sur un texte inspiré de La vie dans les Monts d’Arrée, des années 30 à nos jours, une interview de Jean-Pierre Cloarec, adaptée et interprétée par Xavier Liébard.
>>> un film produit par La Cinémathèque de Bretagne
Bâtir une identité
Bâtir une identité
par Xavier Liébard
Dix ans après le tournage de Chemin des brumes, le directeur de la Cinémathèque de Bretagne Gilbert Le Traon m’a fait une proposition. Il avait découvert le film et voulait le ressortir en DVD. Il m’a proposé de me confier toutes les archives de la cinémathèque sur les Monts d’Arrée afin d’en tirer un film. J’admirais la finesse de Gilbert le Traon, ses liens avec René Vautier, sa collaboration sur Un homme est mort et bien d’autres projets, et j’étais très honoré qu'il me donne carte blanche.
J’ai récupéré dix heures d’images de grande qualité, qui s’échelonnent entre 1920 et les années 2000, et me suis lancé dans l’idée du portrait d’un paysage que j’aimais mais que je connaissais bien mal. Pour tenter de le comprendre, j’ai fait une série d’entretien avec Jean-Pierre Cloarec qui fut pendant vingt ans responsable de l’Écomusée des monts d’Arrée à Commana. J’ai eu l’impression de découvrir une sorte de paysage des origines, vierge. Il m’a expliqué qu’au contraire, les Monts d’Arrée comptent de centaines de traces de la présence de l’homme, enfouies et sédimentées. Les habitants de cette Bretagne intérieure ont longtemps été victime des préjugés et ils ont résisté pour se bâtir une identité.
Une fois le film terminé, nous sommes revenus avec l’équipe de la Cinémathèque de Bretagne le montrer aux habitants. Ils sont venus très nombreux, c’était très émouvant de voir les gens tenter d’apercevoir ici ou là, un oncle, un père ou une mère. C’était d’autant plus fort que ces images étaient les premières jamais tournées dans les Monts d’Arrée. Aux débuts du cinéma, les actualités ne s’intéressaient pas du tout à la Bretagne intérieure. Les cinéastes amateurs parfois inconnus, rendaient à ce territoire sa force et son courage.
Lorsque je suis remonté, dix ans plus tard, en haut du Mont Saint Michel de Braspart, sous la brume, j’ai ressenti la même émotion que celle que j’avais ressentie dix plus tôt. Elle était toujours là intacte et mystérieuse.
Jean-Pierre Cloarec, l’homme qui paysage.
Jean-Pierre Cloarec, l’homme qui paysage.
par Xavier Liébard
J’ai rencontré Jean-Pierre Cloarec en juillet 1999, je développais mon premier film documentaire sur les Monts d’Arrée depuis 3 mois et il se révélait impossible avec les personnages choisis. Il fallait renoncer et tout reprendre à zéro. J’étais un peu perdu et pourtant il y avait la beauté de ce paysage de crêtes schisteuses qui m’aimantaient et m’incitaient à suivre une intuition fragile. Un peu désespéré, je suis tombé sur l’ écomusée des Monts d’arrée au Moulin de Kerouat. Jean-Pierre Cloarec le directeur, un homme jovial m’a accueilli avec son sourire franc. Très vite je me suis senti en confiance. Je lui ai parlé de mon film avorté, de ma fascination pour Anatole Lebraz, des intersignes et de l’ambiance qui régnait ici dans les Monts d’Arrée. Il y avait de l’écoute et de l’intelligence chez cet homme, une curiosité pour la rencontre et une capacité très forte à relier les connaissances entre elles pour qu’elles rentrent en résonance. Comprenant profondément mes intentions, Jean Pierre m’a incité à ne pas laisser tomber.
Il m’a orienté vers Henry Rolland un des derniers ardoisiers de Commana. Je suis allé le voir chez lui, la rencontre était solaire, toute la vie de cet ardoisier avait été habitée par la pierre bleue et son regard s’illuminait lorsqu’il parlait de la montagne. Enchanté, je suis retourné voir Jean-Pierre, Nous avons longuement échangé sur l’orientation que prenait mon nouveau film. Jean-Pierre m’ a conseillé d’aller voir Cécile, une herboriste un peu ermite aux portes de la forêt d’Huelgoat. J’y suis allé, Cécile était dure d’apparence, mais elle dégageait une franchise et une liberté merveilleuse. Elle m’a entrainé à travers les landes dans ses balades secrètes et j’ai senti que le chemin des brumes prenait corps. A mon retour, Jean-Pierre m’a laissé les coordonnées de Jean Uguen, un radiesthésiste très apprécié des agriculteurs qui guérissait les bêtes malades des ondes avec sa baguette de sourcier. J’entrais dans un monde étrange, dont Jean-Pierre semblait avoir les clés. Les moulins de Kerouat se transformaient pour moi en refuge. Lorsque je suis revenu en 2003 après le refus du film par TV Breizh, Jean-Pierre était à nouveau là avec les associations du coin, l’association Addes de Botmeur et le cinéclub le P’tit Seize de Sizun, pour organiser une série de projections de soutien qui ont fait grand bruit à l’époque. Peu importe ce que pensait le diffuseur, les gens des monts d’Arrée, aimaient ce film qui leur parlait. 7 ans plus tard, Gilbert Le Traon séduit par ce film, m’a confié une partie des archives de la Cinémathèque de Bretagne sur les Monts d’arrée, j’ai immédiatement repensé à Jean Pierre. Je suis allé le voir à Morlaix pour comprendre les Monts d’Arrée mais cette fois sous l’angle de sa transformation, historique, géologique, et sociologique. Nous avons fait de longs entretiens enregistrés accueilli par Cathy sa femme. Jean pierre déroulait ses connaissances par strates. Il avait accès à une complexité une profondeur qui était liée à sa connaissance du terrain. Une nouvelle fois, je me laissais guidé émerveillé par ses récits. Une fois sur la table de montage, j’ai trié, organisé, découpé nos entretiens. Je n’avais pas besoin d’aller voir d’autres témoins, il suffisait de suivre le fil de sa pensée. De ces entretiens naitront, mon second film sur les Monts d’arrée, Terres de luttes. Nous vivrons une dizaine de projections ensemble à présenter ces deux films dans de nombreux lieux de Bretagne avec la Cinémathèque. Jamais je n’ai trouvé si généreux passeur de paysage. Rétrospectivement je me rend compte que vingt années ont passés depuis notre première rencontre et qu’il aura toujours été là pour me soutenir. Il aura été pour moi une sorte d’Ange gardien, un phare dans la trajectoire bien compliquée d’un premier film.
J’ai appris plus tard que Jean Pierre Cloarec avait travaillé 25 ans comme directeur aux Moulins de Kerouat, puis qu’il s’était beaucoup investi dans la vie associative et politique de Morlaix. Qu’il avait été à l’initiative du circuit des lavoirs, qu’il restaurait lui-même des fontaines dans ses moments de loisirs. Qu’il était à l’origine de la vélorution, un parcours à vélo et pied écologiste dans la région de Morlaix. J’ai retrouvé dans ces engagements citoyens, un appétit pour l’action et une passion pour la Bretagne si belle et si mystérieuse. Merci Jean Pierre Cloarec, l’homme qui paysage de m’avoir appris à aimer les Monts d’arrée !
6 janvier 2022
Jean Pierre Cloarec est décédé, le 21 décembre 2021 à l’âge de 69 ans des suites d’une maladie. De nombreux hommages lui de la société civile et des associations lui ont été rendus à Morlaix.
Xavier Liébard
Xavier Liébard
Né en 1968 à Nantes, Xavier Liébard découvre le théâtre et la mise en scène lors d’un atelier au lycée Clémenceau. Il fondera plus tard une compagnie universitaire de théâtre. À la même période, il entame une activité de photographe. De fil en aiguille, il devient assistant sur des projets de théâtre ou de courts métrages. Il intègre la Fémis en 1993, ce qui lui permettra de réaliser ses premiers films, et de croiser le chemin de pointures telles que Arnaud Desplechin et Claude Miller. À l’issue de sa formation, il s’oriente vers le documentaire avec la réalisation de Chemin des brumes, en 2003. Il intervient régulièrement à la Fémis, et ponctuellement dans d’autres structures, par exemple dans une école de cinéma en Tunisie. En 2010, il a cofondé les laboratoires documentaires d’Alger.
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