Home alone
Un rêve éveillé, ou plutôt réveillé par une avide envie de création qui déborde de partout.
At last, home alone (Enfin seuls à la maison) est l’unique reliquat vocal que l’on entendra ici, dans le post-rock très, très majoritairement instrumental des rennais Totorro, et cette phrase tombe fort heureusement bien à plat, car si l’on en croit les images de ce clip, les turbulents bambins ne sont pas si seuls à la maison. Pas si seuls puisqu’elle regorge, que dis-je, déborde de créatures et de créativité, de couleurs et de couleuvres, véritable mythologie à elle seule, les traits précis de Claude Autret redessinant les contours de la réelle demeure qu’occupaient les quatre musiciens, nichée à quelques bonnes foulées de Rennes. Après tout, plus on est de fous, plus y’a de riffs, comme pourraient en témoigner leurs compères de Mermonte.
Home Alone se lance à la poursuite du « pour vivre heureux, vivons cachés »… un rêve musical haut en couleurs, auquel vous êtes grandement invités, et qu’il est grand temps de vous faire partager si vous étiez passés à côté ! Rivers Cuomo chantait déjà pour Weezer le bonheur de vivre reclus dans son garage, à composer des tubes à l’abri des regards et des grains de sel, pour le simple plaisir d’être ensemble et surtout bien planqués chez soi. En voici une réponse, dans un autre style et vingt ans après, avec Home Alone et son clip animé – dans tous les sens du terme – comme une véritable ode à la maison, un hymne aux casaniers et sédentaires intrépides plutôt qu’aux voyageurs présomptueux. Un repli chez soi qui n’a rien d’aliénant, vaisseau au contraire d’un monde de chimères à portée de mains. Une route vers l’inconnu sans goudron et sans terre, mais qui suit le mouvement d’une tablature de guitare et les courbes d’un stylo feutre. Le “home sweet home“, espace intime nous protégeant habituellement contre les désordres et le chaos du monde, est ici à l’origine d’un joyeux bordel organisé.
Arche de Noé musicale ou bestiaire de breaks endiablés, il n’est en tout cas pas question d’odyssée ulysséenne puisque l’on reste – pas si tranquillement – chez soi. Le sésame : un riff de gratte et trois coup de tom ! La porte de la tanière Totorro s’ouvre alors, et c’est une aventure sédentaire qui nous tend les bras. La nature immerge et transcende les pièces du quotidien : flamands roses, animaux marins et paresseux ont pris possession des lieux. Les musiciens, miniatures, apparaissent dans les herbes soudain hautes du jardin, et immergent l’écran d’une couleur nouvelle. Tout se mélange alors, l’infiniment grand rejoint l’infiniment petit, le cosmos est à deux pas du salon, et les fonds marins jaillissent du parquet au rythme de transformations ovidiennes. Un rêve éveillé, ou plutôt réveillé par une avide envie de création qui déborde de partout, en une palette de notes, de tons, de teintes et de références à en perdre son latin – ou son arithmétique.
La journaliste Mona Chollet nous souffle justement dans son Chez Soi – Une odyssée de l’espace domestique, que l’essentiel se joue « dans le quotidien, dans l’ordinaire, et non dans sa suspension ». Un quotidien très musicalement magnifié, et magnifiquement dessiné. Un quotidien où la banalité d’une chambre mal rangée s’efface au profit de la créativité, où la morosité – le noir et blanc du dessin, la routine du quotidien – se disperse dans un ravage de couleurs vives. Nul besoin ici d’aller chercher très loin pour faire éclater les lueurs, et naître les idées : le groupe est sa propre légende, la maison de Lassy un eldorado aussi accessible que mystérieux, un îlot de nature, bien connu de ses aficionados, qui participe à la renommée du groupe. L’aventurier est l’ami qui vient frapper à la porte de ce Xanadu breton, pour partager avec eux cette routine dégénérée.
C’est cette invitation au voyage musical et humain qui se lit sous les traits animés de Claude Autret, et à travers les notes à la rigidité divine de l’épicurien math-rock du groupe. Bienvenue chez vous alors ! Totorro vous livre ici les clés d’un royaume en forme de cool, et de références cinéphilo-proustiennes à une enfance (bien) vécue dans les années 90’s. À travers ce clip, on se revoit malade et la goutte au nez, paquets de mouchoirs et de chocos BN à la main, en train de se consoler avec Macaulay Culkin devant Maman j’ai raté l’avion (référence du titre), ou dans le jardin familial à refaire la scène du ride à dos de fourmi de Chéri j’ai rétréci les gosses. Le pays imaginaire des Totorro, véritables Peter Pan musicaux, se voit distillé dans leurs autres clips : on retrouve avec une joie béate cette même maison-oasis festive et hors du temps dans Chevalier Bulltoe, étendard à l’adolescence éternelle. On s’évade aussi avec le voyage, cette fois-ci bien réel sur la dune du Pilat, des aventuriers de pacotille de Tonton Alain Michel, où le groupe s’improvise pour l’occasion en Castors Juniors version indé.
Ainsi les Totorro jouent sans cesse, à être des enfants, des adultes, des sportifs de haut vol ou des explorateurs. Mais ils jouent surtout super bien de la musique. Alors si nous sommes de l’étoffe dont les songes sont faits, je veux sans hésiter être de ceux de ces quatre garçons.
HOME ALONE de Totorro
HOME ALONE de Totorro
Réalisé par Claude Autret (2014 – 1’40)
TOTORRO
TOTORRO
Avec leurs potes de Jean Jean parmi d’autres, les Rennais s’avèrent de sacrés avaleurs de bitume, un penchant pour la route qui les emmène en Europe de l’Est et en Scandinavie avec les moyens du bord et un groupe encore tout jeune. L’expérience paie, TOTORRO s’affirme en une paire d’années comme une des valeurs sûres du rock stellaire en France et hors de nos frontières. Le quatuor fait le pont entre post-rock/screamo passionné à la Envy et mélodies emo dans la lignée d’American Football, groupe des nineties que le groupe cite souvent en influence. Une ambivalence qui rend TOTORRO à la fois accrocheur et intense, léger et heavy en cassant l’image prise de tête et sérieuse du post-rock. Sur scène l’union est palpable, le son fait bloc et le public repart toujours bluffé, le sourire naïf. Pas de chant – ou à de rares reprises – c’est instrumental mais jamais chiant, compliqué mais toujours catchy.
Ouest France >>> Une claque sonore et une énergie scénique communicative ! Très à l’aise sur la grande scène du Cargö de Caen, les quatre garçons de 23 ans ont joué un rock à guitares instrumental généreux. Les rythmes se cassent, les mélodies sont pleines de tiroirs, mais cette musique raconte des histoires. Sur scène, Totorro est le groupe de « post rock » qui touche les plus réticents à ce style élitiste.
CLAUDE AUTRET
CLAUDE AUTRET
Graphiste multimédia basé à Rennes, Claude Autret est spécialisé dans le motion design et la vidéo, mais travaille autant dans l’illustration sur papier que sur le web.
La réalisation du clip de Totorro a nécessité environ 1500 dessins.
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