Avant la motorisation

d'Alain Pichon (2024 - 56’)

Montage inédit et original d'archives de la Cinémathèque de Bretagne, sur les voiliers en pêche des années 1930-40, juste avant la motorisation et la disparition progressive de la voile de travail : des terre-neuviers, thoniers, dragueurs, sardiniers, caseyeurs, goémoniers, sauveteurs en mer… Un film sur les bateaux, les gestes au travail et les conditions de vie des gens de mer.
Présenté à la 13e édition du festival de films Pêcheurs du monde de Lorient en mars 2022, ce film, premier de la série L’image du pêcheur à travers le cinéma documentaire, est une fenêtre sur l’histoire des communautés de marins pêcheurs, la dynamique des littoraux et la vitalité des territoires. Il s’inscrit dans une démarche de valorisation du patrimoine et dans la compréhension de l’évolution du milieu maritime.

>>> un film produit par La Cinémathèque de Bretagne et le festival Pêcheurs du monde

par Alain Pichon

À l’aube du cinéma, le monde des pêcheurs a fasciné les réalisateurs amateurs et professionnels. Ces derniers ont saisi des instantanés, conscients de la fugacité d’une communauté maritime en marge de la modernité et menacée par elle. Ces films ont parfois été sauvegardés, en particulier par les cinémathèques. J’ai ainsi pioché dans cette matière, conservée par la Cinémathèque de Bretagne, pour réaliser un film muet, rythmé par des cartons, comme au début du cinéma, pour contextualiser et accompagner le spectateur dans cette grande époque de la voile de travail. Ainsi, au moment de sa sortie, en 2022, le film Voiliers en pêche est un film muet ! Je l'ai voulu ainsi. Par respect des archives mais aussi pour donner à voir ce qu'était le cinéma à l'époque... Il faut imaginer 56 minutes de projection de film sans un bruit dans la salle. Surprenant et émouvant tellement le son, le bruit, sont devenus la seconde nature du cinéma. Mais, à l'époque aussi, parfois, un pianiste dans un coin de la scène accompagnait les images... J'y pensais sans y penser. Pas facile quand on veut coller la musique aux images. Surtout quand j'imaginais que les musiciens ne seraient pas un ou une mais plusieurs...et que les traditions musicales devraient changer selon les types de pêche....et qu'on ne pourrait pas ralentir ou stopper le film pour l'accorder aux séquences musicales ! Puis, un jour d'été, en nageant devant des bateaux à voile (on se rappelle toujours quand est venue la lumière !), je me suis dis : c'est forcément possible... il faut le faire.

J'ai alors débarqué mon corps sur la plage. J'ai contacté Marc Maussion du collectif Les amis du Biche, qui ont une belle tradition musicale. Marc a contacté Philippe (guitariste), Claire (violoniste), Paul (accordéoniste) et Daniel, pour le chant. On a regardé le film ensemble. Ils ont cherché les musiques, les chants. On a testé, on a imaginé, on a solutionné ! Question d'émotions et de technique à la fois. Finalement: je l'ai rêvé et ils l'ont fait !

Par Philippe Delage

Contactés par les amis du Biche, dont nous sommes aussi adhérents, nous avons rencontré Alain Pichon qui nous a présenté son film. À sa demande d'accompagnement musical, nous avons répondu immédiatement oui, tant ce projet hors des sentiers battus nous semblait plein de promesses. Et nous n'avons pas été déçus. Claire, Paul et moi jouons ensemble depuis plusieurs années et c’est la musique traditionnelle celtique - bretonne et irlandaise - qui nous a réuni. Au fil du temps, des rencontres, des occasions et des soirées festives, nous avons élargi notre palette à d’autres horizons : des chansons de marin jusqu’aux musiques baroques, en passant par des compositions plus contemporaines.

Pour accompagner ce film, nous avons puisé 33 morceaux variés et contrastés dans notre répertoire : des airs traditionnels bretons, des valses et mazurkas d’autrefois, de larges emprunts à la musique baroque du XVIIIe siècle, des chants de marins, des mélodies plus contemporaines, et de vigoureux reels, jigs et hornpipes irlandais… Hormis quelques airs qui s’imposaient, comme le cantique breton ou la révolte des sardinières de Douarnenez, le choix des morceaux s’est fait sur la recherche d’ambiances pouvant accompagner au mieux les images et susciter l’émotion, en variant les types de musique, les rythmes, et en respectant autant que possible le découpage des séquences. Nous avons pris beaucoup de plaisir (et nous en prendrons encore…) à cet exercice inhabituel qui associe étroitement la musique à l’image et exige autant de précision que de créativité !

La très grande majorité des images présentes dans ce film ont été réalisées par des amateurs et des amatrices, ce qui est la spécificité de la Cinémathèque de Bretagne. On retrouve ainsi des marins pêcheurs qui avaient, déjà à l'époque, des caméras, tel Henri Lerede, commandant de pêche au long court sur le Lieutenant René Guillon. Mais aussi des religieux, comme le père Yvon, aumônier des terre-neuvas, animateur sur Radio-Morue et auteur de plusieurs livres sur les marins de Terre-Neuve, ou le père Lebret, prêtre et officier de marine qui réalise des enquêtes approfondies auprès des marins-pêcheurs. Tout deux se révoltent des conditions de travail d'alors et dénoncent la souffrance au travail et la politique productiviste de certains armateurs. Il y a des plaisanciers et des terriens aussi, fascinés comme beaucoup par la mer... C'est le cas de Marcelle Néré, enseignante et agrégée de physique, qui, pendant 10 ans, décide de filmer toutes les personnes et les lieux qu'elle découvre pendant ses vacances, des goémoniers de Portsall aux artisans algériens.
Dans tous les cas, il ne faut pas oublier que le cinéma amateur nécessite des moyens financiers importants : achat de la caméra, des pellicules, coût du développement... il est donc toujours affaire de classe sociale.

Natif de Lorient où il a été très impliqué dans l'économie sociale et solidaire jusqu'en 1990, Alain Pichon a été professeur en lycée professionnel puis a rejoint l'université d'Évry-Val d'Essonne en 1998. Docteur en sociologie, Alain Pichon y est ingénieur d'études puis ingénieur de recherches. Il publie notamment Les Cadres à l’épreuve. Confiance, méfiance, défiance, aux Presses universitaires de France, en 2008. Par la suite, il rejoint un laboratoire d'histoire et se spécialise en conception, direction et animation de programmes de recherche et de valorisation 3D/2D, via la réalisation de documentaires historiques.